Batailles contre l’ouverture à la concurrence des trains express régionaux, Patrick Blin*

À l’heure de la mise en œuvre progressive de la réforme de 2018, l’auteur de ce texte revient sur les enjeux et les arguments défendus par les soutiens de la mise en concurrence des trains express régionaux (TER) dans sa région, la Bourgogne-Franche-Comté.

*Patrick Blin est conseiller régional de Bourgogne-Franche-Comté.

La mise en œuvre de la réforme de 2018 s’accélère, précisant un processus de privatisation de la SNCF et la levée des protections des cheminots pour en réduire les standards sociaux et en accroître l’exploitation. L’ouverture à la concurrence, qui a été autorisée par la loi « pour un nouveau pacte ferroviaire », est un choix désastreux pour le service public ferroviaire.

Elle concerne également les trains express régionaux (TER), dont les régions ont la charge, et les élus régionaux progressistes sont confrontés à ce qui peut apparaître de prime abord comme une obligation légale : la loi européenne imposerait que la fin des conventions avec la SNCF pour l’exploitation des TER laisse la place à un système concurrentiel.

Ainsi la Bourgogne-Franche-Comté, dirigée par une majorité de gauche, vient-elle d’adopter le principe d’une ouverture à la concurrence de la totalité des lignes ferroviaires régionales, un choix unique en France.

Il était pourtant possible de faire autrement. C’est ce que le groupe des élus communistes et républicains a démontré, en s’appuyant sur la mobilisation des cheminots CGT, CFDT, Solidaires, UNSA, des usagers aussi, et en votant contre l’ouverture à la concurrence.

LE SERVICE PUBLIC

Les trois piliers du service public en France se sont construits autour des principes de continuité de service, d’égalité d’accès et de mutabilité. L’Union européenne, puisque nous en sommes là dans l’application d’une directive européenne, n’a jamais retenu la notion de service public ; elle lui a préféré celles de service d’intérêt général ou de service d’intérêt économique général, lesquels sont soumis aux règles de la concurrence.

Région en rouge procédures d’appels d’offres en cours
Région en jaune procédures d’appels d’offres annoncées
Région en vert procédures d’appels d’offres possibles durant la période d’application de la convention
Région on gris pas de procédures d’appels d’offres prévues durant la période d’application de la convention

L’État français n’est donc plus le seul à assurer le service public dans de nombreux domaines, alors ouverts aux marchés du secteur privé. La holding SNCF est conçue comme un centre de captation de la richesse créée par des sociétés filiales, qui vont accroître leur profitabilité avec des objectifs financiers qui n’ont plus rien à voir avec le financement d’un service public. Ce même secteur est également composé d’entreprises créées par un apport de capital actionnarial. Ces actionnaires, n’étant pas des philanthropes, vont faire fonctionner le service public comme une entreprise pour produire du capital rémunérateur.

UN SYSTÈME QUI TROUVE SES LIMITES EN EUROPE

En Allemagne, pays souvent montré comme exemple pour la réussite de l’ouverture à la concurrence ferroviaire, deux concessionnaires viennent de jeter l’éponge : Abellio, filiale des chemins de fer néerlandais, est en faillite, et Keolis, filiale de la SNCF, accuse une perte de plusieurs dizaines de millions d’euros et annonce son désengagement.

La holding SNCF est conçue comme un centre de captation de la richesse créée par des sociétés filiales, qui vont accroître leur profitabilité avec des objectifs financiers qui n’ont plus rien à voir avec le financement d’un service public.

La Belgique, le Luxembourg, dernièrement le gouvernement travailliste norvégien ont décidé de revenir ou ne pas mettre en application l’ouverture à la concurrence des transports régionaux.

En France, les régions ne font pas toutes les mêmes choix. Il y a celles qui ouvrent à la concurrence partielle, comme la région Sud, les Hauts-de-France, l’Île-de-France ou le Grand Est, pour les liaisons transfrontalières avec l’Allemagne. Mais il y a celles qui engagent une nouvelle convention avec la SNCF, comme l’Occitanie, la Bretagne ou, récemment, le Centre Val de Loire.

La région Bourgogne-Franche-Comté, elle, s’est engagée dans une ouverture à la concurrence totale des lignes ferroviaires en faisant valoir trois arguments, juridique, financier et technique, dont aucun ne résiste à l’examen des faits.

L’ARGUMENT JURIDIQUE

La région s’appuie sur les recommandations du cabinet Baron, Aidenbaum et associés, saisi pour étudier différentes possibilités d’ouverture partielle à la concurrence. Mais, en distinguant ce qui relève de l’analyse juridique de la décision politique, il est possible de faire une tout autre interprétation de l’étude.

Jusqu’au 25 décembre 2023, en effet, la loi européenne prévoit que les régions peuvent lancer des appels d’offres ou attribuer les lignes à la SNCF en négociant une nouvelle convention (des régions l’ont fait). Quant à l’ordonnance du 12 décembre 2018 du gouvernement français, elle précise que les régions « pourront ouvrir à la concurrence les services qu’elles organisent, selon un rythme qu’il leur appartient de définir entre 2019 et 2023, voire au-delà dans des circonstances particulières ».

en droit rien ne s’oppose à la conclusion d’une nouvelle convention avec la SNCF avant le 25 décembre 2023 sans mise en concurrence préalable.

En Bourgogne-Franche-Comté, cela implique de résilier à l’amiable l’actuelle convention avec la SNCF arrivant à échéance en 2025 – date à laquelle il ne sera plus possible d’éviter les appels d’offres. C’est la proposition des élus communistes, dont la possibilité est confirmée par le cabinet Baron, Aidenbaum et associés qui juge qu’en droit rien ne s’oppose à la conclusion d’une nouvelle convention avec la SNCF avant le 25 décembre 2023 sans mise en concurrence préalable.

Chaque année, les régions transportent 330 millions voyageurs en TER.

La recommandation des avocats s’appuie sur l’identification d’un risque de recours de la part de la SNCF qui demanderait des dommages et intérêts, d’un conseiller régional ou du préfet qui souhaiteraient agir en faveur de l’ouverture à la concurrence. Or les craintes financières de voir la SNCF demander des dommages et intérêts pour rupture anticipée de la convention sont infondées. L’entreprise apporte des garanties en ce sens. Quant au risque de recours individuel, quelle décision politique n’en est pas exempte ? Ironie de l’histoire, l’organisation concrète du vote sur l’ouverture à la concurrence est l’objet d’un recours du syndicat CFDT.

L’ARGUMENT FINANCIER

Finalement, le débat intense qui a vu le jour en Bourgogne-Franche-Comté a donné lieu à l’expression d’une diversité d’arguments allant bien au-delà du juridique.

Il est par exemple reproché à la SNCF l’opacité des éléments comptables : « On ne sait pas combien coûte la circulation d’un train. » Il faut savoir qu’un organisme, l’Autorité de régulation des transports ferroviaires, a en charge de veiller à la justesse des coûts du transport. La SNCF applique une méthodologie pour calculer le coût directement imputable à chaque circulation de train. Cette méthodologie est rappelée dans un règlement d’exécution de la Commission européenne ainsi que par l’association des régulateurs ferroviaires européens indépendants. Demain, le gestionnaire, en l’occurrence la région, devra utiliser cette même méthodologie, aussi complexe soit-elle. Qui peut croire que nous aurons la main pour paramétrer comme cela nous arrange les éléments constitutifs de cette méthodologie ? Cela reviendrait à s’affranchir de règlements européens contraignants pour la collectivité. Quant au coût de l’ouverture à la concurrence, bien malin qui peut l’évaluer, puisqu’aucun élément chiffré d’un tel scénario n’est rendu public. Les éléments connus aujourd’hui indiquent une hausse des coûts de 20,5 % pour les Hauts-de-France, de 38,5 % pour la région Sud et de 63,5 % pour le Grand Est.

Avec la mise en concurrence du TER, c’est la collectivité locale qui organise la compétition du moindre coût avec un appel d’offres européen.

La baisse des coûts ne peut résulter que d’un affaiblissement de l’organisation et d’une réduction de la masse salariale du fait du transfert du personnel qui, à terme, ne sera plus SNCF. C’est la politique du moins disant qui l’emporte, comme nous la connaissons dans le transport routier. Avec la mise en concurrence du TER, c’est la collectivité locale qui organise la compétition du moindre coût avec un appel d’offres européen. L’usager ne verra pas le prix du billet baisser, puisque la politique tarifaire relèvera toujours de la région en tant qu’autorité organisatrice. L’ouverture à la concurrence menace même les lignes moins fréquentées, type « ligne du Morvan » de Laroche-Migennes à Clamecy ou à Avallon, où une partie des dessertes n’est déjà plus ferroviaire mais routière, assurée par Transdev, candidat potentiel de cette ouverture à la concurrence. La recherche d’une optimisation financière pourrait encourager ainsi le tout-routier.

L’ARGUMENT TECHNIQUE

Un train roule dans un environnement, et la qualité du service dépend de plusieurs facteurs : le personnel (dans les trains pour la sécurité et l’information des voyageurs ; dans les gares pour l’accueil, l’information, la vente de billets, etc.), mais aussi les installations, qui deviennent moins fiables en vieillissant. Il faut également tenir compte des aléas extérieurs (climatiques, humains, autres trains, ou encore divagation d’animaux, accidents, etc.). La concurrence travaillera dans ce même environnement, avec les mêmes contraintes qui pèsent sur la régularité. La multiplication des intervenants ajoutera une contrainte supplémentaire.

Les organisations syndicales de cheminots, unanimement opposées au projet d’ouverture à la concurrence en Bourgogne-Franche-Comté, doivent être entendues et le reproche de corporatisme qui leur est adressé n’est pas acceptable.

Qui est mieux à même d’avoir une expertise sur l’outil de travail et les conditions permettant aux usagers de voyager quotidiennement sur le réseau, si ce n’est les cheminots via leurs organisations syndicales ? Ces organisations interprofessionnelles regroupant des employés, des agents de maîtrise et des cadres sont critiques vis-à-vis de leur entreprise et aussi forces de proposition pour améliorer la qualité du transport ferroviaire, de voyageurs comme de fret.

Qui est mieux à même d’avoir une expertise sur l’outil de travail et les conditions permettant aux usagers de voyager quotidiennement sur le réseau, si ce n’est les cheminots via leurs organisations syndicales ?

Sans l’action syndicale, le train des primeurs Perpignan-Rungis n’aurait jamais été remis en circulation. Quant aux trains de nuit, auraient-ils été remis en service si les syndicats de cheminots n’avaient pas, depuis plusieurs années et sans relâche, condamné leur arrêt et demandé la modernisation de ce service ?

Il faut également entendre les citoyens. Le quotidien le Bien public a lancé une consultation sur son site internet en amont du vote de l’assemblée régionale. Sur 8206 personnes s’étant exprimées en 24 h, le résultat est sans appel : 60 % des répondants disent non à l’ouverture à la concurrence. Ce panel est représentatif de l’état d’esprit des Bourguignons-Francs-Comtois.

Enfin, le bilan annuel du TER présenté par la SNCF est bon en matière de qualité de services.

Le groupe Communiste et Républicain constate, comme dans d’autres domaines, tels que l’énergie, la complexité de la thématique du transport ferroviaire. Chaque élu devrait acquérir la connaissance technique, scientifique et culturelle pour pouvoir appréhender l’ensemble des enjeux sociétaux et sociaux liés à ce mode de transport.

Aujourd’hui, en Bourgogne-Franche-Comté, nous ne considérons pas la partie comme perdue. Le groupe des élus communistes et républicains entend, sur la base des propositions avancées par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES) lors des élections législatives, demander un moratoire sur l’ouverture à la concurrence. La mobilisation devra se poursuivre au-delà de l’assemblée régionale. Syndicats, associations d’usagers, organisations politiques engagées dans le rassemblement des forces de gauche, citoyens doivent pouvoir débattre de ce choix qui conditionne la qualité du transport TER en Bourgogne-Franche-Comté.

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