Outil original, auteur de dĂ©couvertes fondamentales mĂ©connues, le CEA est partie prenante dâun dĂ©veloppement humain durable et la France ne doit pas perdre cette expertise.
DĂšs sa crĂ©ation, le CEA est placĂ© devant la tĂąche immense consistant Ă acquĂ©rir les savoirs thĂ©orique et pratiques nĂ©cessaires Ă lâutilisation du gigantesque potentiel Ă©nergĂ©tique cachĂ© au cĆur de la matiĂšre.
Au fil des annĂ©es, il se dote, grĂące au financement public, des instruments indispensables (laboratoires, boucles dâessai, grands outils scientifiquesâŠ) et des compĂ©tences diversifiĂ©es requises pour sa mission. Le dĂ©veloppement de lâĂ©nergie nuclĂ©aire au service des hommes requiert des progrĂšs dans tous les domaines de la science (physique, chimie, mĂ©tallurgieâŠ) et de la technologie (composants, instruments de mesure, tĂ©lĂ©manipulationâŠ). Le CEA sera donc pluridisciplinaire : chercheurs et ingĂ©nieurs (physiciens, chimistes, mĂ©tallurgistes, biologistes) aux cĂŽtĂ©s dâinnombrables techniciens et personnels de support.
UNE VISION DâAVENIR POUR UN GRAND PROJET
Sa pluridisciplinaritĂ© sera un atout essentiel dâadaptation aux obstacles : en 1969, le gouvernement dĂ©cide lâabandon de la filiĂšre française dite «graphite-gaz» pour la filiĂšre amĂ©ricaine dite « Ă eau pressurisĂ©e ». Rapidement « francisĂ©e », elle bĂ©nĂ©ficiera de tout lâacquis scientifique et technologique du CEA, et Ă peine quatre ans aprĂšs sera mis en service Ă Marcoule le premier rĂ©acteur prototype Ă neutrons rapides et caloporteur sodium.
La France se hissait ainsi Ă la premiĂšre place mondiale dâune filiĂšre promise Ă un bel avenir, par une gestion optimale Ă la fois des dĂ©chets et des ressources en uranium. Ces prĂ©occupations inspiraient dĂ©jĂ le choix français du retraitement des combustibles irradiĂ©s. Mais SuperphĂ©nix fut sacrifiĂ© en 1997 Ă une alliance Ă©lectorale du Parti socialiste avec les Verts. Or les surgĂ©nĂ©rateurs permettent une meilleure valorisation Ă©nergĂ©tique de lâuranium ainsi quâune rĂ©duction significative du volume de dĂ©chets et offrent une meilleure rĂ©sistance Ă la prolifĂ©ration ; ces arguments de raison furent balayĂ©s.
Cette vision dâavenir initiale admettait les besoins de temps disponible et de libertĂ© des chercheurs et des ingĂ©nieurs. La rĂ©alisation rapide du grand projet national dâĂ©quipement Ă©nergĂ©tique, par souci dâindĂ©pendance, de dĂ©veloppement industriel et dâamĂ©lioration du bien-ĂȘtre social, a validĂ© ce choix. Ces valeurs dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral portĂ©es par lâenthousiasme des personnels du CEA ont permis Ă la France dâatteindre lâexcellence dans le domaine nuclĂ©aire, et au-delĂ .
LA FORCE MĂCONNUE DU CEA : SES ĂQUIPES
Le CEA dĂ©montre une fantastique « productivitĂ© », pourvoyeuse de savoirs: sciences du vivant (prions), du climat (courants marins), nanotechnologies, santĂ©, technologies de stockage de lâĂ©nergie⊠Tenu par lâambitieux programme nuclĂ©aire Ă des progrĂšs continus, le CEA sâest rĂ©vĂ©lĂ© un semeur dynamique de transferts technologiques, de savoir-faire, de capacitĂ©s dâexpertises, de brevets transfĂ©rables aux industriels. Cette capacitĂ© de modĂ©lisation, expĂ©rimentation et calcul, trĂšs rare dans le monde, est vitale pour notre pays et notre vie quotidienne.
54 rĂ©acteurs nuclĂ©aires seront livrĂ©s entre 1977 et 1993, soit une moyenne de plus de 3 rĂ©acteurs par an pendant 17 ans. La France produit, avec un haut niveau de sĂ»retĂ©, une Ă©lectricitĂ© abondante, rĂ©pondant Ă la demande, bon marchĂ©, sans Ă©mission de GES. Avec son stock dâuranium appauvri, elle dispose par ailleurs dâune ressource Ă©nergĂ©tique considĂ©rable (5000ans de combustible) si elle se donne les moyens dâune 4e gĂ©nĂ©ration, celle des surgĂ©nĂ©rateurs malgrĂ© lâabandon national de 1998.
LE DĂVELOPPEMENT DURABLE DE LâĂNERGIE NUCLĂAIRE : UN OUBLI?
Depuis lors, un vent mauvais venu du nord souffle sur notre pays : une premiĂšre directive europĂ©enne, en 2003, fixe un objectif de 21% dâĂ©nergies renouvelables pour la production dâĂ©lectricitĂ© Ă lâhorizon 2010, un objectif satisfaisant pour les lobbyistes « verts » trĂšs influents Ă Bruxelles⊠Cette directive rĂ©ussissait le tour de magie dâĂ©liminer le nuclĂ©aire de la liste des Ă©nergies non productrices de gaz Ă effet de serre! Le Grenelle de lâenvironnement accentue cette orientation Ă©lusive.
2014 : La « transition Ă©nergĂ©tique» engagĂ©e en France pour anticiper la rarĂ©faction des ressources Ă©nergĂ©tiques fossiles (bien amorcĂ©e grĂące au nuclĂ©aire) et pour rĂ©duire lâĂ©mission des gaz Ă effet de serre fourmille de contradictions : nous produisons peu de GES, grĂące au nuclĂ©aire, mais on veut rĂ©duire sa part et lâon nĂ©glige la question des transports, premiers Ă©metteurs de GES (le quart de lâĂ©nergie totale du pays). Dans une Union europĂ©enne dominĂ©e par la finance et les alĂ©as de son accumulation, sâagiraitil dâoffrir de nouveaux marchĂ©s Ă la rĂ©alisation de profits? RĂ©duire les dĂ©penses publiques et confiner la recherche Ă des crĂ©neaux de court terme pour la « compĂ©titivitĂ© » des entreprises et quelques bulles spĂ©culatives ? : le CEA nâĂ©chappe pas Ă cette spirale dĂ©sastreuse.
UNE POLITIQUE SUICIDAIRE
De 2005 Ă 2011, on subventionne Ă prix dâor â 14,3 Md⏠pour 2,2Mtep(1) â des Ă©nergies renouvelables supplĂ©mentaires, alors que le CEA, soutien du parc Ă©lectronuclĂ©aire et composante importante du bouquet Ă©nergĂ©tique, subissait des restrictions budgĂ©taires; dans le mĂȘme temps, ses dĂ©penses incompressibles augmentaient et il devait assurer les charges nouvelles des Ă©valuations complĂ©mentaires de sĂ»retĂ© post-Fukushima.
Depuis 2009, le budget de la Direction de lâĂ©nergie nuclĂ©aire (lâune des cinq grandes directions du CEA) a diminuĂ© de 40 Ă 50 %: rĂ©ductions dâeffectifs, reports ou abandons de recherches, explosion de la prĂ©caritĂ© par lâinflation des contrats non permanents, et recherche dĂ©sespĂ©rĂ©e de financements externes. Ceux-ci se rarĂ©fient, les grandes entreprises (EDF ou AREVA), confrontĂ©es Ă la crise, Ă©tant peu enclines Ă investir sur le moyen et long terme.
La sous-traitance sâĂ©tend, la direction du CEA envisageant mĂȘme la mise en sous-traitance complĂšte de lâexploitation de certaines installations nuclĂ©aires. Or prolonger Ă 60 ans, en toute sĂ©curitĂ©, la durĂ©e de vie de nos centrales, implanter progressivement les rĂ©acteurs de nouvelle gĂ©nĂ©ration (EPR), plus sĂ»rs et de meilleur rendement, prĂ©parer lâavenir dâune 4e gĂ©nĂ©ration de rĂ©acteurs surgĂ©nĂ©rateurs â quâil faudra acheter si, contrairement Ă la Russie ou Ă la Chine, on ne veut ou ne peut les concevoir â constitue autant de raisons de donner au CEA les moyens de rĂ©els grands projets nationaux. ConfrontĂ© Ă ce manque dâambition politique et Ă la rĂ©duction des dĂ©penses publiques, le CEA plonge dans la tourmente.
UNE ORIGINALITĂ EFFICIENTE Ă PRĂSERVER
PrĂ©server son attractivitĂ© et maintenir ses compĂ©tences performantes en valorisant son potentiel humain devraient ĂȘtre les prioritĂ©s du CEA. Or, les ministĂšres de tutelle le somment contradictoirement de « consolider la R&D nuclĂ©aire » en « sâadaptant aux contraintes budgĂ©taires » (sic !). Les Ă©nergies renouvelables sont pointĂ©es comme une prioritĂ©, la recherche technologique est mise en avant (en soutien aux industriels et PME), la recherche fondamentale doit ĂȘtre stabilisĂ©e⊠en Ă©tablissant des prioritĂ©s. La rĂ©duction des effectifs est envisagĂ©e(2) tout comme la «rationalisation» des infrastructures nuclĂ©aires (en clair : fermetures dâinstallations et arrĂȘts de programmes). LâĂ©rosion des effectifs de support a atteint un seuil tel quâon ne saurait le franchir sans nuire au bon fonctionnement et Ă la sĂ©curitĂ© des installations⊠Comment concrĂ©tiser la prioritĂ©, justement Ă©noncĂ©e, Ă lâemploi scientifique?
Exemples:
- lâarrĂȘt du rĂ©acteur Osiris Ă Saclay (un des huit rĂ©acteurs au monde capables de produire des radioĂ©lĂ©ments Ă usage mĂ©dical). LâAcadĂ©mie de mĂ©decine sâest Ă©mue, pour les pathologies de lâenfant, dâun risque de pĂ©nurie pour la santĂ© publique ;
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le report Ă 2020, au lieu de 2014, de la mise en service du rĂ©acteur Jules-Horowitz, un rĂ©acteur dâessai et de recherche sur les combustibles et les matĂ©riaux irradiĂ©s et de production de radioĂ©lĂ©ments pour la mĂ©decine nuclĂ©aire Ă Cadarache ;
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les fermetures Ă Cadarache du LEFCA (Laboratoire dâĂ©tudes et fabrication de combustibles avancĂ©s), et Ă Marcoule du SBTN (Service de biochimie et toxicologie nuclĂ©aire) ;
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lâarrĂȘt Ă Grenoble de certaines activitĂ©s du SPSMS (Service de physique statistique, magnĂ©tisme et supraconductivitĂ©) ;
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pour la 4e gĂ©nĂ©ration de rĂ©acteurs, le projet Astrid (dĂ©monstrateur technologique de rĂ©acteur Ă neutrons rapides refroidi au sodium), bloquĂ© Ă lâĂ©tape dâavant-projet sommaire (APS) et dĂ©taillĂ© (APD), le financement de sa construction (2019- 2020) Ă©tant trĂšs compromis.
Le CEA ne sortira de la tourmente quâau prix dâun sursaut « Ă©nergique » des citoyens, des Ă©lus, et des organisations de salariĂ©s, Ă la mesure de son formidable potentiel scientifique et technique, des besoins de la population et des enjeux vĂ©ritables de la transition Ă©nergĂ©tique. MarchĂ© et concurrence ne peuvent constituer une ligne directrice pour lâĂ©nergie.
Les risques sont grands dâune perte de compĂ©tences dans des domaines essentiels. Cette situation plonge dans le dĂ©sarroi toute une gĂ©nĂ©ration de jeunes chercheurs, et ce sans nĂ©cessitĂ© aucune. Un pays qui sacrifie sa recherche est un pays qui sacrifie son avenir.
*JEAN-PAUL LAUVERGEON est technicien radioprotection, responsable des retraités CGT de Cadarache.
(1) Mtep: million de tonnes dâĂ©quivalent pĂ©trole. La consommation dâĂ©nergie primaire de la France est dâenviron 270 Mtep.
(2) Le PMLT (plan sur dix ans) prĂ©voit dâores et dĂ©jĂ de supprimer plus de 500 emplois dans le secteur civil entre 2013 et 2017: 300 Ă la direction de lâĂ©nergie nuclĂ©aire, 130 Ă la direction des sciences de la matiĂšre, 110 Ă la direction des sciences du vivant.
Il me semble que le CEA a Ă©tĂ© (peut-ĂȘtre Ă tort) rebaptisĂ© CEA-EA (commissariat Ă l’Ă©nergie atomique et aux Ă©nergies renouvelables). Je regrette que cet article ne soit qu’un pamphlet lobbyiste d’un pro-nuclĂ©aire. Ă quand un dĂ©bat lucide et rationnel sur l’Ă©nergie en France ? Ce devrait ĂȘtre un dĂ©bat citoyen, ce n’est qu’un torrent de propos polĂ©mistes, qui pour qui contre : pĂ©trole, eau, gaz, nuclĂ©aire, charbon, biomasse, Ă©olien, hydraulique, … aucune rĂ©flexion et encore moins de donnĂ©es accessibles sur les nouvelles formes de rĂ©seaux (pourquoi un rĂ©seau national, et pas un rĂ©seau de rĂ©seaux locaux, ou supra-national ?), sur les reserves en ressources (jusqu’Ă quand du pĂ©trole, de l’eau potable, du gaz, du charbon, de l’uranium ?) sur les pressions politiques et diplomatiques Ă l’obtention des ressources, … Laissez les citoyens, une fois correctement informĂ©s, dĂ©cider. Merci d’avance.