Comment le train répond au défi climatique, David Gobé*

Le ferroviaire est le moyen de transport qui émet le moins de gaz à effet de serre. Favoriser le transfert des circulations routières et aériennes vers le rail constitue un moyen efficace, à l’échelle nationale, mais aussi mondiale, pour lutter contre le réchauffement climatique.

*David Gobé est responsable au pôle international de la Fédération CGT des cheminots.

Un rapport du GIEC publié en février 2022 a confirmé une fois de plus l’accélération de la hausse des températures avec comme principal facteur l’activité humaine. Alors que le transport représente une part importante des émissions de gaz à effet de serre (GES, dont le CO2 à 97 %), il est important de bien mesurer ce que représente le ferroviaire à l’échelle mondiale, car il est très disparate d’un pays à l’autre, ou selon que le train transporte des voyageurs ou des marchandises. Transport de masse, le train est à analyser au regard de la densification des populations et des flux de marchandises. Améliorer la part du transport ferroviaire dans le transport mondial est un défi face aux enjeux climatiques, mais pas seulement. Le train est également un mode de transport offrant la plus grande qualité de confort, de régularité (contrairement à ce que l’on peut penser), ainsi que des services annexes tels que les couchettes, les auto-trains, la grande vitesse. Certes il peut faire toujours mieux, pourvu que la volonté politique trace la voie du possible !

LES ÉMISSIONS DE GES DANS LE SECTEUR DU TRANSPORT

La part du transport dans les émissions de CO2 est très différente d’une région du monde à l’autre. Elle est considérable en France (41 %, contre 25 % dans le monde) parce que la production d’énergie y est fortement décarbonée (12 % des émissions totales de CO2) comparée au monde (41 %). En additionnant transport et énergie, on obtient une part de 53 % des émissions de CO2 pour la France et de 66 % pour le monde (graphique 1).

Graphique 1 : Répartition sectorielle des émissions de CO2 dans le monde

Le graphique 2 représente la répartition mondiale des émissions de CO2 dans le transport, et le graphique 3 la répartition européenne. Ainsi, à l’échelle mondiale, en 2010 le ferroviaire représente 1,6 % des émissions, contre 72 % pour la route, 10,62 % pour l’aviation et 11,17 % pour le maritime et le fluvial.

Graphique 2 : Émissions mondiales de CO2 par mode de transport de 1970 à 2010
Graphique 3 : Émissions européennes de CO2 par mode de transport de 1990 à 2018

En Europe, l’évolution est sensiblement la même. En 2018, la route représente 70 % des émissions ; le maritime international et le transport aérien international sont identiques, à 13 % ; le maritime fluvial et l’aérien intérieur, à 1,7 % ; le ferroviaire ne comptant que pour 0,02 %.

LES PARTS MODALES DANS LE SECTEUR DU FRET

La part modale du ferroviaire dans le fret est fortement variable d’un pays à l’autre (graphique 4). Ainsi, la problématique du transport de marchandise est un sujet primordial en Europe, où le rail ne représente que 10 %, contre plus de 40 % en Russie et aux États-Unis.

Graphique 4 : Part des différents modes de transport dans différentes régions du monde

Alors que des scénarios de développement du transport de marchandises annoncent une augmentation importante des besoins, doubler le fret ferroviaire comme l’annonce le gouvernement français pourrait ne pas être suffisant pour augmenter réellement la part du ferroviaire. L’étude de l’AIE (Agence internationale de l’énergie) anticipe en effet, dans les conditions actuelles d’investissement et d’organisation des chaînes de valeur, un triplement de la demande mondiale de transport de marchandises d’ici à 2050. D’après son scénario, le rail ne représenterait que 5 % du transport total à cette échéance. Elle prévoit également que la part du fret ferroviaire en Chine passera d’environ 40 % en 2017 à environ 30 % en 2050, perdant du terrain au profit de la route. En Inde, malgré l’expansion prévue du fret ferroviaire, sa part passerait de 30 % en 2017 à 15 % en 2050.

Graphique 5 : Énergie utilisée par les trains dans différentes régions du monde (en millions de tonnes transportées)

C’est donc un report modal de la route et du maritime vers le rail qu’il faut enclencher pour que le ferroviaire augmente réellement sa part dans les transports de marchandises. Il est enfin utile d’examiner l’énergie utilisée par les trains (graphique 5). Les trains américains ont une bonne marge d’amélioration environnementale s’ils décident d’investir dans des trains moins polluants (électrique et hydrogène). On peut noter que la démarche va dans ce sens pour le reste du monde.

AVIATION VERSUS RAIL

Plusieurs études mettent en évidence que le développement des lignes à grande vitesse pour le transport de voyageurs pourrait affecter l’aviation au niveau interrégional.

l’intégration des différents modes de transports dans des nouveaux systèmes d’information, rendue possible par l’analyse de mégadonnées et l’intelligence artificielle, peut jouer un rôle ambivalent.

La banque UBS, par exemple, a estimé que l’opportunité du marché européen du TGV atteindra 11 milliards d’euros en 2022 (3,5 fois les niveaux de 2016), bien au-dessus des prévisions de 5,9 milliards d’euros de l’organisme européen de l’industrie ferroviaire UNIFE.

Plusieurs études mettent en évidence que le développement des lignes à grande vitesse pour le transport de voyageurs pourrait affecter l’aviation au niveau interrégional.

Une étude de HS1 Ltd., le chemin de fer à grande vitesse du Royaume-Uni, a révélé que les voyages en train à grande vitesse entre le Royaume-Uni et l’Europe ont permis une réduction annuelle de 750 000 t des émissions CO2 , soit l’équivalent de 60 000 vols.

Le train à grande vitesse sur la ligne Rome-Milan est passé d’une part modale de 38 % en 2009 à plus de 70 % en 2017. La ligne de train à grande vitesse Berlin-Munich, ouverte en 2017, a entraîné une augmentation de 200 % du nombre de passagers ferroviaires entre les deux villes.

En Chine, l’impact le plus fort de l’introduction du TGV concerne les liaisons aériennes court-courriers d’une distance inférieure à 500 km, tandis qu’au Japon l’impact le plus fort semble porter sur les liaisons moyen-courriers (entre 500 km et 800 km). Les pays ayant déjà des lignes ferroviaires à grande vitesse ont tendance à avoir proportionnellement moins de vols court-courriers que les pays sans train à grande vitesse. Cela concorde avec l’observation selon laquelle le train à grande vitesse est plus compétitif par rapport aux modes concurrents pour des temps de trajets allant de 1 h à 3 h 30 min.

FRET ROUTIER VERSUS FRET FERROVIAIRE

De 2010 à 2015, les investissements annuels moyens dans les routes en Australie, au Canada, en Chine, dans l’Union européenne, en Inde, au Japon, en Corée, au Mexique, en Russie, en Turquie et aux États-Unis ont totalisé 540 milliards de dollars, soit 2,7 fois plus que les investissements dans l’infrastructure ferroviaire (200 milliards de dollars pour le même groupe de pays).

Ainsi, malgré l’intérêt affiché pour le transport durable dans le monde entier, le rail est confronté à de nombreux défis pour concurrencer la route. C’est le coût qui est un facteur déterminant du report modal de la route vers le rail, et non la vitesse ou l’efficacité. C’est ce que concluent des études menées en Indonésie et en Nouvelle-Zélande. L’instauration de péages routiers apparaît ainsi comme nécessaire, et s’avère d’autant plus juste que le fret routier doit payer sa part d’émissions carbonées ainsi que l’entretien des routes financées par des investissements publics. Les camions causent en effet des dommages bien plus importants que les voitures individuelles sur les infrastructures routières.

Doubler le fret ferroviaire comme l’annonce le gouvernement français pourrait ne pas être suffisant pour augmenter réellement la part du ferroviaire.

Il est également possible de réduire les coûts ferroviaires, car certaines dépenses ne sont pas liées à l’exploitation et à l’entretien des chemins de fer mais au péage pour l’accès à l’infrastructure. Si la redevance ne représente par exemple que 5 % du coût total en Chine, elle s’élève à 35 % en Italie et à 60 % en Espagne.

C’est le coût qui est un facteur déterminant du report modal de la route vers le rail, et non la vitesse ou l’efficacité.

Les investissements dans les terminaux intermodaux sont à la traîne en Europe, or ils sont indispensables à l’efficacité du fret ferroviaire alors que la route offre plus de flexibilité et de continuité du premier au dernier kilomètre. Le chemin de fer devrait être prioritaire pour les longues distances. Les travailleurs du fret routier pourraient se reconvertir dans la logistique et la couverture des trajets de courte distance.

TECHNOLOGIES D’AMÉLIORATION DE L’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE

Des progrès significatifs sont actuellement réalisés sur l’efficacité énergétique du rail grâce à des matériaux plus légers, à une plus large utilisation des dispositifs de récupération d’énergie (par exemple, le freinage par récupération d’énergie), des systèmes de gestion et de contrôle du trafic ferroviaire, ou encore de l’analyse des données numériques. L’évolution des technologies ferroviaires est également rendue nécessaire par le besoin d’intensification de l’utilisation des voies lorsque la demande augmente plus rapidement que la construction de nouvelles infrastructures ferroviaires.

Ces progrès sont à amplifier par un investissement plus grand dans la recherche et développement (R&D) sur les nouvelles sources d’énergie. Il est à cet égard paradoxal que le secteur de l’automobile bénéficie de plus de financements de R&D pour développer l’électrification et les énergies alternatives, alors que les gains sur les émissions de CO2 ne sont pas avérés.

Les évolutions technologiques du transport ferroviaire nécessiteront des moyens humains nouveaux. Il faudra davantage de travailleurs qualifiés dans les domaines des technologies de la communication et de l’information, de la virtualisation des processus, de la numérisation, des technologies de détection et de la cybersécurité pour développer les systèmes avancés de gestion et de contrôle du trafic ferroviaire.

Les évolutions technologiques du transport ferroviaire nécessiteront des moyens humains nouveaux.

L’électrification des lignes de chemin de fer augmente également la nécessité de former des travailleurs, par exemple en cas d’urgence et de réparation, ainsi que pour la sécurité des batteries, la manipulation haute tension et le magnétisme électrique. L’installation et l’entretien de caténaires ou de lignes conductrices requièrent des ingénieurs électriciens. De nouveaux emplois seront à créer pour développer les centrales solaires et éoliennes, dans les gares et le long des chemins de fer, comme en Inde. D’ici à 2050 vivront dans les villes 2,5 milliards de personnes supplémentaires, ce qui implique que les villes devront adapter la mobilité urbaine pour répondre à la demande croissante. En tant que transport de masse, le rail devra jouer un rôle structurant dans le développement des mobilités urbaines. Aujourd’hui, une ligne de métro peut transporter 70 fois plus de passagers qu’une rue urbaine avec des voitures.

Mais l’intégration des différents modes de transports dans des nouveaux systèmes d’information, rendue possible par l’analyse de mégadonnées et l’intelligence artificielle, peut jouer un rôle ambivalent.

Si les nouvelles plates-formes de mobilités qui se développent peuvent jouer un rôle positif sur l’efficacité des déplacements et l’optimisation de la planification des horaires sur les réseaux, elles peuvent également détourner de l’utilisation du train. C’est ainsi que 35 % des utilisateurs européens du e-hailing1 et 20 % des utilisateurs aux États-Unis ont quitté le rail après l’introduction du service. L’expansion de la mobilité à la demande empiète également sur les modes de transport public réglementés et réguliers. Elle pourrait contribuer à introduire des formes de travail plus flexibles et irrégulières dans le transport ferroviaire, ce qui affecterait les travailleurs.

La forme que prennent les mobilités as service (MaaS) 2 et l’analyse des données est décisive pour l’avenir du rail. Ces systèmes peuvent se développer en tant que service public réglementé, monopole privé ou marché concurrentiel. Ils peuvent orienter les voyageurs vers l’utilisation de la voiture ou les en éloigner, exercer une influence concurrentielle sur les systèmes de transport public existants ou contribuer à l’amélioration de la mobilité. C’est le cadre réglementaire et législatif dans lequel ces systèmes opéreront qui sera déterminant.

CONCLUSION

Dans l’ensemble, la prise en compte du défi climatique a poussé les investissements vers un transport ferroviaire plus « vert ».

Les locomotives à moteur Diesel (fonctionnant au gazole) sont progressivement remplacées par des motrices fonctionnant à l’électricité et à l’énergie renouvelable, comme en témoignent les plans de quatre des plus grands systèmes ferroviaires (Inde, Chine, Russie et Union européenne) visant à passer à une électrification presque totale d’ici à 2050. L’hydrogène et les rails alimentés par batterie deviendront plus réalisables au cours des prochaines décennies avec des réductions de coûts et une production à plus grande échelle, ce qui leur permettra de remplacer les systèmes Diesel où l’infrastructure d’électrification des lignes n’existe pas encore à plus grande échelle (comme aux États-Unis).

Des initiatives telles que le partenariat public-privé, qui tente d’augmenter la part du transport ferroviaire par la recherche et développement sur des technologies améliorant l’efficacité, ont vu le jour. Mais les technologies à elles seules ne provoqueront pas de transfert modal vers le rail. Elles peuvent même contribuer à l’entraver, et d’après la projection de l’Organisation mondiale de l’environnement, la part du rail dans le transport est susceptible de rester en grande partie là même d’ici à 2050, voire de diminuer en ce qui concerne le fret.

Transport de masse, le train est à analyser au regard de la densification des populations et des flux de marchandises.

À l’échelle mondiale, les investissements publics augmentent plus rapidement dans la route que dans le rail, et les plans de sauvetage covid19 dans le monde entier ont montré un fort soutien des gouvernements à l’aviation et au maritime. Une augmentation du soutien politique, davantage d’investissements publics dans les infrastructures ferroviaires et multimodales, et une transition intégrée et coordonnée sont nécessaires pour que le rail augmente sa part modale.

Un système ferroviaire privé alimenté par des incitations au profit à court terme est moins à même de mener à bien une transition énergétique « verte » : on l’a vu aux États-Unis malgré l’électrification générant plus de retours sur investissement à long terme. C’est un argument clair pour expliquer pourquoi le système intégré public est le meilleur moyen pour le rail de se redéfinir et de devenir efficace à long terme. C’est aussi le meilleur cadre pour garantir les conditions de travail, la protection sociale et la formation à long terme des cheminots.

Promouvoir un système plus écologique, plus respectueux de l’environnement passe par un transport de masse, et le train répond à ces exigences tant pour les marchandises que pour les passagers. Cela demande un changement de paradigme : sortir d’un système de profit à court terme pour intégrer tous les coûts externes sur le temps long, dans une logique de société globale à finalité non marchande. C’est le sens de la campagne mondiale pour un chemin de fer sûr et durable mené par la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF).

À LIRE

Dans son document « Des chemins de fer sûrs et durables » (autour du #safeandsustainablerail), la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) présente sa vision d’un nouveau modèle économique et social pour le ferroviaire. Accessible en ligne :

https://www.itfglobal.org/sites/default/files/20 21-11/ITF-SSR-Vision-Statement-FR.pdf

  1. E-hailing : mise en réseau sur un application smartphone de services de transports individuels et collectifs.
  2. MaaS (mobilité servicielle ou mobilité comme service, en français) désigne des outils numériques intégrés visant à faciliter l’accès au service de transports urbains collectifs intermodaux (bus, métro, train, tram).