Le plateau de Saclay, au sud de Paris, est aujourd’hui un des grands pôles de la recherche scientifique en France. Regards croisés sur les projets d’emménagement en cours du plateau de Saclay et sur les conséquences du regroupement des grandes écoles sur ce site.
Retrouvez les deux autres articles :
- Vers une plus grande concentration et de nouveaux problèmes, par Laurent Guilloux*
- La problématique de la mobilité, par Pierre Garzon
* Gilles Laschon, agrégé de mathématiques, est directeur de l’IUT d’Orsay.
En janvier 2020 verra le jour un établissement universitaire dérogatoire au Code de l’éducation. Il regroupera les neuf composantes (cinq UFR, trois IUT, une école d’ingénieurs) de l’université Paris- Sud-XI et quatre grandes écoles (CentraleSupélec, l’ancienne ENS Cachan, AgroParis Tech, l’IOGS), et associera les grands organismes de recherche nationaux (CEA, CNRS, IHES, INRA, INRIA, INSERM, ONERA), l’université de Versailles-Saint- Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et l’université Évry-Val-d’Essonne (UEVE). Les structures et instances de l’université Paris-Sud- XI se mueront pour créer un liant politique et administratif à tous ces établissements disparates et fonder la nouvelle université Paris-Saclay. Le regroupement actuel du même nom disparaît, scellant le divorce avec l’École polytechnique, qui créé avec ses écoles partenaires le pôle NewUni. Échec? Une chose est sûre : c’est tout le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) qui se fragmente dans une logique de concurrence de sites, aboutissement de dix années de dérégulation du secteur en région parisienne et en province, sous l’action de trois mandatures présidentielles successives, qu’elles soient de droite, de centre-gauche ou de centre droit.
Concentration du potentiel de recherche en pôle de compétitivité
L’objectif premier de ces évolutions structurelles est de rentabiliser les activités de recherche. Le mécanisme est bien connu des chercheurs depuis la généralisation des financements sur projets. Tout ce qui est valorisable aux yeux de financeurs publics et privés, au niveau national comme européen, doit briller pour capter les crédits non récurrents désormais indispensables au travail des équipes de recherche. L’université Paris- Saclay a ainsi pour ambition d’être une référence mondiale en termes d’université de « recherche intensive ». Et tant pis si cela fait mal à certaines thématiques moins en vogue dans l’air du moment. Tandis que les laboratoires se restructurent et fusionnent en mastodontes, les équipes considérées comme étant de seconde zone peinent à retrouver un port d’attache qui leur permette de mener leurs recherches. Bonjour l’ambiance dans des laboratoires où les personnels subissent des orientations qu’ils n’ont pas choisies ! Nul doute que l’université Paris- Saclay tiendra ses promesses dans le classement de Shanghai, que ce pôle de compétitivité se développera… au détriment d’autres territoires et structures de recherche. Mais quelle avancée s’il s’agit seulement de concentrer un potentiel de recherche déjà reconnu dans des établissements déjà prestigieux au niveau national ? D’autant plus que les coopérations existantes au-delà du périmètre Paris-Saclay seront tôt ou tard remises en cause par la concurrence entre sites. La « rationalisation » du secteur de la recherche est en marche. Cette évolution toute libérale et bien connue du secteur marchand nuira au final à la créativité de la recherche au niveau national, délaissant les thématiques incertaines, privilégiant l’utilitarisme économique dans une compétition féroce et mondialisée.
Formations : séparer le bon grain de l’ivraie
Qui dit université de « recherche intensive » dit aussi université d’« excellence » pour les formations. Là aussi le potentiel relevant du périmètre de la future université Paris-Saclay, même amputé de l’École polytechnique, est impressionnant puisqu’il regroupe doctorats, masters et diplômes d’ingénieurs d’établissements parmi les mieux cotés en la matière. Les formations élitistes des écoles et de l’université le resteront, avec deux bémols: la concurrence inévitable entre masters et diplômes d’ingénieurs, et la situation géographique de Paris-Saclay, qui ne fera pas le poids face aux attraits de Paris intra-muros en termes de vie étudiante. Tout devient plus compliqué lorsqu’on considère les formations de premier cycle, exclusivement universitaires à ce jour. Il ne s’agit plus de mener au plus haut les meilleurs étudiants mais de répondre au besoin sociétal de massification de l’enseignement supérieur avec des étudiants aux profils très diversifiés dans un contexte de pénurie budgétaire chronique pour l’université. Ce secteur est en effet coûteux, car exigeant en accompagnement pédagogique, et ne suscite pas l’intérêt des écoles focalisées sur la réussite des meilleurs. Le modèle retenu par la future université Paris-Saclay prévoit un premier cycle à deux vitesses avec, d’un côté, des licences de l’université Paris- Saclay destinées aux études longues et, de l’autre, une École universitaire de premier cycle à vocation d’insertion professionnelle à bac + 3 tôt ou tard secondarisée, coupée de la recherche et exclue à terme de la brillante université de rang mondial. La loi ORE (orientation et réussite des étudiants) autorisant la sélection à l’entrée de l’université et le nouvel arrêté licence, qui accentue l’autonomie des établissements, arrive à point nommé pour fournir les outils de tri des bacheliers à l’entrée de ces deux premiers cycles. Comment ne pas imaginer que les financements de ces formations seront disparates et profiteront à une élite étudiante qu’il s’agira d’attirer dans une compétition nationale, voire internationale, tandis que les publics plus fragiles se contenteront de baisser leurs ambitions, accentuant le prédéterminisme social dans l’accès aux hautes études et prestigieuses carrières professionnelles ?
Université Paris-Saclay 2025
Une seconde étape est prévue à l’horizon 2025. L’enjeu est d’intégrer pleinement au modèle les deux universités associées (UVSQ et UEVE). Un leurre? Si le modèle 2020 réussit sur le plan de la compétitivité de la recherche et de l’attractivité des formations de prestige, il sera bien difficile aux partenaires « premiers de cordée » de supporter les difficultés de deux universités jeunes et particulièrement sous-financées tentant de répondre aux besoins de formations de territoires moins favorisés qu’Orsay, Sceaux ou Cachan. Il est probable qu’une partie seulement des laboratoires et des formations de ces universités rejoigne l’université Paris-Saclay. La plupart des licences intégreront l’École universitaire de premier cycle Paris-Saclay devenue établissement autonome. Au fond, les schémas pour Paris- Saclay n’ont rien d’original. Ils sont le résultat d’une évolution de l’ESR dont les premières pierres ont été posées en 2006 avec la loi de programme pour la recherche, qui engage la recherche dans la voie de la compétitivité, et en 2007 avec la loi relative aux libertés et responsabilité des universités, qui prépare l’Université française à la concurrence des territoires au niveau européen. La loi Fioraso de 2013 a finalement permis d’expérimenter la création de pôles universitaires par le regroupement d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche, échouant cependant à rapprocher le système universitaire de celui des prépa-grandes écoles. La libéralisation de l’ESR français franchit désormais une nouvelle étape avec une présidence Macron qui n’hésitera pas à expérimenter de nouvelles structures universitaires, capables de concurrencer les prestigieuses universités internationales, mais de plus en plus éloignées de leurs missions de service public, notamment celle d’offrir les plus belles études au plus grand nombre de jeunes en ne s’arrêtant pas aux capacités individuelles du moment. En renonçant à tenter de corriger les inégalités sociales qui façonnent les parcours académiques des étudiants, en orientant ses recherches vers une rentabilisation plus immédiate, l’Université perd ses ambitions de phare pour le développement de toute la société. Paris- Saclay en est un exemple emblématique.