Révolutionner le financement du système ferré pour changer de dimension, Frédéric Mellier*

Le développement du train et son usage est fortement corrélé au financement du service, et donc à la conception qu’on a de ce dernier. C’est spécifiquement ces enjeux de financement qu’aborde l’auteur de cet article.

*Frédéric Mellier est conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine.

Tout au long de l’histoire du rail, son financement et son coût ont été au cœur des débats, la naissance de la SNCF étant d’ailleurs issue de la prise en compte de l’incapacité des compagnies privées à assumer investissements et fonctionnement. Globalement, le train est un mode de transport entraînant de lourdes charges d’investissement pour sa mise en place structurelle et aussi pour son fonctionnement. Si les grandes lignes et le fret, quand celui-ci était utilisé, permettent de produire des excédents, cela s’avère plus compliqué pour les trains du quotidien. C’est donc, en général, la collectivité qui vient équilibrer le service et assurer les investissements.

DU SERVICE PUBLIC AU PROFIT

Depuis les années 1970, lorsque les pouvoirs ont affiché la volonté de faire de la SNCF une société commerciale comme une autre, la logique a commencé à changer. Les logiques libérales austéritaires mises en œuvre avec les critères de convergence de Maastricht et la limitation du déficit à 3 % du PIB ont fortement affecté le financement du ferroviaire.

Ces logiques ont laissé seule la SNCF (RFF) face aux besoins d’investissements. Nous avons assisté à une politique de non-investissement récurrente dans le réseau, annonçant une dégradation du service. Dès 2005, l’École polytechnique de Lausanne alertait sur le sous-investissement dans le réseau. De l’autre côté, la montée en puissance des régions dans les investissements, alors même qu’elles n’en n’ont pas la compétence, s’est faite sans qu’elles aient de moyens supplémentaires.

Nous devons faire face aujourd’hui à un réseau dégradé alors même que l’urgence climatique demanderait un réseau performant, la réouverture massive de lignes en zone rurale et urbaine, voire la création de nouvelles lignes en lien avec les modifications des bassins de population.

L’accord de performance signé entre l’État et la SNCF, une semaine avant le second tour de l’élection présidentielle, est à ce titre encore plus inquiétant.

En faisant subir une crise d’austérité au système ferroviaire, la France s’est en partie désarmée pour affronter les défis écologiques et sociaux de notre temps.

L’accord de performance signé entre l’État et la SNCF, une semaine avant le second tour de l’élection présidentielle, est à ce titre encore plus inquiétant. Les 28 milliards d’euros annoncés dans celui-ci sont très en deçà des besoins en termes de maintien des performances actuelles, et donc ne peuvent permettre d’envisager un saut qualitatif qui fasse du train l’épine dorsale des mobilités. Ce contrat apparaît aujourd’hui comme une abdication face aux défis. De nombreux acteurs des mobilités s’en sont émus. L’Autorité de régulation des transports s’inquiète du fait que « les retards pris en matière de renouvellement et de modernisation du réseau généreront des surcoûts à l’avenir et risquent d’enclencher une spirale de paupérisation ». La Fédération nationale des associations des usagers des transports (FNAUT), d’orientation très libérale, pointe « l’absence de volonté politique au contraire de nos voisins européens ».

DES ÉVOLUTIONS INTÉRESSANTES… AILLEURS

En effet, une partie des pays européens qui avaient de lourds retards en la matière après les cures d’austérité ont décidé de redresser la situation. C’est le cas de l’Allemagne qui a mis en place un plan de 80 milliards d’euros ou de l’Italie avec 100 milliards d’euros. Même la Grande-Bretagne annonce un plan de 80 milliards d’euros.

Ces chiffres sont à mettre en parallèle avec ceux de l’investissement par habitant des pays européens. Si la Suisse (avec une entreprise intégrée) consacre 413 € par habitant au ferroviaire et l’Autriche 271 €, la France n’en consacre que 45.

Il n’y aura de révolution du train et des mobilités sans investissements massifs, et donc sans un financement d’envergure. Cela concerne bien évidemment les investissements, mais aussi les financements qui permettent une politique tarifaire offensive. Plusieurs pistes de financement sont aujourd’hui travaillées par les organisations politiques et syndicales ou des associations.

COMMENT ENVISAGER L’AVENIR

L’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF) se trouve aujourd’hui sans véritables moyens. La nationalisation des autoroutes, qui ont été livrées à de grandes entreprises, permettrait d’assurer une source de financement. Même en menant une politique de modération des tarifs d’autoroute, les autoroutes pourraient abonder l’Agence à hauteur de 2 milliards d’euros annuels.

Il ne pourra y avoir de révolution du train et des mobilités sans investissements massifs, et donc sans un financement d’envergure.

D’autre part, une politique offensive en direction du fret routier doit être mise en place. Si les manifestations des « bonnets rouges » laissent de mauvais souvenirs, une taxe poids lourds aux frontières peut être envisagée. D’ores et déjà la collectivité européenne d’Alsace a annoncé la mise en place de cette taxe en 2025. Elle pourrait être généralisée aux frontières en lien avec une politique de fret ferroviaire volontariste, tant sur l’offre que sur la tarification.

La taxe bureau est aujourd’hui levée en Île-de-France. Cette taxe permet le financement du nouveau réseau de métro dans la région. Elle pourrait être élargie à l’ensemble du territoire, ce qui permettrait aux agglomérations de financer leurs systèmes de transports. Un pourcentage additionnel sur l’Île-de-France pourrait être institué, notamment pour financer les grandes lignes afin de faire jouer la solidarité nationale.

Un amortissement sur la durée et de faire peser les investissements sur plusieurs générations. C’est le sens de la proposition du PCF de la création d’un fonds européen social et écologique pour les services publics.

Enfin, comme le demande le Groupement des autorités responsables de transport (GART) et Régions de France, une part additionnelle pourrait être mise en place sur le versement mobilité afin d’abonder les budgets des régions. Cette nouvelle ressource pourrait, entre autres, permettre de financer des politiques tarifaires très offensives qui incitent à l’utilisation du train et aussi d’avoir une politique de l’emploi qui assure une présence cheminote forte pour répondre aux besoins des usagers.

Ce nouveau type de ressources doit permettre d’ouvrir de nouveaux horizons, notamment un accès massif au crédit. En effet, les infrastructures ferroviaires ont une durée de vie longue. Elles demandent donc un amortissement sur la durée et de faire peser les investissements sur plusieurs générations. C’est le sens de la proposition du PCF de la création d’un fonds européen social et écologique pour les services publics.

FINANCEMENTS : CHANGER DE LOGIQUE

La BCE a alimenté pendant dix ans les marchés financiers avec sa politique d’assouplissement quantitatif. Des milliards d’euros ont été prêtés aux banques sans critères et sans contreparties. Ce fonds pourrait être alimenté par la BCE à taux zéro et financerait les projets de développement des services publics. Cela éviterait d’être obligé de passer par les marchés financiers et orienterait l’argent vers des investissements utiles.

Avec 187 milliards d’euros en 2019, les dépenses de transport (assurance comprises) représentent 15 % des dépenses de consommation des ménages. (
Source : « Chiffres clés du transport – Édition 2021 ».)

Outre les questions de mise en concurrence, de statut juridique de l’entreprise ou de statut social des cheminots, le financement du système ferroviaire est au cœur des enjeux écologiques et sociaux. Le train a indéniablement un coût, mais il répond par bien des aspects aux défis qui sont devant nous. Le sous-investissement massif de ces vingt dernières années met le système en grande difficulté et la politique actuelle du gouvernement aggravera inévitablement la situation. Il y a donc urgence à changer de dimension, à sortir du discours pour offrir de vrais moyens au développement du train. Le programme du PCF et de la NUPES avançait des investissements de 60 milliards d’euros sur dix ans ; Jean-Pierre Farandou, le P-DG de la SNCF, parle de 100 milliards d’euros. C’est, quoi qu’il advienne, dans une autre dimension que ce que porte le gouvernement. C’est un plan ambitieux qu’il faut construire, articulant trains du quotidien et LGV, zone rurale et zone urbaine, permettant aux habitants de pouvoir accéder la semaine comme pendant les vacances ou les weekends à un mode de transport décarboné. Cela demande aussi sur une longue durée d’assurer des ressources pérennes afin de financer tant les investissements que l’entretien ou une politique tarifaire attractive. Cela demande aussi de sortir de la logique qui voit dans les cheminots un coût là où ils sont le meilleur atout du développement du service public. Il faut pour cela sortir des logiques de rentabilité et d’austérité afin de développer un service public démocratisé, où cheminots, usagers et élus sont directement associés à la gestion de l’entreprise.

2 réflexions sur “Révolutionner le financement du système ferré pour changer de dimension, Frédéric Mellier*

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.