Dans le débat public, il est souvent question de demander l’avis des entreprises sur une question de société ou qui touche à l’environnement. On dit alors qu’il faut entendre l’avis des entreprises, être à leur écoute, leur donner la parole. Il est ainsi politiquement correct d’écouter la « société civile » avec le traditionnel triptyque citoyens-ONG-entreprises. Mais qui est, au final, représenté par ces entreprises dans ces débats ? On se rend alors compte que donner la parole aux entreprises revient simplement à donner la parole au grand patronat ou aux actionnaires, que l’on résume l’entreprise à ces parties prenantes, oubliant au passage les salariés qui se comptent pourtant en centaines ou même en milliers pour les plus grandes entreprises, et qui représentent la véritable expertise et richesse. Les salariés et leurs représentants sont ainsi gommés du débat public, puisqu’on leur nie un droit de regard – et ne parlons même pas de droit de décisions – sur les entreprises, lieux de création de richesses qui conditionnent de nombreux aspects de nos vies. L’entreprise est un lieu de pouvoir exorbitant lorsqu’elle est laissée aux seules actionnaires : dans les conseils d’administration se décident à huis clos nos avenirs en termes d’emploi, de recherche, d’orientation dans la consommation et la production, d’avenir pour la planète, le climat, la biodiversité.
Il est frappant que dans les enquêtes et missions parlementaires il soit laissé peu de places aux représentants des salariés alors qu’ils sont les seuls en capacité d’enrichir la réflexion en apportant un autre point de vue sur de nombreux sujets, et permettraient de questionner, au-delà des choix des actionnaires, le pilotage général de l’économie par les critères de la rentabilité du capital. Prenons un exemple à la mode en ce moment : la vente de masse des voitures SUV, absurdement lourdes au regard des enjeux écologiques, grevant le bilan carbone de la France pour des décennies et impactant la sécurité routière vis-à-vis des cyclistes et des piétons. Cela a été très vite un choix des actionnaires des grands groupes automobiles de privilégier ce type de véhicule, car dégageant plus de marge de profit. Pourtant depuis deux décennies, les syndicats n’ont cessé de crier dans le désert – bien avant que les ONG ou les think tanks de l’écologie se penchent sur le sujet – pour dénoncer l’absurdité d’une telle politique et la nécessité de produire au contraire de petits véhicules légers, pas chers et économes en énergie.
Le dossier que vous avez entre vos mains est pleinement dans ce sujet, celui de la démocratie et des pouvoirs des salariés dans l’entreprise, à faire grandir et qui serait salutaire pour les emplois et les objectifs écologiques. Nous le devons dans sa quasi-intégralité au travail de la rédaction du magazine Travailler au futur (TAF) qui a aimablement accepté qu’on puisse le reproduire ici. Qu’elle en soit à nouveau chaleureusement remerciée.
Puisse ce dossier faire progresser l’idée que l’entreprise ne doit plus se résumer à leurs propriétaires, mais aussi et avant tout aux salariés qui y travaillent et sont la clé et la réponse à nos problèmes contemporains.