Jerémy Roggy
Ancrés localement dans leur grande majorité, ayant une audience large pour certains, les acteurs de la médiation scientifique sont les petites mains qui agissent au quotidien pour donner le goût des sciences au plus grand nombre. À juste titre, ils sont incontournables et crédibles pour construire la confiance lucide et éclairée chez les citoyens autour des sciences et des techniques et des enjeux environnementaux, pour faire le lien avec les chercheurs et chercheuses ainsi que les travailleurs et travailleuses des industries stratégiques appliquant les découvertes scientifiques venant des paillasses.
Pendant la pandémie, les médiateurs scientifiques, qu’ils soient indépendants ou rattachés à des institutions, ont réalisé un formidable travail d’explication et de popularisation des travaux scientifiques réalisés par les équipes de recherche du monde attelées à la découverte de traitements adaptés face au coronavirus, ainsi qu’un travail louable pour expliquer en détail les particularités de ce virus. Mais aussi et surtout, ils ont poursuivi avec ferveur leur travail régulier de valorisation et de partage des connaissances scientifiques, notamment sur les réseaux sociaux, et ce de manière originale et créative.
Avec la professionnalisation croissante du métier de médiateur scientifique, des contraintes réelles ont émergé. Celles-ci peuvent rendre ainsi l’accès à la profession moins aisé pour les nouveaux arrivants qui doivent redoubler d’originalité et de patience pour espérer gagner leur place. En effet, les contraintes matérielles et géographiques sont réelles : détention nécessaire du permis B voire d’un véhicule personnel, exercice du métier dans des métropoles où le coût de la vie peut être onéreux ou en milieu rural où le cadre de vie n’est pas systématiquement envié. Qui plus est, les difficultés à s’insérer durablement en l’absence d’un réseau fort de connaissances peuvent être marquées en début de carrière professionnelle. La question des diplômes nécessaires pour pouvoir travailler dans le secteur de la médiation scientifique devrait être également mis en question, pour permettre une harmonisation et une plus grande cohérence avec les finalités professionnelles visées.
Faut-il être obligatoirement titulaire du BAFA, ou bien d’une licence professionnelle en médiation scientifique et en éducation à l’environnement, ou bien encore d’un master en médiation scientifique ? Quid des diplômés dans un domaine scientifique précis au niveau licence, master et doctorat ? Dans quelle mesure les expériences plus ou moins ponctuelles en médiation, en journalisme et en communication scientifiques dans un cadre universitaire ou bénévole peuvent-elles être mieux valorisées ? À quelles finalités professionnelles – animation, médiation, direction – doivent être associés ces niveaux de diplômes, cette palette de qualifications professionnelles ? Également, quelles portes d’entrée accorder à celles et ceux qui ne sont pas nécessairement issus de formations scientifiques, mais qui veulent apporter des approches à la fois originales et sourcées pour expliquer et populariser les sciences ?
En outre, le statut, les rôles, la rémunération, les droits sociaux et le devenir des volontaires en service civique doivent être également posés : si ces acteurs remplissent des fonctions essentielles au bon fonctionnement des structures de médiation scientifique, il n’en demeure pas moins que leur position reste très précaire. Qui plus est, ce statut est plus fortement prisé par les étudiants et les jeunes diplômés, bien plus en proportion que par les jeunes peu qualifiés. Un double problème est alors soulevé : le service civique doit-il être une première porte d’entrée dans la médiation scientifique et son maintien est-il souhaitable ? Quel statut accorder aux jeunes peu qualifiés souhaitant contribuer et s’insérer activement et durablement dans les associations et les institutions de médiation scientifique ?
Par ailleurs, les statuts et les régimes juridiques divers des médiateurs et médiatrices scientifiques indépendants doivent être remis à plat pour garantir à la fois de la stabilité sur le long-terme, une reconnaissance légale de leur travail créatif, ainsi que le développement de nouvelles libertés professionnelles et de droits sociaux. L’exemple le plus marquant est celui des vidéastes scientifiques, particulièrement actifs sur Youtube, dont la majorité relèvent du statut d’auto-entrepreneur tout en indiquant des secteurs d’activités qui ne sont pas véritablement corrélés à leur activité réelle. Eux-mêmes reconnaissent ouvertement des freins au développement de leur secteur. Des facteurs déterminants entrent ici en jeu : la précarité financière de leur statut, la détention de matériel professionnel nécessaire pour développer des contenus de qualité, le temps long nécessaire pour développer une audience, pour garantir des sources de revenus pérennes au travers du mécénat de fans par l’intermédiaire de plateformes de dons en ligne, ou pour nouer des partenariats avec des institutions. La chance l’emporte alors sur un quelconque mérite.
Dans un contexte où le recrutement pérenne au travers de CDD voire de CDI reste restreint au sein des associations et des centres de médiation scientifique et en éducation à l’environnement, les nouveaux arrivants doivent redoubler d’efforts et d’inventivité pour se démarquer. En effet, les réductions des dotations aux associations et structures publiques de manière générale, y compris celle de médiation scientifique et d’éducation à l’environnement, entravent fortement la possibilité de s’assurer un parcours professionnel linéaire. En soi, le recours marqué aux services civiques par ces structures, ou bien à l’auto-entreprenariat pour une minorité des acteurs et actrices de la médiation scientifique, ne sont pas du tout l’expression d’un cynisme vil de leur part. Au contraire, cela traduit les réalités actuelles d’un monde du travail soumis à une profonde reconfiguration depuis de nombreuses années, dans un contexte où les décideurs publics s’engagent de manière plus ciblée notamment au travers d’appels à projets nécessaires pour l’obtention de financements.
Pourtant, la richesse et la dimension originale du travail des médiateurs et médiatrices scientifiques ne demande qu’à être soutenue, renforcée et déployée. Leurs atouts multiples font de la médiation scientifique un secteur professionnel aux fortes potentialités. D’une part, ils peuvent s’appuyer pour leur grande majorité sur un fort ancrage local qui leur assure une reconnaissance institutionnelle de leur travail. D’autre part, les liens ponctuels avec les acteurs industriels qu’ils peuvent avoir ne les font pas verser dans la communication, et ce grâce à leurs connaissances des enjeux scientifiques, techniques et écologiques. Et surtout, leur travail de création et d’innovation pédagogique original à destination de publics variés, la capacité à envisager des perspectives éclectiques pour approfondir et enrichir le travail de médiation scientifique et d’éducation à l’environnement sont une véritable force.
Un nombre restreint de formations universitaires en médiation scientifique et en éducation à l’environnement existe déjà à l’heure actuelle : il s’agit de valoriser résolument ces formations et d’en créer de nouvelles dans toutes les régions du pays avec un cadrage national de leurs contenus et de leurs finalités. Néanmoins, pour garantir des débouchés professionnels aux étudiants qui suivent ces formations et qui aspirent à faire de la médiation scientifique leur métier, il est également nécessaire de consacrer un budget national propre et ambitieux pour soutenir et développer les institutions et associations de médiation scientifique. Un tel soutien financier est nécessaire sur plusieurs aspects : permettre le développement de ces structures et en faire émerger de nouvelles, favoriser la création de nouveaux contenus pédagogiques toujours plus originaux, garantir le recrutement pérenne de médiateurs scientifiques adossée à une revalorisation générale des salaires et des droits sociaux pour ces travailleurs et travailleuses.
Plus largement, il s’agit de garantir un statut professionnel stable et protecteur pour les médiateurs scientifiques quels qu’ils soient, salariés et indépendants : associatifs, vidéastes, illustrateurs et illustratrices, auteurs et autrices… Les conventions collectives pour les acteurs divers de la médiation scientifique doivent être améliorées de manière significative pour assurer des sécurités de l’emploi élargies. En outre, il est nécessaire de créer un statut professionnel propre aux médiateurs scientifiques indépendants comme les vidéastes, proche du statut existant de pigiste, afin de permettre des partenariats toujours plus libres et novateurs ainsi qu’une pleine reconnaissance légale du travail qu’ils fournissent, de leur utilité pour la société et le débat démocratique. La Sécurité sociale a un rôle central à jouer pour garantir un régime professionnel à la fois simplifié et protecteur pour ces médiateurs scientifiques indépendants, afin de leur assurer des droits sociaux essentiels comme ceux à la santé, au chômage, à la formation continue et à la retraite.
Clairement, la nécessité d’un soutien économique et matériel conjoint des ministères de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de la Culture, le renforcement des dotations récurrentes aux collectivités territoriales (régions, départements, communes), ainsi que de la création d’un fonds national public dédié à la médiation scientifique sont réelles. Tout cela est crucial pour renforcer d’abord de manière cohérente le maillage territorial du pays par ses acteurs et actrices, par ses associations et institutions. Cela est ensuite incontournable pour permettre également l’émergence de nouveaux créateurs et créatrices ainsi qu’une émulation pour faire de la médiation scientifique un élément clé à tous les échelons pour la popularisation des sciences et leur mise en débat éclairé. Il est grand temps de faire des sciences, des techniques et des questions environnementales des enjeux populaires et démocratiques. La médiation scientifique est une pièce maitresse pour rendre cela possible : valorisons-là à tout prix !
Jérémy Roggy est chimiste et historien des sciences de formation.