La chasse n’est pas ce que l’on croit… , Jean-Michel Carrétéro*

Jean-Michel Carrétéro revient sur l’idée selon laquelle la chasse est une pratique antiécologique. Les actions concrètes que mènent les chasseurs en faveur de la biodiversité dans un contexte de profondes transformations des milieux ruraux apparaissent à rebours des idées reçues, et incitent à poser autrement la problématique.

propos recueillis par Jean-Claude Cheinet, géographe, ancien adjoint au maire de Martigues.

*Jean-Michel Carrétéro est conseiller municipal de Lambesc (Bouches-du-Rhône), administrateur de la société de chasse communale, pilote d’un plan de développement « perdrix rouges », référent « petit gibier » auprès de la FDC 13.

Progressistes : La chasse est décriée… En tant que chasseur, que vous suggère cette situation tendue ?

Jean-Michel Carrétéro : Il est vrai que la chasse, le plus souvent médiatisée de manière superficielle et péjorative, a aujourd’hui mauvaise presse dans l’opinion publique. Du reste, deux candidats à la dernière présidentielle (EELV et LFI) ont avancé l’idée de supprimer la chasse le dimanche, les jours fériés et durant les vacances scolaires. Cette mesure électoraliste brutale aurait remis largement en cause un droit populaire gagné à la Révolution, créé de nouvelles et inutiles divisions et porté le tort de priver les territoires de la présence sentinelle des chasseurs. De leur côté, les chasseurs, très nombreux, plaident en faveur d’un partage sans exclusive et apaisé des espaces naturels. Qu’il s’agisse de sécurité, de sujets liés aux activités cynégétiques ou à la santé des écosystèmes, les chasseurs sont demandeurs d’un dialogue respectueux et constructif avec l’ensemble des institutions, des acteurs de la ruralité et des défenseurs de la nature.

Cela dit, ces tensions interrogent le monde de la chasse qui, sans dramatiser, doit poursuivre et amplifier sa réflexion et ses actions visant à concilier chasse et nature, à mieux faire connaître son rôle spécifique en faveur de la biodiversité. Les chasseurs avancent dans ce sens depuis de nombreuses années. Cette anticipation leur offre de solides moyens pour résoudre ce qui a pris la forme d’une crise existentielle.

Je comprends que l’on rejette l’idée de tuer des bêtes par loisir. Nous touchons ici à l’insoluble contradiction de la chasse. Je n’ai jamais trouvé les mots pour exprimer mon ressenti sur cette autre chose qu’est la chasse et qui va bien au-delà d’un coup de fusil… Je ne peux qu’assumer cet indicible et singulier rapport homme-nature, duquel, aussi curieux que cela puisse paraître, a émergé ma conscience écologique. En revanche, par honnêteté intellectuelle, il m’est plus difficile d’accepter le discours délétère de ceux qui, déniant des réalités plus complexes, s’en tiennent à un réquisitoire anti-chasse, ne voyant dans cette activité qu’un antagonisme absolu à la cause de la biodiversité.

Progressistes : À quelles réalités complexes faites-vous allusion ?

J.-M.C. : Chasseur-citoyen, je ne peux les aborder qu’à partir du vécu… Mais Lambesc est représentatif d’une situation générale. J’ai commencé à chasser à l’âge de seize ans, à la fin des années 1960. Réparti entre massifs forestiers, garrigues et plaines agricoles, le territoire de ma chasse communale s’est rétréci : il comprenait alors plus de 4000 ha (≈ 2500 ha en 2021) pour une superficie communale de 6500 ha. Le village comptait 2500 âmes (10000 en 2021). La zone urbaine n’occupait que le centre médiéval. Alentour, un environnement très préservé avec un riche patrimoine cynégétique naturel, composé notamment de milliers de lapins, de centaines de perdrix rouges… Les migrations aviaires ramenaient dans notre ciel d’octobre de grandes densités de turdidés, une multitude d’espèces de passereaux. La société de chasse communale fédérait 400 adhérents (≈ 180 en 2021).

Vrai mode de vie partagé, la chasse imprégnait le quotidien du village. Me croira-t-on si je dis qu’il était d’usage de partir à pied de chez soi, fusil sur l’épaule et cartouchière à la ceinture, pour « une sortie du matin ou du soir », sans que personne ne trouvât à redire ? Au retour, il n’était pas rare de faire plaisir dans le voisinage en offrant un lapin ou six grives…

Ces tensions interrogent le monde de la chasse qui doit poursuivre et amplifier sa réflexion et ses actions visant à concilier chasse et nature, à mieux faire connaître son rôle spécifique en faveur de la biodiversité.

À l’époque, avec environ 110-120 exploitations familiales, l’agriculture locale se caractérisait par une grande diversification de productions, dont une large partie était commercialisée en circuit court auprès des trois conserveries locales, industries aujourd’hui disparues. La surface agricole utile (SAU) formait un patchwork qui à un vignoble fort de sa cave coopérative mêlait une grande variété de cultures maraîchères, des vergers « tutti frutti », des productions céréalières sèches. À cette mosaïque s’ajoutaient de nombreuses prairies pérennes, des parcelles de sainfoin et de luzerne. Liée à une activité d’élevage extensif (vaches laitières, ovins), cette production fourragère offrait le double avantage d’un engrais organique abondant et d’un milieu très favorable au développement d’une foule d’insectes et de scarabées dont se nourrissent les oiseaux.

Ce contexte socioéconomique et écologique va basculer en deux décennies (1980 et 1990), sous les chocs simultanés du mouvement néorural et de la crise agricole. À Lambesc, comme dans l’immense majorité des communes rurales de la très attractive région PACA, les plans d’occupation des sols vont répondre à la forte demande de « vivre en ville à la campagne », et la canaliser. Cet exode rural à l’envers a généré une urbanisation très consommatrice d’espaces naturels ou agricoles. La multiplication des permis de construire en zone NB1 a alimenté la spéculation foncière et immobilière entraînant fragmentations écologiques et destruction irréversible de nombreux et vastes habitats naturels de la faune sauvage.

Il est vrai que la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) du 13 décembre 2000), inspiratrice des plans locaux d’urbanisme (PLU) a corrigé et incité à construire la ville sur la ville, à intégrer les logiques de développement durable, à cesser d’abîmer les territoires. Toutefois, la coexistence entre population traditionnelle et nouveaux arrivants n’a pas toujours été facile à s’établir.

Autre choc pour la chasse : la crise de l’agriculture française a empiré sur trois décennies dans les logiques économiques inhérentes à l’élargissement de l’Europe aux pays du Sud en 1986, ce qui fera de l’Espagne « le jardin de l’Europe ». De mondialisation (1990) en réforme de la politique agricole européenne de 1992, la même logique guide la Commission européenne, pour laquelle un bon agriculteur se doit d’être compétitif face à ses concurrents européens et du bout du monde, quoi qu’il en coûte à la santé de l’environnement et des êtres humains et sans qu’il ait à s’embarrasser des funestes conséquences du dumping écologique et social sur la planète.

Sur son site internet, la Fédération nationale des chasseurs (FNC) revendique 500000 bénévoles, chasseurs et non chasseurs, qui s’impliquent dans la gestion du gibier et des milieux naturels.

La PAC finance à 80 % l’agrochimie, le développement des monocultures. Ce principe fonde la politique publique agricole européenne ; la France est inféodée à ce modèle agricole. Cette politique néfaste a provoqué un effondrement de la biodiversité animale, florale et végétale (adventices) dans les milieux agricoles. Les dirigeants européens et français détournent les yeux de cette catastrophe, se retranchent derrière le laisser-faire. En revanche, c’est haro sur la chasse ; on le voit lorsque la Cour de justice de l’Union européenne se prononce contre la chasse à la glu, une pratique de capture ancestrale, ultra-marginale, sélective et non létale, et que Mme Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, confortée par le Conseil d’État, la fait interdire en France.

La politique publique agricole européenne a provoqué un effondrement de la biodiversité animale, florale et végétale. Les dirigeants européens et français détournent les yeux de cette catastrophe. En revanche, c’est haro sur la chasse.

Concernant la chute libre de la biodiversité, le sujet n’est pas de mettre en accusation les agriculteurs, d’ailleurs conscients que le système actuel ne peut pas durer, mais d’inverser les orientations politiques européennes et nationales pour placer l’agroécologie, reposant sur la coexistence entre la production agricole et la biodiversité, la nature, au cœur d’une politique agricole novatrice. Il est urgent et nécessaire de mettre en place une réforme audacieuse de la PAC, engageant une transformation systémique du modèle actuel. Dit autrement, la PAC doit extraire l’agroécologie de ses discours creux pour la mettre dans ses actes, en finançant à 80 % des mesures agro-environnementales, des contrats d’agriculture durable. Le frein à ce développement responsable n’est pas économique… il est politique !

À Lambesc comme ailleurs, l’artificialisation des sols en milieux naturels et agricoles, le recul des habitats naturels, l’agro chimie, les maladies ont particulièrement impacté le patrimoine cynégétique naturel. Myxomatose et VHD, ces maladies virales créées en laboratoire, ont décimé les populations de lapins sauvages. Depuis plus de trente ans, malgré des résultats aléatoires, les chasseurs, sans mesurer leurs efforts et leur temps, s’obstinent à préserver cette espèce lagomorphe avec agrainoirs, points d’eau, abris… Particulièrement vulnérables aux herbicides et aux insecticides, les populations de perdrix rouges ont chuté de manière vertigineuse au cours des décennies 1980 et 1990. La pression de chasse n’explique pas tout… Presque tous les territoires cynégétiques de la région PACA sont concernés par le risque de disparition de la belle Alectoris rufa. De longue date, les sociétés de chasse en ayant pris conscience, ont significativement réduit les quotas de prélèvements : fermetures des périodes de chasse antérieures aux dates préfectorales ; mise en place d’un carnet de prélèvement maximal ; création et gestion de nombreuses réserves supérieures à 10 % du territoire de chasse (objectif des associations de chasse communales agrées [ACCA]). Au niveau national, les ACCA gèrent 1 500 000 ha de réserves de chasses, soit 10 fois la superficie des parcs nationaux.

Partageant le même espace social, économique et écologique, n’est-il pas temps, dans une approche multiacteurs, de dépasser nos désaccords, nos tensions inutiles pour produire du commun?

En région PACA, avec l’aide précieuse de l’Institut méditerranéen qu’anime le docteur Jean-Claude Ricci, de nombreuses sociétés de chasse communales, mais aussi privées, conduisent des actions de reconstitution de populations de perdrix rouges. Et qui d’autre que des chasseurs pour mener à bien ces opérations de conservation ?

Progressistes : Vous évoquez le rôle spécifique du monde de la chasse au cœur des territoires ruraux. Comment définiriez-vous ce rôle ?

J.-M.C. : D’abord, par la réalité des faits : au carrefour des enjeux de loisir, écologiques, économiques et… politiques, le monde de la chasse porte de lourdes responsabilités à caractères cynégétiques et écologiques. À cela s’ajoutent des missions spécifiques d’intérêt général et de service public confiées par l’État. Les organisations cynégétiques assument cette charge en lien avec de nombreuses institutions : ministères compétents, préfectures, DDTM (directions départementales des territoires et de la mer), Office français de la biodiversité (OFB), régions, départements, communes, chambres d’agricultures, parcs nationaux et régionaux…

Pour Jean-Michel Carrétéro, nos choix politiques agricoles sont responsables de la chute de la biodiversité, et non les chasseurs et les agriculteurs.

Organisé sous la tutelle hiérarchique des fédérations nationale, régionales, départementales et d’un vaste maillage d’associations de chasses communales ou privées, le monde de la chasse agit dans le cadre législatif en vigueur et de ses statuts internes, qui se déclinent verticalement du national au local.

En trait d’union avec les fédérations régionales et nationale, les fédérations départementales, régies par la loi du 26 juillet 2000, sont des associations loi 1901 chargées de missions de service public. Dans la proximité, elles tiennent un rôle de cordon ombilical reliant en aller-retour les fédérations aux sociétés de chasse locales. Le schéma départemental de gestion cynégétique constitue la feuille de route co-élaborée, collective et interactive, définissant par le détail l’ensemble des activités cynégétiques à l’échelle d’un département. Cette planification obligatoire précise les règles communes, notamment liées :

  • aux caractéristiques des modes de chasses départementaux ;
  • aux spécificités cynégétiques départementales ;
  • aux spécificités territoriales : forêts, zones humides, milieux agricoles ;
  • au projet cynégétique et faunistique : connaissance et gestion des espèces ; équilibre agro-sylvo-cynégétique;
  • à la sécurité des personnes durant les actions de chasse et à la vigilance sanitaire de la faune;
  • au développement cynégétique et à la protection des habitats naturels dans les territoires ;
  • à la gestion des espèces susceptibles d’occasionner des dégâts, à l’indemnisation des dégâts agricoles causés par le grand gibier…

À cela s’ajoutent des missions d’intérêt général, de service public et technique :

  • représentation officielle de la chasse auprès des institutions ;
  • surveillance des territoires, lutte contre le braconnage;
  • encadrement des prélèvements et sauvegarde des habitats naturels ;
  • expertise et indemnisation des dégâts dus au grand gibier sur les cultures ;
  • validation des permis de chasser ;
  • formation et information des chasseurs ;
  • élaboration des diagnostics quantitatifs et qualitatifs des territoires, du patrimoine cynégétique.

Ce dense inventaire indique, s’il le fallait, l’utilité spécifique du monde de la chasse aux territoires, à travers son engagement permanent en faveur d’une chasse durable et éthique, de la protection des écosystèmes, de la préservation et du développement de la biodiversité.

Progressistes : Selon vous, quelles sont aujourd’hui les priorités du monde de la chasse ?

J.-M.C. : Les territoires constituent un enjeu de société central. Le territoire est notre bien commun, notre dénominateur commun ! Cela nous invite tous, chasseurs, non-chasseurs, amoureux de la nature, décideurs politiques et économiques à acter nos choix, à produire nos actes de manière responsable. C’est-à-dire en appréhendant de manière éclairée les rapports qu’entretiennent les activités humaines avec leur territoire et, indissociablement, en toute connaissance de l’écologie des espèces, de la relation vitale que ces dernières entretiennent avec leurs milieux. Partageant le même espace social, économique et éco logique, n’est-il pas temps, dans une approche multi-acteurs, de dépasser nos désaccords, nos tensions inutiles pour produire du commun ? Avec ce noble objectif en tête, le monde de la chasse trépigne d’être reconnu dans son rôle d’acteur territorial pour mieux agir du local au national, pour tenir sa place et son rôle :

  • en s’appropriant les connaissances dans les domaines de la biologie des espèces, de l’écologie des écosystèmes ;
  • en considérant les enjeux cynégétiques de manière durable, par la généralisation des actions éco-cynégétiques de conservation et de développement des espèces chassées ;
  • en coopérant avec le monde agricole pour prévenir les dégâts grand gibier, préserver ou reconstituer les haies, inciter à une moindre utilisation des pesticides ;
  • en participant au maintien des grands équilibres agro-sylvo-cynégétiques-écologiques ;
  • en réparant les milieux forestiers après les grands incendies;
  • en participant à l’élaboration des Scot (schémas de cohérence territoriale), des PLUI (plans locaux d’urbanisme intercommunal) et PLU;
  • en s’opposant à l’artificialisation des sols déconnectée de l’intérêt général ;
  • en encourageant le développement des ACCA, etc.

En s’adossant à la multiplicité de ses organisations, à ses puissantes ressources humaines, je pense que la priorité première du monde de la chasse serait d’oser une grande initiative, en créant partout sur le territoire national des espaces de dialogue pour coconstruire des projets de territoires durables dans la diversité des situations. Cette grande affaire pourrait réunir les coopérations du monde scientifique, des élus locaux et territoriaux, des agriculteurs et des chambres d’agriculture, du tissu économique, des propriétaires forestiers et de l’ONF, de l’OFB, des préfectures et des DDTM, des associations écologistes et citoyennes.

Rien n’est jamais facile, mais aux incrédules je confierais volontiers ce mot de Nelson Mandela : « On croit toujours que c’est impossible, jusqu’à ce que quelqu’un le fasse. »

2 réflexions sur “La chasse n’est pas ce que l’on croit… , Jean-Michel Carrétéro*

  1. L’Indecosa Toulon va probablement publier un papier des défenseurs des animaux, de la vie et de la biodiversité. J’espère. Philippe Chesneau

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