La science est indispensable pour rehausser le débat politique, Luc Foulquier*

Comment mener le nécessaire débat politique et appréhender la nature de la démarche scientifique ? L’auteur,
riche d’une expérience de cinquante ans de recherche en écotoxicologie et d’activités politiques, nous livre
ses réflexions.

*Luc Foulquier est ingénieur chercheur en écotoxicologie.

Article paru dans le numéro 32 de progressistes (avril-mai-juin 2021)

DÉBAT SCIENTIFIQUE ET DÉBAT PUBLIC

Le thème n’est pas nouveau, mais il revêt dans cette période de crise générale et thématiques (civilisation, santé, environnement, morale…) une acuité nouvelle. C’est le cas de la stratégie énergétique, de la santé environnementale, de la transition écologique, de la bataille pour l’accès aux métaux.

Dans la gestion de la pandémie liée à la covid-19, on a « découvert » les maladies infectieuses, les virus et les conseillers scientifiques du président de la République. On observe l’en – quête interne à l’université sur les études du professeur Raoult, la complexité du processus de la recherche, de la validation des résultats et l’intégrité scientifique. On mélange le débat scientifique et le débat public. Cela contribue à augmenter les confusions, les instrumentalisations et les fausses nouvelles. Il en résulte entre autres que, en France, beaucoup doutent de l’intérêt de se faire vacciner et que la majorité des jeunes croient que les centrales nucléaires sont responsables de l’augmentation du CO2 !

LA DÉMARCHE SCIENTIFIQUE

Quand l’information spectacle, les « faiseurs d’opinions » et les experts autoproclamés dominent, ce n’est pas la pensée rationnelle qui peut l’emporter.

Les mensonges circulent vite, le réel,lui, met du temps à être appréhendé. La politique en place a intérêt à donner plus de place à une immédiateté qui paraît évidente plutôt qu’à la nécessité de prendre son temps pour comprendre.

Les Demoiselles d’Avignon de Picasso : un tableau considéré comme horrible à l’époque où il fut présenté au public.

On donne – on exhibe –des résultats, mais on n’explique guère que le chemin à suivre comme les moyens utilisés pour les obtenir sont aussi essentiels à connaître pour les assimiler. Or la compréhension de cette démarche permet de sortir des peurs permanentes et de revenir aux compétences, aux programmes scolaires et à la formation permanente.Il est très dangereux de croire savoir avant d’apprendre et d’oublier que le travail a un caractère collectif.

SATISFAIRE DES BESOINS ET COMPRENDRE LE MONDE

Il y a un lien évident entre le besoin d’industries, de sciences et de techniques pour produire autrement et induire d’autres modes de consommation. Un renouveau sociétal ne se fera pas sans développement de la recherche et de la culture scientifique et technique.La politique actuelle et la formation des responsables de l’appareil d’État comme des « politiques » est loin de répondre à cette exigence. On parle beaucoup de consensus, de confiance… mais, comment l’obtenir quand la gestion du pays ne repose pas fondamentalement sur la satisfaction des besoins, sur la réduction des inégalités et la volonté de s’approprier les savoirs pour agir en connaissance de cause ? Ne pas aborder sérieusement ces sujets ouvre la voie aux tenants de la collapsologie. La question essentielle liée à notre caractéristique d’espèce humaine,qui a la particularité de pouvoir comprendre ce qui nous entoure,réside dans la façon dont nous organisons nos rapports entre humains et avec la nature. Dans beaucoup de livres et d’articles, cette question est toujours sous-jacente, avec ou sans réponse[1]Sylvestre Huet, « Choix technologiques, démocratie et savoirs : comment sortir de l’impasse ? », conférence à la Fondation Gabriel-Péri, 4 mai 2012. http://www.gabrielperi.fr. Étienne Klein, le Goût du vrai, Gallimard, coll. Tract, 2016.Pierre-André Cabanes, « La décision éclairée », in Environnement, Risques & Santé, vol. 19, no 3, mai-juin 2020,p. 165-167.Luc Foulquier, « De la science à la décision politique pour l’environnement », in Environnement, Risques & Santé,vol. 19, no 3, mai-juin 2020, p. 194-199. Yorghos Remvikos, « Science et décision ou le difficile problème de la traduction », in Environnement, Risques &Santé, vol. 19, no 3, mai-juin 2020, p. 190-193. Jean Lesne, « Réviser le système de recherche pour ranimer la confiance sociale dans la science », in Environnement, Risques & Santé, vol. 20, no 1, janv.-févr. 2021, p. 53- 67.Jean-Michel Besnier, Catherine Leport, Jean Guégan, « Comment (ré)instaurer la confiance entre citoyens et scientifiques ? », l’Humanité du 26 juin 2021.. Édouard Brézin, ancien président de l’Académie des sciences, écrivait :« La science ce n’est pas seulement faire des produits, c’est aussi notre relation au monde, c’est une façon d’être dans notre planète et de comprendre notre destin d’humain.2 »Pour cela, il faut beaucoup d’humilité et prendre le risque de s’exprimer. Il y a trop de scientifiques qui n’osent plus le faire face au relativisme ambiant et à leur « réserve » alors que d’autres utilisent les vents dominants et font du scientisme au service de leur idéologie. C’est particulièrement net en matière d’écologie : on ne sait plus si c’est une science qui appartient à tous ou un parti politique.

COMPRENDRE LA COMPLEXITÉ DU RÉEL

Une pensée dialectique est plus efficace qu’un raisonnement « référendaire » de type oui ou non. Ce n’est pas le consensus qu’il faut chercher; il est bien plus important d’organiser les vrais débats pour comprendre. Pour le reste, il n’y a pas de politique mais des politiques qui défendent des intérêts différents.La science n’a rien à voir avec cela,mais elle nous permet de comprendre.En tout état de cause, il faut en tenir compte avant de prendre des décisions. Quand on ne le fait pas,on arrive vite à des désastres (gestion de la covid au Brésil, utilisation des théories racistes, négation des vérités connues…). Nous savons qu’appréhender le réel est difficile, que cela demande des efforts. Le réel n’est pas spontanément reconnu parce que, le plus souvent,il n’est pas visible – c’est le cas de l’énergie et de la structure de la matière– ou qu’il contredit ce qui se manifeste comme une évidence : ainsi, des affirmations en apparence exactes comme « le soleil se lève » se révèlent scientifiquement fausses. Il en est de même de la lutte des classes, qui existe mais qui a besoin du détour théorique de Karl Marx pour être révélée. C’est le même problème dans le domaine de l’art, comme l’illustre le cas d’un tableau de Picasso, « les Demoiselles d’Avignon », qui fut considéré comme horrible à l’époque où il fut présenté au public.On ne peut pas avoir une vision dépolitisée de la politique, pas plus qu’une vision neutre de la science et de la technique. Les savoirs sont complexes, le mouvement est inévitable et l’équilibre n’est que relatif. La notion de progrès des connaissances est une caractéristique de notre espèce. D’où le besoin de culture scientifique et technique. Sion prive la société de cette approche du complexe, on se réserve des lendemains qui déchantent !L’échec de beaucoup de non-débats sur l’énergie, les pesticides, les OGM, les nanomatériaux… tient en grande partie à cette cassure entre le spontané,l’opinion, la croyance qui caractérisent l’état idéologique de la société et la démarche rationnelle d’acquisition des connaissances, de diffusion d’informations réelles. Les mensonges circulent vite, le réel, lui, met du temps à être appréhendé. La politique en place a intérêt à donner plus de place à une immédiateté qui paraît évidente plutôt qu’à la nécessité de prendre son temps pour comprendre.

« Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté,de jouir des arts et de participer au progrès scientifiques et aux bienfaits qui en résultent. » Extrait de l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948).

Quand on met en face, au même niveau, dans une rencontre télévisée sur l’énergie, le Prix Nobel Georges Charpak et la députée Dominique Voynet, on nous offre une caricature de débat, car les deux personnalités ne parlent pas de la même chose.Par contre, le débat entre un(e)responsable politique qui demanderait des informations sur la virologie, Il y a trop de scientifiques qui n’osent plus le faire face au relativisme ambiant et à leur « réserve » alors que d’autres utilisent les vents dominants et font du scientisme au service de leur idéologie. l’écosystème, la biodiversité… pour l’aider à prendre de bonnes décisions serait utile à tout le monde. Le biométricien Alain Pavé écrit : « De fait, la biodiversité et ceux qui en parlent nous ballotent entre des visions scientifiques et des récits plus ou moins fantasmés, comme ceux des dessins animés ». Et il précise qu’il faut « tenter de distinguer les discours de la science et de l’écologie scientifique et ceux des idéologies politiques ou religieuse sou provenant des médias, des amateurs plus ou moins éclairés. »

SORTIR DE L’INSTRUMENTALISATION ET DE LA PROPAGANDE

Il faut revenir sur ce qu’est la validation des données scientifiques quand certaines associations n’ont pas les contraintes indispensables des scientifiques et peuvent « publier »sans contrôle. Sinon, même le Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) devient suspect quand il inclut le nucléaire dans les énergies décarbonées !Ce n’est pas l’ajout du préfixe éco qui fait une autre politique. Il n’y aurait plus le citoyen mais l’écocitoyen!Bel exemple d’instrumentalisation dogmatique d’une discipline, l’écologie, et des travaux des écologues !Comprendre que des catastrophes sont possibles, donc qu’il faut tout faire pour les éviter, n’a rien à voir avec l’effondrement de notre civilisation techno-industrielle. Ce n’est pas l’industrie, la science, les scientifiques qui sont en cause. C’est de la politique industrielle, de la place de la science et des chercheurs dans la société qu’il faut débattre.Heureusement qu’il y a des résistances de scientifiques et de journalistes face à la bien-pensance. Il n’y a pas plus de science citoyenne que de science bourgeoise. Il y a des débats et un travail nécessaire pour comprendre et acquérir les connaissances nécessaire pour agir au mieux. Pour cela, il y a besoin de scientifiques, de chercheurs,d’enseignants à qui l’on donne la parole et qu’on écoute; il y a besoin aussi des moyens financiers nécessaires à leur tâche.La Déclaration des droits de l’homme (10 décembre 1948) indique dans son article 27 que « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté,de jouir des arts et de participer au progrès scientifiques et aux bienfaits qui en résultent. Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique ». C’est aux responsables politiques de faire appliquer cette déclaration. On ne discute pas de l’acceptabilité de la théorie de l’évolution ou de la relation entre la matière et l’énergie.Ce sont des données scientifiques dont on doit tenir compte. Ce n’est pas la science qui gouverne mais elle permet d’intervenir sur l’environnement et la société. C’est un combat, car la fausseté d’un propos ne suffit pas à le faire disparaître.

1. Sylvestre Huet, « Choix technologiques, démocratie et savoirs : comment sortir de l’impasse ? », conférence à la Fondation Gabriel-Péri, 4 mai 2012. http://www.gabrielperi.fr. Étienne Klein, le Goût du vrai, Gallimard, coll. Tract, 2016.Pierre-André Cabanes, « La décision éclairée », in Environnement, Risques & Santé, vol. 19, no 3, mai-juin 2020,p. 165-167.Luc Foulquier, « De la science à la décision politique pour l’environnement », in Environnement, Risques & Santé,vol. 19, no 3, mai-juin 2020, p. 194-199. Yorghos Remvikos, « Science et décision ou le difficile problème de la traduction », in Environnement, Risques &Santé, vol. 19, no 3, mai-juin 2020, p. 190-193. Jean Lesne, « Réviser le système de recherche pour ranimer la confiance sociale dans la science », in Environnement, Risques & Santé, vol. 20, no 1, janv.-févr. 2021, p. 53- 67.Jean-Michel Besnier, Catherine Leport, Jean Guégan, « Comment (ré)instaurer la confiance entre citoyens et scientifiques ? », l’Humanité du 26 juin 2021.

2. Édoaurd Brézin, André Chassaigne, Cécile Duflot, « Comment réconcilier science et politique ? », l’Humanité du 21 juin 2008.

3. Alain Pavé, Comprendre la biodiversité, Seuil, coll. Science ouverte, 2019

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