Cellules souches: retour sur le prix Nobel de médecine 2012, Michel Limousin

Cellules souches: retour sur le prix Nobel de médecine 2012, Michel Limousin

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Les champs d’applications dans le domaine des cellules souches sont potentielle- ment nombreux. La revue «Progressistes» s’attachera à revenir régulièrement sur les différentes pistes ici évoquées, en lien avec les questions éthiques qu’elles soulèvent.

PAR MICHEL LIMOUSIN*,

DES EXPÉRIENCES DÉTERMINANTES

En 2012 le prix Nobel de médecine a été remis à John Gurdon et au japonais Shinya Yamanaka pour leur découverte sur la reprogrammation des cellules matures spécialisées. En 1962, John Gurdon avait découvert la réversibilité de la spécialisation cellulaire et avait ouvert la voie à son collègue Yamanaka. Son expérience princeps consistait à éliminer le noyau d’une cellule immature d’un œuf de gre- nouille et à le remplacer par le noyau d’une cellule intestinale prélevée sur un têtard. Cet œuf transformé se développait ensuite et donnait alors un têtard normal. Ainsi prouvait-il que l’ADN de la cellule mature spécialisée possède bien toutes les informations nécessaires au développement d’une grenouille complète. En 2006, Shinya Yamanaka a montré que des cellules matures de souris pouvaient se transformer en cellules totipotentes, c’est-à-dire capables de se transformer en tous les types de cellules spécialisées nécessaires à la constitution d’un individu complet et vivant. Etonnamment peu de gènes sont nécessaires à cette transformation (quatre seulement) pour recréer tous les types de cellules spécialisées. Ces découvertes ont enrichi considérablement les connaissances sur le développement des individus et sur la spécialisation cellulaire. Cette donnée fondamentale a ouvert très rapidement le champ à des applications nombreuses et innovantes qui ont donné des perspectives pour le traitement de beaucoup de maladies. Ces cellules dénommées iPS (pour cellules souches pluripotentes induites) sont des cellules souches immatures induites capables de donner des cellules spécialisées de tous types. Ainsi des cellules cutanées, de prélèvement très facile, peuvent être reprogrammées et étudiées soit in vitro ou réinjectées in vivo.

LES CHAMPS D’APPLICATION SONT NOMBREUX.

1) la maladie de Parkinson présente différentes formes génétiques. Des cellules souches plu- ripotentes induites ont pu être reprogrammées et différenciées en neurones. Ces nouveaux neu- rones peuvent être traités in vitro, modifiés et pourraient être réimplantés. Des études sont en cours. 2) la Progeria est une maladie caractérisée par un vieillissement très accéléré. On ne savait pas pourquoi cette maladie s’accompagnait d’un maintien des fonctions cognitives tandis que tous les tissus étaient touchés. On a découvert que seules les cellules nerveuses sont dépourvues de la protéine responsable (Lamine a) de la maladie. Or il n’était pas possible éthiquement de prélever des neurones sur ces patients. La reprogrammation de cellules souches en neurones in vitro a permis cette démonstration.

3) dans la maladie d’Alzheimer des fibroblastes ont pu être transformés en iPS et retransformées en neurones. Ceci a permis de montrer l’existence de sous-catégories de la maladie d’Alzheimer et ouvre le champ à des thérapeutiques ciblées.

4) les patients atteints de myopathie des ceintures ont pu être prélevés et des cellules souches iPS reprogrammées ont été différenciées en mésangioblastes qui ont pu être corrigés génétiquement in vitro. L’injection de ces cellules modifiées chez des souris a permis de constater une amélioration des capacités motrices. Cela ouvre un espoir pour les humains atteints de cette pathologie.

5) dans l’épidermolyse bulleuse, la reprogrammation de cellules iPS est envisagée et est en cours d’expérimentation.

6) dans le vitiligo, maladie très répandue se manifestant par des taches de dépigmentation, on a pu obtenir des mélanocytes à partir de cellules souches susceptibles de repigmenter la peau. Ceci ouvre une piste pour le traitement de ces troubles de la pigmentation.

7) dans le domaine de la cirrhose, des cellules hépatiques humaines capables de se greffer dans le foie cirrhotique de souris ont permis de régénérer le tissu hépatique. Là aussi une perspective est ouverte pour les humains. On peut imaginer que demain les greffes de foie deviendront moins nécessaires.

8) dans des syndromes comme Angelman et Prader-Willy qui sont à l’origine de troubles du développement neurologique, des neurones obtenus par ces méthodes in vitro favorisent l’étude de ces anomalies. Là aussi le chemin de la connaissance s’ouvre. Idem pour la maladie de Sanfilippo qui une mucopo- lysaccharidose qui donne un retard mental. Les maladies rares souvent appelées orphelines pourront particulièrement bénéficier de ces recherches.

9) le syndrome QT long est une maladie cardiaque: des cellules cutanées reprogrammées et trans- formées en cardiocytes porteurs des anomalies de ce syndrome ont pu être créées et offrir un modèle de test pour des médicaments. L’expérimentation médicamenteuse se fait sur ces cellules in vitro et non directement sur les patients.

10) dans la schizophrénie des cellules cutanées reprogrammées en neurones présentent des anomalies particulières caractérisées par la rareté de connexion cellulaire. C’est un modèle intéressant et innovant pour la recherche.

11) dans la rétinopathie diabétique un programme européen de recherche est lancé pour évaluer l’efficacité de l’administration de cellules souches mésenchymateuses à des patients pour corriger les anomalies vasculaires de cette maladie qui entraîne la cécité. Aux États-Unis en 2011 un essai de traitement de cette rétinopathie diabétique par des cellules souches d’origine cutanée a été conduit.L’étude européenne qui y fait suite utilisera des cellules mieux définies et devrait améliorer les résultats. On n’en finirait pas de donner des exemples d’application. Au total le prix Nobel 2012 attribué seulement six ans après la découverte de la reprogrammation montre l’évolution rapide et innovante de la recherche fondamentale dans ce domaine.

TROIS ENSEIGNEMENTS

D’abord on doit une nouvelle fois signaler l’importance de la recherche fondamentale qui, seule, est de nature à créer des perspectives nouvelles en recherche appliquée. L’essor de nouvelles thérapeutiques passe par l’essor de ces biotechnologies. Les perspectives thérapeutiques sont réelles et de moyens termes. La science fondamentale est vraiment porteuse d’espoir. Les renoncements en la matière de l’industrie pharmaceutique et chimique avaient, depuis 20 ans, été la source d’un tarissement des innovations. Un espoir est né.

La cirrhose, des cellules hépatiques humaines capables de se greffer dans le foie cirrhotique de souris ont permis de régénérer le tissu hépatique. Là aussi une perspective est ouverte pour les humains.

Deuxième idée : il est frappant de constater l’accélération des découvertes dans ce domaine. Pour ne pas être à la traîne, la France devrait investir rapidement dans ce secteur. N’est-ce pas le sens des propositions que nous avions faites il y a cinq ans déjà, de créer un pôle public du médicament qui investisse massivement dans la recherche universitaire et pharmaceutique ? Il y a urgence à sortir cette recherche de la quête de la rentabilité financière maximum qui plombe l’avenir et obère toute perspective de progrès.

Troisième idée : dans le domaine de la bioéthique se posait la question de savoir si l’on pouvait mener des expérimentations sur des fœtus qui auraient alors servi de banque de cellules. Les débats étaient nombreux et complexes : ils posaient la question du respect de la personne, de son intégrité. Il n’y avait pas de consensus pour résoudre cette problématique. Or aujourd’hui, le débat change de nature avec ces nouvelles découvertes. En effet la reprogrammation de cellules souches et leur transformation en cellules spécialisées de tous types règle la question d’une certaine façon. De plus l’avantage biologique immédiat est qu’il n’y aura pas de problème de rejet des greffes sur des cellules issues du malade lui-même et reprogrammées. Une révolution technologique est en cours et elle renouvelle à la fois l’espoir de soigner des maladies jusqu’ici incurables, en tout cas de mieux les connaître, et offre en outre la possibilité de dépasser un débat éthique très difficile.

La science non seulement peut changer la condition humaine mais encore elle permet par ses développements de poser les débats éthiques en d’autres termes. Elle porte en elle de quoi fonder une nouvelle civilisation. Celle qu’attendent les progressistes qui lisent cette nouvelle revue.

*MICHEL LIMOUSIN est médecin. Il est membre du comité de rédaction ainsi que de la Commission santé et protection sociale du Pcf.

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