Politique industrielle en Europe: le programme Horizon 2020, Sébastien Elka
Le programme Horizon 2020 se veut une nouvelle approche intégrée de la recherche, du développement et de l’innovation. Les financements ne sont pourtant pas à la hauteur, mais ce programme, par les secteurs stratégiques clés qu’il identifie, est peut-être un point d’appui pour des politiques progressistes de réindustrialisation de l’Europe.
PAR SÉBASTIEN ÉLKA*,
LES ATOUTS GÂCHÉS DE L’EUROPE
2009-2010 : À mi-parcours du 7e Programme Cadre de Recherche et Technologie (« FP7 »),[1] la Commission européenne commandite une pléiade d’études pour un bilan d’étapes et préparer le 8e du nom. Les lobbies s’activent…pour lui donner des arguments flatteurs à faire valoir auprès des gouvernements des 27. A lire leurs cajoleries courtisanes, le financement de centaines de projets a été certes encore trop bureaucratique et disséminé, mais porté par le souci de l’équité entre États membres et du leadership technologique de l’Europe, et l’argent des États a été bien utilisé. Mais dans les couloirs circule un constat plus lucide : beaucoup d’argent distribué pour bien peu d’emplois industriels créés ou sauvés, des promesses de retombées jamais vérifiées ex-post, des fermetures d’usines et destructions d’emploi qui se poursuivent et des industries certes capables d’améliorer leurs produits et services mais largement absentes des véritables nouveautés technologiques, ces « ruptures » susceptibles de créer de nouvelles lignes industrielles, des emplois et une valeur ajoutée nouvelle.
C’était pourtant la stratégie adoptée en 2000 à Lisbonne : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde. En clair : laisser fermer ou partir nos vieilles usines – « saine destruction créatrice » – et tout miser sur la haute technologie. Dix ans après, la Chine est le premier déposant mondial de brevets, très présente sur le HighTech – jusque dans l’espace avec ses taïkonautes… – et la croissance économique reste plus faible en Europe que dans le reste du monde. Face à cet échec, et dans le sillage de la crise de 2008, l’Europe adopte alors une « Stratégie 2020 » : viser une croissance intelligente durable et inclusive, et revaloriser l’industrie. Non pas empêcher les usines de fermer ou de se délocaliser – odieux protectionnisme ! – mais mettre en place des politiques européennes de Réindustrialisation par l’innovation : compter sur une excel- lente recherche publique, des chercheurs et ingénieurs de très haut niveau et de très nombreuses publications de brevets pour développer industries, emplois et production nouvelles. Peu à peu, le plan Horizon 2020 se dessine : toujours bureaucratique et jargonante, l’Europe s’appuiera sur des Agendas stratégiques de recherche et des Plateformes Technologiques, six Technologies Clés Génériques, un Institut Européen de Technologie et des Communautés d’innovation par le savoir, ensemble de structures sensées aider à porter l’innovation hors des laboratoires jusqu’aux chaînes de montage. A travers Horizon 2020, l’Europe ne se préoccuperait plus seulement d’imposer l’hyper-concurrence, elle aurait désormais une politique industrielle.
UN BUDGET AUSTÉRITAIRE, TRÈS EN-DEÇÀ DES ENJEUX
Sauf que dans un contexte austéritaire, Horizon 2020 ne mobilisera pas plus de 70 Md€, plus que le programme cadre précédent, 8% du budget 2014-2020 de l’Union et le troisième poste de dépenses, mais encore très loin derrière la Politique Agricole Commune et les Fonds de Développement des Régions (plus de 300Md€chacun). Bien trop peu.
Car entre la recherche scientifique et la mise sur le marché de produits industriels, les diagnostics indiquent que c’est sur l’étape cruciale de pré-industrialisation que l’industrie européenne est en défaut. Bridées par les dogmes du catéchisme libéral – au nom des accords de l’Organisation Mondiale du Commerce qui sanctifient la libre-concurrence – les aides publiques en Europe ne pou- vaient jusqu’ici pas intervenir dans les processus de R&D au-delà du financement de prototype, soit avant la pré-industrialisation, jugée trop proche de la commercialisation. Appuyé sur l’échelle de maturation technologique (dite “échelle TRL”), ce bridage de l’action publique est contesté au sein même des institutions européennes et constitue l’enjeu d’une âpre bataille. Toujours est-il que jusqu’ici pour l’étape clé de la pré-industrialisation les industries devaient s’en remettre aux seuls financements privés.
Or une maturation technologique suit une courbe de coût exponentielle : une expérience de laboratoire peut être relativement peu chère, un proto- type le sera déjà plus. Et pour un seul pilote de pré-industrialisation (chaîne démontrant la possibilité de produire à grande échelle), il faut investir des dizaines voire des centaines de millions d’euros. Les financiers, attirés par le profit facile des pays low-cost ou de la spéculation, ont de plus en plus rechigné à se risquer dans ces lourds investissements nécessaires aux avancées industrielles de la vieille Europe. Pour autant étant donné les volumes concernés, on peut douter qu’Horizon 2020 parvienne à suppléer à leur défaillance.
Il faudrait en effet pour cela que les trop faibles budgets disponibles soient au moins concentrés sur les projets les plus prometteurs. Une concentration qui se ferait dans le fonctionnement actuel de l’Union au profit des grandes entreprises des principaux Etats-Membres, à l’encontre de l’inefficace mais diplomatique saupoudrage ordinaire de la Commission.
POUR UNE COOPÉRATION LIBRE ET NON FAUSSÉE… ?
Au-delà des questions budgétaires, la coopération même reste une idée neuve en Europe. Trente ans de programmes cadres n’y ont pas suffi, l’émergence d’un véritable intérêt général européen s’est heurtée à l’idéologie de la libre circulation des capitaux et marchandises et de la concurrence. Les initiatives nationales demeurent cloisonnées, peu coordonnées et bien souvent portées par le souci de défendre l’industriel national face à un échelon européen perçu comme hostile. C’est pourtant cet échelon qui aurait la capacité de porter des ambitions industrielles comme le véhicule électrique, une véritable filière éolienne ou solaire, les biotechnologies médicales ou l’avion du futur.
Car le cloisonnement n’est plus tenable. L’importance prise par l’échange d’informations numériques impose à la recherche d’être collaborative et partenariale. Les programmes européens, malgré les difficultés culturelles et linguistiques ou le repoussoir bureaucratique, ont été pionniers en la matière. Et si à court terme l’évolution du processus de production portée par ce besoin d’échange se fait comme toujours au prix d’une exploitation accrue du travail, elle va dans le sens d’une ouverture des « boîtes », des entreprises, à l’encontre du long processus de clôture jalouse et de spécialisation aliénante sur lequel s’étaient bâtis leurs appareils de pouvoir. Une tendance à mieux caractériser mais assurément lourde de sens à moyen et long terme.
Dans le même temps, l’appel incessant du monde industriel au soutien de la R&D par les puissances publiques est un aveu d’impuissance. Le besoin de soutien public jusqu’à la pré- industrialisation – très près de la commercialisation et donc du retour sur investissement – montre certes la gravité du problème d’accès aux capitaux, mais aussi que les directions d’entreprise ne savent plus porter de projets d’ampleur sans impulsion publique. Elles attendent toujours plus d’organismes de recherche technologique[2], très majoritairement publics et subventionnés, qui ont la mission d’extraire de la recherche fondamentale les pistes de développements industriels futurs. À l’encontre du rêve libéral, elles révèlent ainsi leur incapacité à prendre en charge la construction de notre avenir industriel.
LE NÉCESSAIRE RETOUR D’UNE INTERVENTION PUBLIQUE
Pourtant dans l’état des rap- ports de force, ce retour amorcé du public ne signifie pas pour autant que l’intérêt général et le progrès – à ne pas confondre avec l’innovation ! – soient repla- cés au cœur de la question industrielle. Un débat important à propos de l’administration du programme Horizon 2020 concerne la conditionnalité des aides accordées . En échange des aides et financements accordés[3], demandera-t-on des preuves de création de valeur soutenable ? D’emplois de qualité ? Ou seulement de vagues engagements sitôt pris et sitôt trahis ? Quels moyens techniques et humains pour le contrôle ?
Quelles que soient les réponses, ce contexte européen révèle une nouvelle étape du brouillage des frontières entre public et privé. Un brouillage aux effets délétères bien connus sur le service public, mais qui pourrait bien aussi signer le retour d’une capacité d’intervention publique dans l’économie… à condition de rencontrer une volonté politique prête à en faire usage !
*SÉBASTIEN ELKA est ingénieur en charge de coopérations européennes en recherche technologique et innovation. Il est membre du comité de rédaction de Progressistes.
1) FP7 pour 7th Framework Program for research and technology
2) RTO, pour Research & Technology Organisations. L’ONERA, l’INSERM, le CEA ou les IRT en France, le DLR ou les Instituts Fraunhofer en Allemagne, l’IBEC ou TECNALIA en Espagne, le VTT en Finlande…
- Une bataille a lieu a propos des KPI, Key Performance Indicator, un vocable fourre-tout au centre du débat sur les engagements et le suivi.