Une véritable révolution est en cours dans le domaine de l’hépatite C, avec la découverte de traitements susceptibles de guérir cette redoutable maladie, et à terme de l’éradiquer. Derrière le dossier scientifique et médical, il y a un autre dossier, industriel et politique.
Maladie virale due au virus C, elle touche le foie. Elle en provoque la destruction progressive par cytolyse et une fibrose chronique qui engendre une cirrhose mortelle à terme. Elle peut déboucher aussi sur un carcinome hépatocellulaire (cancer primitif du foie). Facteur de mortalité hépatique important, elle entraîne aussi une mortalité extrahépatique: plus grande mortalité chez les malades cardiaques, les patients cérébrovasculaires, les porteurs de plaques d’athérome, les insuffisants rénaux, les diabétiques, les femmes atteintes de cancer du sein. C’est une maladie générale lente qui handicape la vie des patients par ses retentissements psychologiques et socioéconomiques. Elle toucherait plus de 170 000 personnes en France : plusieurs centaines de milliers de personnes, non dépistées, seraient dans l’ignorance de leur maladie.
RETOUR SUR L’HÉPATITE C
Aucun vaccin n’existe pour la prévenir. La contamination est liée surtout aux échanges sanguins: par transfusion, à l’époque où celle-ci était insuffisamment sécurisée ou par contamination chez les toxicomanes (seringue). Le génotype de ce virus n’a été identifié qu’en 1994. Il n’y avait alors pas de traitement. Nous « accompagnions » les malades. Puis on a utilisé des antirétroviraux, surtout l’interféron (1989: 6% de guérison), dans la mouvance des progrès du traitement du sida. L’interféron était très mal supporté, et les résultats incertains. Une forme plus efficace a été trouvée (2001 : 55 % de guérison): l’interféron pégylé qui a amélioré partiellement l’efficacité, associé à la ribavirine. La réussite était fonction du génotype du virus. Arrivent de nouvelles molécules, et le sofosbuvir (autorisation de mise sur le marché en 2014) lors du dernier congrès de gastro-entérologie. Ce traitement donne des résultats exceptionnels: en 12 semaines de traitement, le virus disparaît complètement de l’organisme; la fibrose régresse, et la guérison complète est envisageable. Le sofosbuvir est un inhibiteur nucléotidique de la polymérase du virus C: il a un effet antiviral puissant et une barrière de résistance très élevée.
Des études ministérielles de cohortes sont en cours pour vérifier tout cela. Déjà, un premier cas de patiente en attente d’une greffe de foie (en phase ultime de la cirrhose décompensée) a vu son état tellement amélioré qu’elle a été sortie de la liste d’attente. Une telle amélioration n’avait jamais encore été enregistrée.
QUEL EST LE PROBLÈME?
Un traitement par sofosbuvir, c’est 57 000 € pour douze semaines ; le comprimé: plus de 400 €! Comment financer ces traitements dans la période actuelle alors que la Sécurité sociale est en difficulté du fait de la crise économique? Aller vers des restrictions, des refus de prise en charge, une explosion des inégalités devant les chances d’accéder à ce traitement? La dépense serait de plus de 10milliards pour soigner tout le monde. La ministre se veut rassurante, coincée dans les contradictions de sa politique. Le journaliste Jean-Yves Nau titrait sur son blog le 25 avril : «Économies : 10 milliards. Dépenses : 18milliards (pour les nouvelles molécules anti-hépatite C). Qui comprend la ministre de la Santé?»
Jean-Yves Nau a été instituteur, docteur en médecine puis journaliste au Monde pendant 30ans, en charge des questions de médecine, de biologie et de bioéthique. Il est le premier titulaire de la chaire « Journalisme et santé publique » de l’EHESP pour l’année universitaire 2010-2011. Jean-Yves Nau est également chroniqueur médical et scientifique sur le site Slate.fr. Sur le plan éthique et humain, la nécessité s’impose. Sur le plan économique, la santé aussi est un investissement: les personnes guéries contribueront au développement par leur travail retrouvé. Il n’y a pas de création de richesses sans les humains. Donc le débat est clos, sauf à envisager une société qui sacrifie les êtres humains.
LES LIMITES DU SYSTÈME CAPITALISTE
Nous touchons aux limites du capitalisme : il n’est pas en mesure de répondre aux besoins humains. Le phénomène des médicaments « hors de prix » va se développer. Selon le dernier congrès international de cancérologie (ASCO): « Le coût de nombreuses thérapies ciblées dépasse les 100 000 dollars par an et par patient. Avec la multiplication des combinaisons de thérapies, le coût de la prise en charge des cancers devient prohibitif pour de nombreux patients, y compris pour ceux qui disposent d’une assurance. »
Le bilan annuel du NCI (National Cancer Institute américain) met l’accent sur les disparités dans l’accès aux soins liées au prix des nouvelles molécules contre le cancer. Richard Schilsky, professeur d’oncologie à l’université de Chicago et directeur médical de l’ASCO a jugé que le prix des nouveaux anticancéreux « avait atteint un niveau insoutenable ». Le traitement de l’hépatite C n’est pas un problème isolé: il est annonciateur d’une nouvelle situation, conséquence des progrès des biotechnologies et qui oblige à une refonte du système.
UNE REFONTE DU SYSTÈME DE PRODUCTION DES MÉDICAMENTS
C’est toute la conception de l’industrie pharmaceutique qui doit être repensée. La priorité doit être donnée à la recherche fondamentale, débouchant sur des applications innovantes. Le financement de cette recherche et de la production ne doit pas être soumis aux impasses des lois du capitalisme. L’action de l’État dans ce domaine doit être déterminante: aux Etats-Unis les biotechnologies représentent plus de 2% du PIB. La France ne peut laisser passer le train du progrès médical et économique. Une autre politique du médicament est indispensable en France, en Europe et dans le monde.
POUR UN MÉDICAMENT LIBÉRÉ DU MARCHÉ
Quelques idées-forces :
• Sur le plan éthique: une industrie ne spéculant pas sur la misère du monde mais s’attachant à faire progresser la santé humaine. La propriété des brevets ne peut être opposée à la vie, ni l’intérêt immédiat à l’espoir. Place à l’industrialisation et au développement, exit la financiarisation.
• Sur le plan de la santé publique, les intérêts majeurs des populations doivent être préservés. Les lois du marché, a fortiori solvabilisées par des fonds publics, ne peuvent s’appliquer. Le médicament n’est pas une marchandise.
• Sur le plan scientifique : mettre en oeuvre une grande politique de recherche fondamentale pour alimenter une recherche appliquée.
PROPOSITIONS CONCRÈTES
La création d’un pôle public du médicament
La création d’un pôle public du médicament serait l’instrument de cette nouvelle politique industrielle. L’État a su montrer par le passé qu’il était seul capable de promouvoir des politiques industrielles de très longue portée: l’industrie nucléaire initiée par le CEA ou l’aéronautique. Des investissements publics doivent être faits dans le secteur de la pharmacie, et d’abord dans la recherche, que laisse tomber l’industrie privée. Un établissement public serait créé pour porter cette politique industrielle, financé par l’État et par des coopérations internationales avec d’autres pays d’Europe ou par des États et des organismes publics internationaux.
Il passerait des accords de recherche avec les laboratoires de l’Université, de l’INSERM, du CNRS, du CEA ou tout organisme compétent; des coopérations avec le privé seraient possibles. Il pourrait mettre en place ses propres laboratoires et être propriétaire des brevets qu’il a financés, puis les commercialiser ou encore fabriquer les produits issus de cette recherche. Les richesses créées serviraient aux investissements futurs. Un effort initial volontaire important, continu, est requis. Les découvertes scientifiques ne peuvent être objets de spéculation.
Gérer autrement les fonds publics qui alimentent l’industrie pharmaceutique
• La vérité doit être faite sur les coûts de recherche, de la publicité, le poids des profits. Les prix des nouveaux traitements, souvent gonflés artificiellement par les multinationales, ne peuvent être acceptés en l’état sans négociation.
• La Sécurité sociale doit pouvoir acheter les médicaments dont les assurés ont besoin dans le cadre de la concurrence et utiliser les procédures de marché public. Une baisse des prix est indispensable pour favoriser la prise en charge complète des traitements.
Une politique de coopération internationale: un OMS rénové
Si les pays de l’OCDE ont du mal à trouver le financement des nouveaux traitements du type hépatite C, quid des pays pauvres ? Une nouvelle politique mondiale est à initier, basée sur la coopération plutôt que la concurrence. Politique visant à la satisfaction des besoins des populations et non des actionnaires. L’idée d’un nouveau rôle de l’Organisation mondiale de la santé est à creuser : elle pourrait devenir propriétaire de certains brevets indispensables à la survie des populations (médicaments du sida, grippe aviaire, hépatite C, cancer…), qui seraient alors classés patrimoine de l’humanité. Il faut en finir avec les rapports de domination des pays riches sur les pays pauvres.
Un progrès reste possible, appuyé sur le développement des sciences. Ceux qui annoncent la décroissance et la fin du développement économique et humain comme la solution à la crise se trompent. Ce qui pose problème, c’est le système capitaliste. Il est le frein. C’est sur lui qu’il faut agir pour sortir de la crise où il nous enferme. L’exemple du traitement de l’hépatite C le montre.
La révolution des biotechnologies en appelle une autre, politique.
*LE DOCTEUR ÉRIC MAY est médecin au centre municipal de santé de Malakoff (Hauts-de-Seine).