En 2021, la FĂ©dĂ©ration des syndicats CGT des cheminots a produit deux documents dĂ©taillant les diffĂ©rents ressorts dâune impulsion politique nouvelle en faveur du transport ferroviaire et fait des propositions prĂ©cises dâorganisation et de financement de la SNCF. Une Ă©lue rĂ©gionale en fait la synthĂšse.

Les deux contributions dĂ©taillĂ©es et documentĂ©es de la FĂ©dĂ©ration des syndicats CGT des cheminots constituent des boĂźtes Ă outils prĂ©cieuses pour les dĂ©fenseurs et militants du transport par rail ; ils y trouveront donnĂ©es chiffrĂ©es, argumentaires, explications techniques et mesures concrĂštes pouvant alimenter les mobilisations dâusagers comme les interventions institutionnelles, de lâĂ©chelon local Ă lâĂ©chelon national.
La performance dâun systĂšme ferroviaire, mesurĂ©e en intensitĂ© de lâusage, en qualitĂ© et en sĂ©curitĂ©, est dâabord une affaire de financement. Câest ce que montre, en Ă©tablissant une corrĂ©lation entre le niveau de dĂ©pense et la performance, un rapport de Boston Consulting Group de 2017. En ce qui concerne le fret, câest un investissement massif qui est requis, dans un nouveau maillage fin du rĂ©seau, avec des triages et des voies ferrĂ©es, diffĂ©rents matĂ©riels roulants spĂ©cialisĂ©s dans plusieurs types de volumes, pour construire une offre complĂšte et cohĂ©rente qui permettra de capter des flux qui nâassureront lâĂ©quilibre Ă©conomique que sur le temps long. Cela suppose une logique de subventionnement Ă lâopposĂ© de la recherche de profits immĂ©diats, expliquant pour une grande part pourquoi la libĂ©ralisation du fret ferroviaire sâest accompagnĂ©e dâune rĂ©duction de prĂšs de la moitiĂ© des volumes transportĂ©s.
POUR DES NOUVELLES SOURCES DE FINANCEMENT
Une proposition est par exemple la nationalisation les sociĂ©tĂ©s dâautoroutes, dont un rapport du SĂ©nat de 2020 prĂ©voit que leurs dividendes pourraient atteindre aprĂšs 2022 environ 40 milliards dâeuros, dont 32 milliards pour Vinci et Eiffage. Il est Ă©galement proposĂ© de remettre en chantier la taxe poids lourds, dâautant plus nĂ©cessaire quâen lâĂ©tat le transport par route est totalement exonĂ©rĂ© de ses externalitĂ©s nĂ©gatives, parmi lesquelles les Ă©missions de CO2, lâaccidentologie, la congestion des systĂšmes routiers.
Plusieurs nouvelles modalitĂ©s de financement sont en outre dĂ©taillĂ©es et Ă©valuĂ©es, comme le flĂ©chage de la taxe intĂ©rieure de consommation sur les produits Ă©nergĂ©tiques (TICPE) pour le financement des infrastructures avec la fin des exonĂ©rations de toutes sortes ; la crĂ©ation dâun versement transport additionnel pour les rĂ©gions qui, hors Ăle-de-France, en sont exclues; lâarrĂȘt des partenariats public-privĂ© qui fournissent une rente au secteur privĂ©, avec comme meilleur exemple la ligne Tours-Bordeaux; la crĂ©ation dâun pĂŽle financier public participant au financement des infrastructures ferroviaires ; la mobilisation de lâĂ©pargne populaire par le bais de la crĂ©ation dâun nouveau livret dâĂ©pargne dĂ©fiscalisĂ©, dont les fonds seraient flĂ©chĂ©s vers lâinvestissement de long terme dans les infrastructures. Ces financements viendraient abonder une caisse dâamortissement qui permettrait de transformer la dette de la SNCF en dette publique et de lâabsorber.
DĂVELOPPER ET LA GRANDE VITESSE ET LE MAILLAGE FIN DU TERRITOIRE
Le dĂ©veloppement du TGV nâest pas opposĂ© aux petites lignes. Le transport ferroviaire est en effet un levier de dĂ©veloppement Ă©conomique et dâamĂ©nagement du territoire, oĂč les trois types de trains, TGV, TET (train dâĂ©quilibre du territoire) et TER (train express rĂ©gional) comme le fret ont un rĂŽle Ă jouer.

Le rĂ©seau de grande vitesse, parmi les plus denses dâEurope, est structurant pour le maillage territorial et le dĂ©veloppement de bassins dâemplois dans toutes les rĂ©gions de France. Il a vocation Ă couvrir les diagonales et les transversales, en amĂ©liorant, sans dĂ©grader la qualitĂ© du service, les conditions dâaccĂšs ainsi que les interconnexions avec le rĂ©seau classique. Son dĂ©veloppement est un enjeu de service public. Le TET a un rĂŽle essentiel Ă jouer pour le dĂ©veloppement solidaire du territoire, en assurant les dessertes urbaines, et surtout la continuitĂ© avec les zones Ă moins forte densitĂ©. Il est nĂ©cessaire pour les dĂ©placements des personnes vers les concentrations dâemplois, en permettant des solutions dâhabitat plus larges autour de lâactivitĂ© Ă©conomique tout en Ă©vitant lâĂ©talement urbain. Ce sont ces critĂšres-lĂ qui devraient animer la convention TET de lâĂtat, avec en outre une ambition nouvelle pour les trains de nuit, qui peuvent donner lieu Ă un panel de formules : voitures-couchettes, voitures lits, voitures-places assises, voiture-restaurant. Ces trains pourraient, sur de longues distances, assurer du cabotage, ĂȘtre constituĂ©s de plusieurs tranches et comporter des porte-autos, rĂ©activant ainsi les trains auto-couchettes (TAC).
En ce qui concerne le fret, il est proposĂ© de dĂ©finir un schĂ©ma national dâaccĂšs garantissant dans chaque dĂ©partement la proximitĂ© avec un triage, un terminal de transport combinĂ© et un corridor fret
Quant au TER, si la rĂ©gionalisation du rĂ©seau ferrĂ© introduit une proximitĂ© utile dans une perspective de rĂ©ponse aux besoins et renforce le rĂŽle des rĂ©gions dans lâamĂ©nagement du territoire, elle contribue Ă la remise en cause de la continuitĂ© du rĂ©seau ferroviaire et Ă la fragilisation de certaines lignes, en multipliant les ruptures de charge et en nâĂ©tant pas associĂ©e Ă des dotations suffisantes aux rĂ©gions pour engager les dĂ©penses dâinvestissement nĂ©cessaires au dĂ©veloppement de lâoffre. Le rĂŽle dâexpert, de conseil, dâassistance Ă maĂźtrise dâouvrage de la SNCF demeure indispensable pour garantir la sĂ©curitĂ© et atteindre les objectifs de qualitĂ©, dâinformation, de sĂ»retĂ©.
Les rapports rĂ©digĂ©s par la cgt, sur le fret et le transport de voyageurs. Ces documents sont accessibles en ligne : ENSEMBLE POUR LE FRET – PROPOSITIONS CGT POUR LE FER
En ce qui concerne le fret, dĂ©cisif pour le dĂ©veloppement de bassins dâemploi rĂ©partis sur lâensemble du territoire national, il est proposĂ© de dĂ©finir un schĂ©ma national dâaccĂšs garantissant dans chaque dĂ©partement la proximitĂ© avec un triage, un terminal de transport combinĂ© et un corridor fret. Câest Ă cette condition que toutes les potentialitĂ©s du wagon isolĂ©, adaptĂ© aux entreprises de taille modeste et consistant Ă collecter des lots de wagons chez plusieurs chargeurs pour les assembler dans des gares de triage oĂč ils seront dĂ©groupĂ©s, pourront ĂȘtre dĂ©veloppĂ©es.
ARTICULER COHĂRENCE NATIONALE ET DĂMOCRATIE LOCALE
Alors que le transport ferroviaire rĂ©pondra dâautant mieux aux besoins de dĂ©placements que lâoffre sera dĂ©finie localement au plus prĂšs des usagers, lâutilisation efficace du rĂ©seau devrait prendre en compte son unicitĂ©, ce qui implique une rĂ©gulation nationale.
Si les grands schĂ©mas et prioritĂ©s pouvaient ĂȘtre dĂ©finis nationalement sous contrĂŽle du Parlement, il est proposĂ© de dĂ©velopper une organisation de la SNCF par bassin de vie et dâemploi. Des Ă©tablissements locaux reposeraient sur la multi-activitĂ© et la maĂźtrise de lâensemble de la chaĂźne de production ferroviaire, impliquant une formation renforcĂ©e des cheminots autour dâune spĂ©cialisation et de la polycompĂ©tence. Ils seraient associĂ©s Ă des espaces communs aux usagers, aux salariĂ©s et aux Ă©lus.
COOPĂRER AVEC LA FILIĂRE INDUSTRIELLE
Comme lâinfrastructure, la flotte de matĂ©riel roulant est un enjeu dĂ©cisif de dĂ©veloppement du transport ferroviaire : capacitĂ©s, disponibilitĂ©, confort, fiabilitĂ©, sĂ©curitĂ©, Ă©volution technologique. Il sâagit de disposer dâune flotte de matĂ©riels roulants ajustĂ©e aux besoins spĂ©cifiques des diffĂ©rentes lignes et usages.
Le matĂ©riel roulant disponible dĂ©pend ainsi Ă©troitement des capacitĂ©s de maintenance, ce qui nĂ©cessite des centres de maintenance en nombre suffisant, avec lâoutillage et les effectifs formĂ©s dĂ©diĂ©s. La mutualisation est dans ce domaine un facteur dâefficacitĂ©. Les ateliers doivent pouvoir accueillir plusieurs sĂ©ries de matĂ©riels, les agents doivent acquĂ©rir une formation complĂšte, les matĂ©riels doivent pouvoir ĂȘtre disponibles pour diffĂ©rents rĂ©seaux rĂ©gionaux ou diffĂ©rents usages.
Le TET a un rÎle essentiel à jouer pour le développement solidaire du territoire, en assurant les dessertes urbaines, et surtout la continuité avec les zones à moins forte densité.
La capacitĂ© Ă dĂ©velopper la flotte de matĂ©riel roulant rĂ©pondant aux besoins du rĂ©seau dĂ©pend en outre Ă©troitement des relations entre la SNCF et la filiĂšre industrielle correspondante. Or, avec la fin du partenariat privilĂ©giĂ© avec Alstom et lâaffaiblissement de la filiĂšre française, la conception du matĂ©riel relĂšve aujourdâhui des constructeurs, qui tendent Ă proposer des trains dits « sur Ă©tagĂšre », peu innovants, vendus avec maintenance, si bien que lâopĂ©rateur ferroviaire nâen obtient pas la maĂźtrise technologique. Le chemin de lâinnovation technologique est Ă rebours de cette logique, car il nĂ©cessite des coopĂ©rations Ă©troites entre lâentreprise de service public et lâopĂ©rateur industriel. Les dĂ©fis sont particuliĂšrement nombreux dans le transport de marchandises, comme le dĂ©veloppement de la grande vitesse et de nouveaux matĂ©riels de logistique urbaine (tram train fret, conteneurs mobiles et subdivisables pour permettre lâemport par des petits camions adaptĂ©s aux dessertes terminales, mixitĂ© fret/train de voyageurs) ou la modernisation de systĂšmes de manĆuvre et de suivi. Les grands logisticiens, type Amazon, pourraient ĂȘtre assignĂ©s Ă lâutilisation de tels outils de fret.
LES NOUVELLES TECHNOLOGIES
Les nouveaux usages permis par la révolution numérique peuvent apporter des progrÚs considérables pour les usagers si les outils développés sont sous maßtrise publique et répondent à des cahiers des charges élaborés démocratiquement au sein des différentes autorités organisatrices des transports.
Ainsi, la mobilitĂ© en tant que service (dĂ©signĂ©e communĂ©ment par lâabrĂ©viation anglaise MaaS, pour mobility as a service) est un concept se traduisant par lâutilisation dâune application unique dâinformation et de paiement de diffĂ©rents modes de transport. Il est rendu possible par le partage des donnĂ©es fournies par les diffĂ©rents opĂ©rateurs et les capacitĂ©s de traitement de lâinformation. Il repose sur lâadoption massive des smartphones et des mĂ©dias sociaux par les usagers. Ainsi la mobilitĂ© en tant que service est-elle un outil qui pourra gĂ©nĂ©raliser le billet unique, mais aussi intĂ©grer de nouveaux services comme le partage de voitures. Il reviendra aux algorithmes de gĂ©rer les flux et dâorienter les voyageurs vers des solutions de mobilitĂ©, avec les arbitrages que cela impliquera en cas dâoffres concurrentes. Mais selon quels critĂšres ?
Il y a donc un enjeu stratĂ©gique primordial Ă rĂ©-internaliser la recherche sur le numĂ©rique, le e-commerce, lâintelligence artificielle, ces technologies pouvant, Ă terme, Ă©chapper totalement Ă la SNCF et plus largement Ă la puissance publique.
La capacité à développer la flotte de matériel roulant répondant aux besoins du réseau dépend en outre étroitement des relations entre la SNCF et la filiÚre industrielle correspondante.
Il faut Ă©galement veiller Ă ce que les applications sur smartphone ne remplacent pas les autres canaux de distribution (guichet, borne de libre-service, ligne direct ou internet) qui doivent se complĂ©ter pour rĂ©pondre aux besoins de la population dans toute sa diversitĂ© sociale et territoriale. La prĂ©sence de cheminots dans les gares demeure dĂ©cisive pour garantir lâaccĂšs au transport ferroviaire, sa qualitĂ©, son dĂ©veloppement, sa sĂ©curitĂ©.
Tous mes respects