Il ne saurait y avoir de politique de transition énergétique cohérente sans politique industrielle affranchie des dogmes du libéralisme mondialisé. Rien de tel pour s’en convaincre que le parcours de Photowatt, l’un des derniers acteurs du photovoltaïque en Europe.
*Sabir Ramic est délégué syndical CGT de Photowatt. Sébastien Elka est ingénieur
Article paru dans le numéro 33 de progressistes (juillet-aout-septembre 2021)
Totem de la transition énergétique pour les uns, cheval de Troie du capitalisme « vert » en croisade contre le service public pour les autres, le solaire photovoltaïque est l’exemple parfait de l’incohérence des politiques de transition énergétique des dernières décennies.
TOUTES LES ÉNERGIES DÉCARBONÉES SONT NÉCESSAIRES
L’électricité issue des panneaux solaires est par nature une énergie intermittente, avec ce que cela implique de besoins de stockage et de difficultés pour la gestion du réseau. Relativement peu efficace en termes de production, c’est pourtant une électricité disponible en abondance, très peu carbonée, fiable, très souple de déploiement et d’installation, de moins en moins coûteuse et dont la consommation de matériaux rares ou la recyclabilité sont de mieux en mieux maîtrisées. Ces qualités la rendent particulièrement adaptée à un certain nombre d’usages, comme l’alimentation électrique de lieux mal connectés au réseau, la recharge de véhicules électriques, la production de froid ou encore la production électrique de masse dans les régions à très fort ensoleillement.
Surtout, eu égard à l’ampleur des enjeux de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, il est clair qu’aucune filière énergétique ne dispose aujourd’hui de la capacité industrielle, financière ni même technique à répondre seule et dans les délais de l’urgence climatique aux défis de la transition énergétique. Même en France, où le mix électrique actuel est très largement décarboné, et même en réalisant toutes les économies d’énergie possibles, l’objectif de neutralité carbone impose d’électrifier massivement les transports, la production de chaleur et les procédés industriels qui pourront l’être. La filière nucléaire française, abîmée par vingt-cinq ans d’indécision politique et limitée par des temps de développement très longs, ne pourra pas, dans les vingt ans qui viennent, à la fois renouveler son parc vieillissant, aider à décarboner la production de chaleur et répondre seule à des besoins électriques croissants. Les énergies renouvelables ont donc un rôle majeur à jouer dans la transition énergétique française comme dans celle de tous les pays, et face aux limites de l’hydroélectricité comme de l’éolien, le solaire photovoltaïque est appelé à connaître un très fort développement.
Aucune filière énergétique ne dispose aujourd’hui de la capacité industrielle, financière ni même technique à répondre seule et dans les délais de l’urgence climatique aux défis de la transition énergétique.
Les énergéticiens ne s’y trompent pas, qui parient à peu près tous sur un accroissement massif de leurs capacités dans ce domaine. Guère original en la matière, le plan solaire d’EDF prétend ainsi faire du groupe « le leader du photovoltaïque en France et l’un des leaders du solaire dans le monde à l’horizon 2035 », avec d’importantes nouvelles installations chaque année, de l’ordre du gigawatt.
PHOTOWATT, HAUTE TECHNOLOGIE ET COURTE VUE POLITIQUE
Aujourd’hui, la quasi-totalité de la production mondiale de panneaux solaires est réalisée en Asie, principalement en Chine. Historiquement pionnière et toujours en pointe en matière de recherche, l’Europe ne dispose pourtant plus que d’une poignée d’acteurs industriels, essorés par des années de dumping asiatique sur fond de concurrence libérée, mal connectés les uns aux autres et privés de politique industrielle cohérente.

L’histoire de Photowatt illustre bien cette situation. Fondée en 1979 à Bourgoin-Jallieu, en Isère, l’entreprise a même été à la fin des années 1990 le numéro trois mondial dans son domaine. Mais la décennie suivante a été une descente aux enfers pour l’entreprise, qui en 2011 dut être mise en redressement judiciaire. En campagne pour sa réélection, Nicolas Sarkozy imposa alors sa reprise par EDF. Pour les salariés, cette intégration à un groupe solide et prestigieux fut d’abord un soulagement et un grand espoir… mais ils ne tardèrent pas à constater que ce soutien imposé par le pouvoir politique n’était accompagné d’aucune
Pour honorer ses engagements vis-à-vis du politique, depuis dix ans EDF a épongé année après année les pertes de Photo – watt ; il s’agit de dizaines de millions d’euros dont on peut se dire qu’ils auraient été mieux employés à investir dans un outil industriel capable de produire suffisamment pour être en mesure de ré pondre aux grands appels d’offres et à maintenir l’entreprise en pointe des évolutions technologiques.
Car le photovoltaïque est une industrie de haute technologie, mobilisant des savoir-faire pointus et des équipements de pointe. Face à la montée de la concurrence asiatique, Photowatt, EDF et le CEA s’étaient, en 2007, réunis au sein de PV Alliance avec pour but de l’affronter par une montée en gamme technologique. Les chercheurs de l’Institut national de l’énergie solaire (INES) du CEA à Chambéry avaient développé une technologie prometteuse de cellules à hétérojonction permettant d’obtenir des rendements énergétiques supérieurs à ceux qu’offraient les technologies existantes, et l’argent investi dans PV Alliance devait permettre de mûrir cette technologie afin de la transférer à Photowatt. Plus de 70 M€ d’argent public ont été attribués à PV Alliance avant sa dissolution, en 2016 ; mais entre hésitations et désengagement, seuls des transferts technologiques secondaires ont eu lieu.
DU SOLAIRE TRÈS BAS CARBONE… GRÂCE AU NUCLÉAIRE FRANÇAIS
Ainsi, Photowatt s’est finalement spécialisé dans le photovoltaïque très bas carbone, ce qui est utile pour répondre à certains appels d’offres français ou européens, mais qui n’est qu’un positionnement de niche alors que l’enjeu majeur au niveau mondial restait l’amélioration des rendements énergétiques. Du fait de ce positionnement, aujourd’hui les 220 employés ne produisent guère de modules (panneaux) complets, ni même de cellules, car l’entreprise s’est spécialisée dans la production de plaquettes (wafers), la partie la plus électro-intensive de la chaîne de valeur. Un tel positionnement lui permet de bénéficier du mix électrique français très peu carboné, d’autant que Photowatt a fait le choix du silicium mono-like, une technologie moins performante que le monocristallin – devenu le standard mondial –, mais moins chère à produire et, surtout, moins énergivore.
Depuis 2018, Photowatt s’est ainsi positionné sur la fourniture à ses clients – essentiellement chinois – de wafers bas carbone made in France permettant de produire (en Chine !) des cellules et panneaux adaptés aux exigences de faible poids carbone des appels d’offres français et européens…
Photowatt s’est ainsi positionné sur la fourniture à ses clients de wafers bas carbone made in France permettant de produire (en Chine!) des cellules et panneaux adaptés aux exigences de faible poids carbone des appels d’offres français et européens…
En 2021, EDF a fait connaître sa volonté de vendre l’entreprise, avant de se raviser et de laisser entendre aux salariés que l’investissement longtemps attendu serait réalisé pour augmenter la capacité de production et passer à des wafers de 210 mm de large, la chaîne de production à 166 mm devenant obsolète.
UNE POLITIQUE DE MARCHÉ LIBRE, DESTRUCTRICE POUR L’INDUSTRIE
À travers le cas de Photowatt, c’est une fois de plus l’absence de politique industrielle dans notre pays qui est illustrée, jusque dans une filière de haute technologie aux enjeux stratégiques majeurs. La France compte toujours des savoir-faire variés dans le photovoltaïque, avec des entreprises comme le raffineur de silicium Ferropem, le fabricant grenoblois de fours à silicium PV ECM, des assembleurs de panneaux solaires comme Voltec en Alsace ou Recom en Bretagne, et bien sûr une kyrielle d’installateurs. Or sur la chaîne industrielle toutes les entreprises sont de petite taille, dépendantes de clients ou de donneurs d’ordre lointains, soumises aux irrationalités du grand marché mondialisé.
Cette faiblesse industrielle nous prive de la possibilité de tirer les fruits de l’argent public investi notamment dans la recherche. Sans parler de la recherche strictement universitaire, la France dispose de deux centres d’excellence en matière de recherche photovoltaïque : l’INES, déjà mentionné, à Chambéry et l’Institut photovoltaïque d’Île-de- France à Paris-Saclay. Et les technologies d’avenir explorées dans les laboratoires de ces instituts ne manquent pas, qu’il s’agisse des cellules tandem, bifaciales, pérovskites ou souples, de l’intégration en bâtiment, voire en zone agricole, ou de l’intégration des systèmes solaires au réseau électrique. Cela dit, les fruits de la recherche doivent pouvoir être transférés à des industriels à même de les industrialiser sur le territoire national, dans une perspective de développement industriel de long terme et de cohérence avec les perspectives de transition énergétique.
UNE POLITIQUE DE MARCHÉ, ENCORE ET TOUJOURS
Nous sommes manifestement encore bien loin de cette cohérence, si l’on en juge par les développements récents autour de la technologie d’hétérojonction. Après l’échec du transfert à Photowatt, le CEA a continué à soutenir la maturation de cette technologie prometteuse, en relation avec des industriels européens, mais pas français. Fin 2020, un projet visant la construction à Hambach, en Moselle, d’une usine de panneaux solaires basés sur cette technologie a été rendu public. Projet porté par REC Solar, un groupe norvégien à capitaux… chinois. D’après le CEA, avec des garanties protégeant l’exploitation en France des brevets de la recherche publique… Depuis, le projet de Hambach a été contesté par des associations écologistes locales, et REC Solar a été revendu à un groupe indien, qui n’a encore communiqué sur ce projet que de manière ambiguë.
Fin août 2021, le Premier ministre Jean Castex indiquait que le solaire constituait l’axe prioritaire de la stratégie gouvernementale en matière d’énergies renouvelables. Et quelques semaines plus tard la ministre de la Transition énergétique Barbara Pompili annonçait des mesures de soutien au déploiement de projets photovoltaïques. Une fois de plus une politique de marché. La politique industrielle, elle, attend toujours.
Une réflexion sur “Photowatt, ou les errements d’une non-politique de transition énergétique, Samir Rabic et Sébastien Elka*”