Livres (N°9)

N83 Eloge des mathématiquesÉloge des mathématiques

ALAIN BADIOU,

Flammarion, coll. « Café Voltaire », Paris, 2015, 128 p.

Voici une bouffée d’oxygène dans la jungle utilitariste de l’édition ! Un petit livre qui parle des mathématiques, non pas pour nous apprendre tel ou tel théorème ou méthode mais pour nous raconter le bonheur de la manipulation des mathématiques, de la précision des énoncés, de la déduction, et surtout des nouvelles perspectives que tout résultat suscite. Mais le caractère convaincant et même séduisant de ce texte vient surtout de ce qu’il n’est pas écrit par un mathématicien, mais par un philosophe, qui connaît certes pas mal les mathématiques, mais qui est surtout connu pour ses appels à la recherche du bonheur. Pour Alain Badiou, les mathématiques sont la science non pas des nombres mais des structures. Oui, il a parfaitement compris, et il nous régale d’incursions culturelles et philosophiques très pertinentes, convaincantes et bien étayées, ouvrant des horizons ou des perspectives enrichissantes. Voici par exemple que, après une incursion effective dans une démonstration mathématique, l’auteur nous gratifie avec un commentaire salutaire et inattendu : « Eh bien là, quand vous avez bien compris ça, vous êtes heureux ! En prime, vous avez un schéma politique : le fait qu’il y ait plus de parties que d’éléments dans un ensemble quelconque signifie que la richesse, la ressource profonde, de ce qui est collectif (les parties) l’emporte sur celle des individus. Le théorème de Cantor réfute, à un niveau abstrait, le règne contemporain de l’individualisme. » Alain Badiou met en parallèle les mathématiques, la philosophie, l’art et la politique. On regrette seulement que les autres sciences n’y soient pas associées, avec leur haut contenu culturel et formateur, mais c’est vrai que la mathématique, souvent qualifiée de « reine des sciences », en constitue la forme paradigmatique.

EVARISTE SANCHEZ-PALENCIA


 

n28-lokiec_il_faut_sauver_le_drIl faut sauver le droit du travail !

PASCAL LOKIEC,

Odile Jacob, 2015,162 p.

Une propagande persévérante rend le droit du travail et le modèle social français responsables de tous les maux de l’économie et des difficultés des PME : 35 heures, SMIC, seuils sociaux seraient cause du chômage. Dès lors, inverser la hiérarchie des normes juridiques par affaiblissement de la loi au profit des accords d’entreprises est présenté comme la solution, dans une fabrication par chacun de ses propres règles en un simulacre de liberté. On voit bien où mènent les dérives moins-disantes de l’économie low cost. Sans relâche, des stratégies d’évitement offensives visent à faire du contrat de travail un contrat ordinaire, que l’on pourrait rompre à volonté, sans motif, ou même supprimer par le biais d’un statut d’auto-entrepreneur généralisé, sans égard pour les conditions et supports de la production d’un travail de qualité, reconnu et justement rémunéré. Le silence actuel sur cette poussée régressive et ses causes (cf. les traités européens) est de mise parmi les juristes. Aussi le livre de Pascal Lokiec, agrégé des facultés de droit, est-il le bienvenu pour rappeler que les pays dépourvus de règles protectrices des travailleurs sont aussi les moins développés : la mise en concurrence planétaire de pays aux développements inégaux, et de tous avec tous, une « loi du marché » substituée à la rationalité et à la pensée, des prédations d’autant moins débattues qu’elles sont plus énormes contournent, par des violations délibérées et calculées, comme autant d’entraves, non seulement le droit du travail, mais aussi le droit fiscal, le droit international, le droit commercial, les droits fondamentaux de la personne, dans une ingénierie inventive de tricheries multiples et de dominations léonines ! Ce livre rappelle aussi utilement que la protection et le respect des personnes, de leur santé, de leur dignité ne peut faire l’économie d’un État régulateur, garant et protecteur de l’intérêt général.

ANNE RIVIÈRE


N81 30 ans d'Humanité30 ans d’Humanité. Ce que je n’ai pas eu le temps de vous dire

JOSÉ FORT,

Arcane 17, 2015, 162 p.

José Fort aurait voulu écrire son livre avec son grand ami Georges Wolinski, pour l’illustrer, mais la cruauté de l’Histoire en a décidé autrement en ce 7 janvier 2015. Il a donc écrit son livre seul, malgré lui. C’est un militant communiste, il y en a d’autres. Un journaliste de l’Humanité, dont il fut chef du service international et éditorialiste, un fils de républicain espagnol, il y en a eu d’autres. Un retraité aujourd’hui très actif, il y en a d’autres. Qu’a-t-il donc d’original notre ami José ? Il est fort, « trop fort » ! Fort de continuer à écrire avec son arme préférée, l’expression écrite, celle qui va direct au but et ne s’encombre pas d’un « excusez-moi de vous déranger », pour évoquer avec le recul du temps des moments marquants de sa vie de grand reporter. Bien sûr, il a cette tendresse profonde pour la République espagnole et ses représentants, telle la Pasionaria, pour Cuba et l’Amérique latine, mais il a plus généralement ce penchant naturel pour ceux qui, du bon côté de l’Histoire, savent avoir le « culot » qu’il faut pour empêcher les rivières de l’espoir de s’assécher dans les mauvais chemins, y compris dans les pays de l’ex-pacte de Varsovie. Dans cette chronique délibérément désordonnée de ses rencontres, l’humour, le goût de la farce et la force de l’émotion sont omniprésents, des toilettes d’un hôtel à une rencontre avec Fidel Castro en passant par une expérience de chauffeur de foule à la Fête de l’Humanité. L’introduction de Roland Leroy, ancien directeur de l’Humanité, est remarquable. L’évocation de René Andrieu, d’Henri Alleg ainsi que de nombreux autres communistes et progressistes mérite l’intérêt de toutes les générations. Aragon, Ben Bella, Yves Moreau, Henri Alleg, Georges Fournial, Georges Marchais, Yasser Arafat, Ernesto Guevara, Fidel Castro, Hugo Chávez, Bernard Guetta, Lise London, Dolores Ibarruri, Santiago Carrillo, Marcelino Camacho, María Teresa et Madeleine Riffaud, pour ne citer qu’eux, dessinent les contours de ce dessin que Wolinski aurait certainement créé, à l’image de l’espérance d’un monde meilleur qui ne tiendra jamais de la génération spontanée.

YVON HUET


 

n29-6a00e5500b4a64883301b8d151fc0c970cLes Dessous de la cacophonie climatique

SYLVESTRE HUET

La Ville Brûle, 2015, 144 p.

L’auteur réussit dans cet opus une double gageure : d’une part, il rend accessibles simplement et rigoureusement les enjeux scientifiques du réchauffement et, de l’autre, il fait clairement le distinguo entre connaissance des lois naturelles et enjeux politiques relevant du débat citoyen. À l’instar de ses chroniques dans Libération, l’auteur signe un livre sans concession avec le greenwashing des entreprises, le double langage de certains dirigeants et l’instrumentalisation tordant la réalité scientifique selon des présupposés idéologiques. Aux antipodes d’une quelconque négation du réchauffement, Sylvestre Huet souligne dans sa thèse «Pourquoi l’urgence climatique n’existe pas… et pourquoi c’est un problème majeur » que les solutions à long terme pour le climat ne peuvent être apportées qu’après avoir répondu aux urgences de court terme liées à la satisfaction des besoins élémentaires. On appréciera aussi le chapitre « Que faire ? » questionnant l’organisation des sociétés, la production d’énergie, le système de production et d’échange, les transports, l’habitat et l’urbanisme. Une excellente stimulation pour qui veut comprendre pour agir vraiment.

JEAN-NOËL AQUA


 

N84 l'ecologie peut encore sauver l'economieL’écologie peut encore sauver l’économie

GÉRARD LE PUILL,

Pascal Galodé Editions, 2015, 313 p.

Gérard Le Puill est tout à la fois paysan, ouvrier et journaliste. Il est aussi militant communiste et syndicaliste. Il est tout cela à la fois. Pour lui, le temps d’échanger, de convaincre et d’apprendre des autres ne s’arrête jamais. Ce livre, écrit dans le cadre de la préparation de la conférence sur le climat prévue pour fin 2015, nous invite, à partir d’une analyse globale de l’existant, à réfléchir à notre avenir commun. Les derniers « sommets » sur le climat n’ont pas enrayé la perspective d’une catastrophe écologique majeure dans les prochaines décennies si on ne réduit pas drastiquement les émissions de gaz à effet de serre. Gérard nous démontre en quoi les théories ultralibérales qui prévalent dans l’organisation mondiale de l’économie ne font qu’aggraver la situation. La richesse des uns maintenant l’extrême pauvreté des autres sert de carburant à une machine infernale à la fois productiviste et malthusienne. Il faut donc réorienter l’activité humaine en changeant les règles. Gérard nous y invite à partir de l’analyse des grandes tendances du marché mondial, en référence, très souvent, à la démarche de Nicolas Hulot, qu’il apprécie beaucoup, et en prenant toujours le soin de s’appuyer sur des exemples précis qu’il a lui-même expertisés. Son objectif ? favoriser l’émergence du citoyen consom’acteur que nous devons tous devenir, que nous vivions à la ville ou à la campagne.

Dans la seconde partie de son livre, consacrée à la réflexion sur les solutions possibles pour arrêter l’asphyxie qui nous guette, il imagine une reconquête populaire, au sens noble du terme, de l’espace rural, à l’aide d’une économie circulaire productrice d’activités agricoles et industrielles complémentaires vertueuses. Il part du réel pour tracer les sillons d’une économie tant solidaire qu’écologique. Ce livre vous donnera l’appétit de vous battre en prenant la mesure d’une urgence à changer l’ordre existant, pour éclairer le monde avec un bouquet énergétique que les citoyens doivent se réapproprier, sur un chemin transparent, du comportement de chacun jusqu’aux sphères multiples des décisions à prendre, à faire appliquer et appliquer soi-même. C’est une révolution que Gérard Le Puill nous propose, dont la mise en musique est une urgence.

Y. H.


101-Climat-couvertureClimat : y voir clair pour agir

SÉBASTIEN BALIBAR

Le Pommier, 2015, 200 p.

Sébastien Balibar signe avec Climat : y voir clair pour agir un ouvrage clair et synthétique donnant à voir les grands enjeux du réchauffement climatique et des politiques énergétiques. Connu pour son œuvre de vulgarisation des sciences, l’auteur donne l’essentiel des connaissances et des scénarios d’avenir des climatologues. Par ailleurs directeur du Comité de prospective en énergie de l’Académie des sciences, Sébastien Balibar nous fait partager son analyse de la situation et des politiques énergétiques des Etats. On appréciera en particulier sa proposition d’instaurer une restriction universelle d’émission limitée à 1,5 t de CO2 par habitant et par an, visant pour l’ensemble de l’humanité à un développement respectueux de l’environnement. L’auteur nous livre un regard critique sur les choix énergétiques des différents pays industrialisés tout en proposant une série de recommandations pour adapter la transition énergétique de chaque pays à ses spécificités. Un livre incontournable pour parler politique en toute connaissance de cause scientifique.

J.N.A.

 

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