En 1982 étaient promulguées quatre lois modifiant d’environ un tiers le Code du travail de notre pays. Ces lois portent le nom du ministre de Travail du gouvernement de Pierre Mauroy, Premier ministre de François Mitterrand, élu président de la République un an plus tôt. Jean Auroux, le ministre à l’initiative et auteur de ces lois, et Gérard Alézard, syndicaliste, les évoquent et se penchent sur leur portée


Avant l’élection de François Mitterrand et l’arrivée de la gauche au pouvoir, que faisiez-vous, l’un et l’autre ? Qu’est-ce qui conduit, pour l’un, à l’accession à un poste de ministre de la République et pour l’autre, à occuper de hautes responsabilités dans la puissante CGT d’alors ?
Jean Auroux : Issu d’une famille d’agriculteurs modestes, après mes études secondaires à Roanne et supérieures à Lyon, j’ai exercé une activité de professeur de lettres au Lycée Technique Carnot de Roanne. J’ai vécu mon enfance dans un petit village de 600 habitants – Mardore – dans le nord du département du Rhône, mais, bien que mon père y fût maire à plusieurs reprises, les perspectives d’une carrière politique m’étaient totalement étrangères, ma seule ambition – pour ne pas dire ma passion – était la pédagogie et l’enseignement public.
Certes, l’humanisme de mon père, militant syndicaliste agricole, créateur d’une CUMA (Coopérative d’Utilisation de Matériel Agricole) plutôt « démocrate-chrétien » à la suite du « Sillon » de Marc Saugnier, a sans doute contribué à développer une sensibilité de gauche qui me conduisit à adhérer au Parti Socialiste après le Congrès d’Epinay. J’avais 30 ans ! Cependant, soucieux de la vie locale et notamment de la jeunesse, j’occupais mes loisirs à l’animation du village avec la création d’une équipe de basket, d’une équipe de foot et d’une troupe de théâtre amateur, toutes avec les ressources humaines locales ! C’est en 1976 que de nouveaux horizons s’ouvrirent – ou plutôt s’imposèrent à moi – au moment des élections cantonales.
L’élu sortant était Alain Terrenoire également député gaulliste de la circonscription – il était le fils de Louis Terrenoire qui fut ministre du Général de Gaulle. La situation n’était pas favorable au Parti socialiste : le Centre Droit était majoritaire et tenait la mairie, le Parti Communiste nous devançait de plusieurs points, si bien que la section de Roanne ne trouva aucun volontaire pour cette élection. La Direction Nationale du Parti Socialiste dut envoyer un émissaire (Jean Baboulene) pour trouver un candidat, et c’est pratiquement en désespoir de cause qu’il réussit à me convaincre … Un peu à la surprise générale, je fus élu dans le canton de Roanne-Sud et je me retrouvais le plus jeune conseiller de l’Assemblée Départementale alors présidée par Antoine Pinay, maire de Saint-Chamond, ancien Président du Conseil et « père du nouveau franc » !
Ce fut le début de mon parcours politique lié à l’enchaînement des scrutins : 1977 je fus élu maire à la tête d’une liste d’Union de la Gauche (PS – PCF -Radicaux de Gauche et Verts) En 1978 député de la Loire dans l’ambiance d’une dynamique de Gauche dans la perspective de l’élection présidentielle de 1981- tout en restant maire, car alors, on ne se posait pas la question du « cumul des mandats » ; il fallait donner toutes ses chances à une alternative politique après plus de 20 ans de pouvoir conservateur.
Pendant 3 ans je fus un député de base nommé à la prestigieuse Commission des Finances avec toutefois des responsabilités plus modestes que « rapporteur général de budget ». J’y fus chargé du budget de l’Ordre de la Légion d’Honneur et surtout de celui de l’Imprimerie Nationale dont je pus mesurer l’importance, mais aussi y rencontrer des personnels compétents et attachants, la plupart adhérents au Syndicat de Livre CGT. En 1980, François Mitterand, dans le cadre de son dispositif de campagne présidentielle, connaissant mon goût pour l’architecture et l’urbanisme et ma présidence d’un Office Municipal HLM, me demanda de prendre en charge la responsabilité du Logement à la place du regretté Hubert Dubedout, maire de Grenoble, prenant en charge la Fédération des Élus Socialistes et Républicains. C’est à ce titre que j’ai participé à son équipe de campagne dirigée par Paul Quiles, mais à aucun moment le futur président n’avait évoqué mon éventuelle présence à son gouvernement en cas de victoire !
Gérard Alezard : Tout un ensemble d’expériences et d’engagements, se nourrissant les unes les autres. Ingénieur de recherche au LCPC pendant une décennie, adhésion à la CGT le jour même de l’embauche, en 57 ! puis dirigeant de l’UGICT… me conduisent en 66 à la direction, puis, en 75, au secrétariat général de l’UD de la Capitale. Les mouvements sociaux, et pas seulement 68, les travaux sociaux et économiques, les responsabilités diverses, expliquent sans doute mon élection au bureau confédéral de la CGT, auprès de Henri Krasucki, en janvier 1982.

Je suis alors chargé des questions économiques, vite partie prenante de l’approfondissement des propositions de la CGT et aussi des droits d’intervention des travailleurs sur les choix de gestion des entreprises. Avec la victoire du programme commun, la CGT s’attache ainsi à placer l’efficacité économique et sociale « en situation », dans les propositions comme dans l’action des syndicats, « pour mettre en oeuvre les critères nouveaux de gestion substituant au taux de profit et à la rentabilité du capital la logique du progrès et de la rentabilité économique et sociale à l’échelle du pays[i] ». Sans être négociateur direct sur les lois Auroux[ii], néanmoins, en amont, j’ai contribué à rédiger nombre de propositions, notamment sur le rapport entre démocratie, dialogue social, négociations et loi sur ce terrain économique dans l’entreprise. Ainsi du champ d’intervention et de la place des travailleurs des entreprises nationalisées industrielles et bancaires.
Tous deux vous êtes alors militants, pour vous Jean Auroux, du Parti socialiste et pour vous, Gérard Alezard, du Parti communiste français, mais surtout, vous appartenez à la même centrale syndicale : la CGT. Cela a-t-il facilité les choses ?
J.A. : Mon engagement syndical au SNTP CGT est né d’une lutte au sein de l’Éducation Nationale. En effet, les professeurs techniques étaient victimes d’une discrimination salariale négative alors que nous avions les mêmes élèves et la même salle des « profs ». Cette revendication, parfaitement légitime, a fini par aboutir mais cela était significatif de la pénalisation des « cols bleus » par rapport aux « cols blancs » Par ailleurs, maire de Roanne, ville ouvrière, j’avais des contacts permanents avec les partenaires sociaux et notamment la CGT, syndicat dominant alors, aussi bien dans les industries mécaniques (Arsenal – Machines Textiles) que dans la bonneterie qui occupait de nombreux emplois féminins. Les difficultés économiques se développaient déjà avec des tensions et des conflits sociaux inévitables. Mes rapports furent quelquefois rugueux avec les leaders cégétistes roannais bien connus de la centrale. Député depuis 1978, membre du Groupe Socialiste à l’Assemblée, je participais aux débats politiques et aux relations avec les acteurs sociaux dans la perspective de la prochaine présidentielle. Les thèmes et les revendications portés par la CGT m’étaient donc parfaitement connus sur le plan national aussi. Sans oublier la connaissance directe, dès mon enfance rurale, avec le monde du travail, car le village comptait cinq usines textiles installées le long de la rivière dont les eaux non calcaires convenaient à la teinture et aux apprêts du coton. Ainsi, cultures politique et syndicale étaient le fondement de ma vie militante enrichie par une longue expérience et une sensibilité humaniste. Je me suis toujours demandé comment on pouvait être ministre du travail en méconnaissant sa réalité vécue.

G.A. : De nombreux facteurs ont contribué à se retrouver sur ce défi de droits d’expression et d’intervention. Et sans doute cette appartenance à la CGT dont l’un et l’autre, à sa place, en partageaient les valeurs en rapport avec le progrès social et la démocratie. Et à coup sûr, cette longue bataille pour le PCG, son contenu, ses mésaventures jusqu’à la rupture PCF-PS et l’engagement, qui n’a jamais cessé, de la CGT, même après cette rupture de 1977… et bien sûr les changements profonds inscrits dans le programme et pour lequel le gouvernement d’union de la Gauche avait été élu en 1981. En témoignent la nature et les contenus des lois dont Gérard Gaumé avait apprécié ainsi la dynamique globale « … de la veine de 1936… de moyens importants pour répondre aux aspirations des salariés à intervenir sur leur lieu de travail… influant sur l’organisation hiérarchique de l’entreprise, en enrichissant la vie syndicale… Des lois de démocratie affichant dignité, liberté, responsabilité et solidarité… » À mettre en rapport avec le règlement intérieur qui prévalait alors chez Citroën et qui stipulait «…Il est interdit de chanter, de siffler, de prendre la parole en public, de susciter, d’organiser, de tenir des réunions ou des rassemblements, d’introduire ou de vendre des brochures, des journaux, des imprimés, des tracts, de manquer de respect au personnel dirigeant… » !
Je vois encore Henri Krasucki énoncer successivement devant les militants «… le droit le plus simple, celui qui permet aux délégués de circuler librement… le droit d’accueillir dans les entreprises des responsables syndicaux de tous les échelons de la CGT… la possibilité de se faire assister dans toutes les discussions par des représentants qualifiés, choisis par l’organisation syndicale…le droit d’avoir des délégués de site… la possibilité de stopper une machine ou de refuser de travailler sur une installation qui mette en cause la sécurité… le droit d’intervenir sur les choix économiques des entreprises ».
Comment définiriez-vous le contexte politique de l’époque mais davantage la situation économique et sociale du début des années 80 ? Diriez-vous qu’il existait, dans le monde du travail, une attente particulière relativement au droit du travail ?
J.A. : Sur le plan politique, la gauche et notamment le Parti Socialiste, après le Congrès d’Épinay, était dans une dynamique positive – souvent unitaire – comme en témoignent de nombreux succès aux élections municipales en 1977. La droite restait campée sur ses orientations libérales qui ne répondaient ni à la lutte contre le chômage, ni à l’amélioration des conditions de travail et des rémunérations des salariés du privé comme du public. Certains secteurs comme la sidérurgie connaissaient de graves difficultés économiques et d’autres comme l’automobile (Citroën) de très sérieux troubles sociaux. Du côté patronal, la CGPME surtout le CNPF (Conseil National du Patronat Français) – appellation plus légitime que MEDEF qui a évacué le terme « patronal » – offraient leur traditionnelle opposition à toute réforme progressiste. En revanche, le monde syndical était plus puissant et moins dispersé qu’aujourd’hui.
Cinq centrales syndicales reconnues avec des leaders de qualité et porteurs de propositions et de revendications longuement élaborées étaient pour le ministre du travail ces « corps intermédiaires » trop négligés aujourd’hui qui ont permis d’aller de l’avant par un dialogue démocratique et responsable. Par ailleurs, il est utile de rappeler que le Programme Commun – bien que caduc – n’était pas si loin et même, d’une certaine manière les « évènements de mai 1968 » dont les jeunes acteurs étaient entrés dans la vie active et plus précisément dans les entreprises où avaient finalement été autorisées les « sections syndicales d’entreprises » plus de 80 ans après la création des syndicats en 1884. Et pour les moins jeunes les souvenirs de 1936 et de 1945 étaient toujours vivants et nourrissaient l’espérance de « changer la vie » et donc le droit du travail, aussi bien en ce qui concernait les droits collectifs que les droits individuels, ces derniers souvent malmenés dans des « règlements intérieurs » unilatéraux et peu respectueux des libertés et des personnes.
G.A. : « Les lois Auroux, 40 ans après », un bel âge, non pas seulement vu comme la célébration d’un anniversaire avec des bougies, un peu de traditions et la nostalgie des acteurs concernés. Certes, pour apprécier leur portée sur fond d’expérience syndicale et politique, mais aussi avec le souci d’examiner ces lois à la lumière de la situation d’aujourd’hui. On peut ainsi inverser l’ordre des facteurs et se dire que ce n’est pas mal de regarder les exigences que recèlent l’actualité à l’aune de ce qu’a fabriqué la période en 1982 sur le droit du travail et notamment les lois Auroux, et aussi avec Anicet Le Pors, au niveau de la Fonction publique et du secteur public et nationalisé. La construction de la démocratie relève en effet du parcours du combattant ; ce qui s’est fait hier peut beaucoup aider à apprécier les conditions du progrès pour aujourd’hui. « Le rétroviseur est indispensable pour avancer » citait lors d’un débat Jean Auroux…
Or, oui une urgence et aussi une aspiration pour déclarer et garantir le mariage du « couple travail et démocratie », comme condition d’une citoyenneté dans l’entreprise, vitale socialement et efficace économiquement.
Nous avons vécu cela sur un « terrain d’apprentissage » pour la CGT et dans la CGT et pas seulement pour négocier et assumer ces quatre lois de fin 1982. Le 10 mai 81, Mitterrand est élu président de la République. Un gouvernement nouveau est constitué avec des ministres communistes.
Nous étions dans la situation nouvelle de l’arrivée de l’Union de la gauche au pouvoir. La CGT avait contribué sur le plan syndical à faire triompher la gauche et nous nous opposions au patronat et à la droite qui s’acharnaient à nous ramener en arrière. Nous devions passer de l’opposition frontale à un gouvernement à la recherche « d’un partenariat vigilant » selon la formule de H. Krasucki. Nous étions ainsi « apprenti partenaire », qui voulait être compréhensif et coopératif, critique et contestataire mais toujours responsable et constructif. Dans la CGT et parmi les travailleurs, il y avait ceux qui voulaient laisser le temps au gouvernement d’avancer, qui ne voulaient pas demander « tout, tout de suite ». Et puis, les moins patients qui demandaient « mais que fait donc la CGT ? ». Nous avions ces débats dans la CGT, tandis qu’un chemin s’annonçait ouvert pour la démocratie et la citoyenneté dans l’entreprise.
Lorsque ces lois ont été promulguées en 1982, pendant leur gestation comme dans leur mise en oeuvre comme, la polémique et les conflits n’ont pas manqué. Les uns (la CGT en était) disaient bravo : « la citoyenneté est à notre porte et nous nous engageons dans une transformation des relations sociales », c’était l’ambition affichée, affirmée et on y retrouvait nombre de propositions que nous avions faites à l’époque. Le versant patronal critiquait vertement en annonçant « la désorganisation de l’entreprise » et en dénonçant « l’instauration des soviets », selon l’expression d’Yvon Chotard. Le propos avait beaucoup fait rire, à l’époque, même si les nouveaux droits des Comités d’entreprise, pour « assurer une expression collective des salariés, permettant la prise en compte de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise… » créaient de réelles possibilités…] Ainsi également d’Yvon Gattaz, (le père du même) alors Président du CNPF qui, lorsque nous parlions du dialogue social, du droit d’expression et de l’intervention sur la gestion, sujet tabou et chasse gardée s’il en est, nous avait rétorqué « certes, il faut revaloriser la fonction salariale, mais non par la participation à la gestion », ajoutant en substance « à chacun ses compétences, au tourneur de tourner, au chef d’entreprise de gérer » ! Et comment ne pas citer Gandois, qui plus tard précisait devant nous « être prêt à discuter dans l’entreprise de presque tout à 98% … sauf les 2% qui traitent de la stratégie ! »
Or, le paradoxe, apparent, est bien qu’aujourd’hui, le débat reste totalement ouvert alors qu’une des questions à la une de l’actualité sociale et économique, voire politique dans les présidentielles, c’est bien de savoir si la démocratie sociale et économique doit avoir droit de cité à tous les niveaux, entreprise, territoires, national et international.
Avant les lois elles-mêmes, des ordonnances instaurent, dès janvier, la semaine de 39 heures, la cinquième semaine de congés payés et l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans. Une révolution !
J.A. :Le rapport sur « les nouveaux droits des travailleurs » rendu public le 8 octobre 1981 (six mois après l’élection présidentielle) et approuvé dès le 4 novembre par le Conseil des Ministres n’était pas un ensemble de mesures mais un véritable projet de réformes profondes de la politique sociale de la France. Les ordonnances de début 1982 suivies par les quatre lois étaient une des composantes de ce projet politique. Certes le recours aux ordonnances n’a pas bonne presse – toutefois moins que le 49-3 – mais c’est une disposition parfaitement constitutionnelle ; c’est plutôt leur contenu qui doit être finalement considéré : positif ou négatif comme celles de Macron – Penicaud.
Compte tenu de l’impatience sociale, de l’encombrement parlementaire généré par le souci de réforme de nombreux ministres et de l’avertissement de François Mitterand qui m’avait clairement dit que « ce que l’on ne fait pas la première année on ne le fait jamais » les lois d’habilitation furent votées dès la fin de 1981. Ce fut en quelque sorte une double « révolution démocratique » d’abord en ce qu’elle changeait la vie des travailleuses et des travailleurs par une réduction concrète et vécue de leur temps de travail : réduction sur la semaine (39 h payées 40) sur l’année avec la création de la 5e semaine de congés payés et sur la vie avec (feue) la retraite à 60 ans ; et aussi parce qu’elle respectait la Constitution et le Parlement, même si elle laissait plus de liberté à l’exécutif. Ces dispositions contribuaient également à la création d’emplois comme dans le secteur du tourisme et la libération de postes par les nouveaux retraités d’autant plus que d’autres ordonnances moins connues furent mises en place. Ainsi les « contrats de solidarité » (un ancien part et est remplacé par un jeune), l’ordonnance sur le « temps partiel » et surtout celle qui régulait l’intérim en le limitant au renfort et au remplacement nécessaires. On est très loin de « l’ubérisation » sauvage d’aujourd’hui qui institue l’exploitation et la précarité.
G.A. : À partir de 81, la CGT s’attache à placer les nouveaux critères de gestion « en situation », dans les propositions comme dans l’action des syndicats dans les entreprises, « pour mettre en oeuvre les critères nouveaux de gestion substituant au taux de profit et à la rentabilité du capital la logique du progrès et de la rentabilité économique et sociale à l’échelle du pays »[iii].
C’est le temps du débat et de la mobilisation pour d’autres choix de gestion et aussi d’expérimentation des potentialités et de l’efficacité de l’action sur le lieu de travail, et pas seulement au niveau des nationalisations mais sur l’ensemble du terrain économique. Formation des prix, vérité des coûts, et rôle des CE, nouvelle politique du crédit et critères d’utilité publique, financement de la protection sociale…, des essais ont été nombreux, transformés ou non.
La CGT s’essaie à mettre en oeuvre la ligne retenue et confirmée lors du 41e Congrès : « un partenariat vigilant, interlocuteur, partenaire constructif, indépendant et critique…nous soutenons ce qui est bon pour les travailleurs et le pays, nous critiquons ce qui nous paraît insuffisant ou franchement mauvais… » stratégie qui n’a pas tardé à connaître les travaux pratiques. Pas évident… passer de l’opposition frontale et « traditionnelle » envers un gouvernement instrument du patronat et du capitalisme, à la recherche d’un partenariat avec un gouvernement d’union sur un programme sur lequel la CGT s’est engagée pleinement.
Oui, le gouvernement né de 81 a très vite atteint une vitesse de croisière de la réforme sociétale et de la transformation sociale : cinquième semaine de congés payés, retraite à 60 ans, remboursement de l’IVG, augmentation du SMIC de 10%, des allocations familiales et logement de 25%, et encore abolition de la peine de mort. Les lois de nationalisation, banque et industrie, vont être votées en février 82. La CGT s’est attachée à prendre toute sa part dans les contacts et négociations permettant d’avancer sur ces réformes. Nous verrons que l’élaboration démocratique des lois Auroux reste une valeur d’exemple, notamment quant à leur mode d’élaboration à maints égards sans équivalent, surtout si on le rapporte aux pratiques des gouvernements précédents, avec du temps pour réfléchir, du temps pour discuter, la possibilité de revenir sur certaines questions, où se sont conjugués travaux d’amendements pour les débats au Parlement, au Sénat et aux rencontres bilatérales avec les ministres concernés, avec le Premier Ministre aussi…
La CGT était entièrement disponible à toutes les phases de l’élaboration. Elle l’a été, dans les faits : ses représentants ont été omniprésents, et écoutés sur de nombreux points, dans des groupes de travail et des rencontres Si on compare cette expérience à ce qui se passe aujourd’hui, c’est le jour et la nuit.
Pour répondre un peu plus complètement à votre question, les réformes n’ont pas été, dès 1982, sans blocages ni mises en cause, avec un patronat vent debout, mais aussi sur le plan gouvernemental. Il y avait eu une alarme durant les négociations des 35h aboutissant vite à une « étape » de 39h payées 39 ! Et des négociations sectorielles étaient déjà engagées avec le patronat quand de rapides réactions chez les travailleurs, avec la CGT, ont conduit à une position de FM modifiant la décision du gouvernement : ce sera 39 h payées 40 ! Que dire aussi de l’annonce présidentielle qui, le 9 juin 82, affirme la nécessité d’une « pause » sociale, avec blocage des prix et des salaires et aussi augmentation de 0,5 point de la cotisation de l’assurance chômage… le « tournant de la rigueur » en 83 passant de « la pause paravent » au reniement non assumé. François Mitterrand prône alors le redressement national par l’austérité, le « ni ni », antichambre de la privatisation et les fermetures d’entreprises. Et c’est Pierre Mauroy, Premier Ministre, qui finalement s’essaie à présenter cela, au nom de la rigueur, à Lille, au 41e congrès de la CGT dont les contestations ne se sont pas fait attendre.
Les lois Auroux et surtout leur mise en oeuvre, vont être porteuses de tout cela. Il s’agit bien d’une valeur d’exemple ; résultats de luttes permanentes et d’un mode d’élaboration auquel la CGT a largement contribué, ces 4 lois, auxquelles il faut ajouter les décrets spécifiques du ministre Anicet Le Pors pour la Fonction Publique, recèlent une vaste refonte du droit du travail dans les entreprises avec une finalité affichée : citoyenneté et démocratie, libertés plus larges sur le lieu du travail, instauration de groupes d’expression, droits étendus des IRP et en particulier droit de contrôle économique des CE et création des CHSCT.
« Il faut libérer les forces vives de la France » disait le rapport Auroux qui précisait … les travailleurs doivent tout d’abord être des citoyens à part entière dans l’entreprise, afin de devenir les acteurs du changement. La mission est clairement affirmée dans loi relative aux institutions représentatives du personnel : assurer une expression collective des salariés, permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière des entreprises, à l’organisation du travail et aux techniques de production… ».
Jean Auroux, quelle est, du point de vue de leur contenu, la genèse des lois Travail qui portent votre nom ? Sur quoi vous appuyez-vous alors ? À quoi faites-vous appel dans la connaissance qui est alors la vôtre du monde du travail et de l’économie mais également dans la connaissance de l’histoire ?
J.A. : Il n’est pas de projet sans racines ! Les miennes sont de trois ordres : le poids des expériences vécues, l’intérêt pour l’histoire et naturellement l’actualité politique syndicale et sociale du moment. En premier lieu mon enfance à la campagne où je pouvais constater le travail manuel des hommes et des femmes dans les fermes mais aussi le labeur des salariés dans les usines textiles proches. À cet égard l’image des tisseuses d’étoffes exotiques destinées aux colonies qui sortaient de l’usine avec ces couleurs vives restées sur leurs mains, leurs visages et leurs vêtements ne sont pas pour rien dans la création des CHSCT (aujourd’hui disparus). Je regrette qu’aujourd’hui les enfants ne voient plus guère leurs parents au travail ; les quelques opérations « portes ouvertes » ou les brèves visites d’école sont bien superficielles et souvent « organisées » Mon vécu adulte fut en prise directe avec le monde du travail : en qualité de maire chargé des emplois municipaux, président de l’Office Public HLM , président du Centre Hospitalier et de plusieurs associations intercommunales à caractère social, et bien évidemment le contact permanent avec la réalité d’une ville ouvrière dont la taille moyenne facilitait les rencontres et les échanges. Ma passion pour la géographie et l’histoire c’est-à-dire la vie des hommes dans l’espace et dans le temps fut aussi très éclairante dans ma réflexion sociale.
Trois exemples parmi bien d’autres. La Révolution Française avec la loi « Le Chapelier » qui, au motif de supprimer les corporations, imposa pour des décennies ce concept singulier : « désormais il ne devait subsister que le citoyen et l’État » Il fallut attendre la fin du siècle (1884) pour que soient autorisés les syndicats ! Ensuite le Front Populaire en 1936 avec Léon Blum et trois femmes ministres (Suzanne Lacore, Cécile Brunschvigg et Irène Joliot-Curie) alors que les femmes n’avaient pas le droit de vote !
Autre source historique le volet social du Conseil National de la Résistance riche de son pluralisme militant qui trouvera son aboutissement en 1945, sans oublier la « déclaration de Philadelphie » le 10 mai 1944 qui fut à l’origine de la création de « l’Organisation Internationale du Travail ». Il revenait à la gauche au pouvoir en 1981 de s’inscrire dans cette longue histoire du progrès social. Enfin l’actualité politique, sociale, syndicale nous offrait une large matière pour une oeuvre législative : les 110 propositions du candidat Mitterand, celles des composantes de la nouvelle majorité présidentielle, les nombreuses propositions de loi rédigées par les groupes de gauche pendant les législations précédentes.
Mais cette « coproduction législative » comme j’aime à l’appeler a été largement alimentée par les organisations syndicales particulièrement mobilisées dans leur diversité. À cet égard une anecdote éclairante sur la situation : Lors de l’audience accordée dès juin 1981 à la délégation CGT conduite par Henri Krasucki, ce dernier déposa sur mon bureau un volumineux dossier avec les paroles suivante : « Voilà je t’apporte 23 ans de revendications ! Je pense que tu vas un peu trier ! » Avec la diversité de leurs approches, les autres responsables syndicaux ne furent pas en reste : Edmond Maire pour la CFDT, André Bergeron pour FO, Jean Menu pour la CFE-CGC, Jean Bornard pour la CFTC, ces cinq syndicats de salariés bénéficiaient de la « présomption irréfragable de représentativité à la suite de leur comportement pendant la seconde guerre mondiale » Quant aux représentants patronaux : Yvon Chotard pour le CNPF et René Bernasconi pour CG-PME Par ailleurs les Universitaires juristes et leurs publications complétèrent utilement mon information sans oublier un certain nombre de législations européennes même si l’Union Européenne n’était guère allante en matière sociale.
Gérard Alezard, quelle est votre perception personnelle à ce moment-là ? Et comment ces lois sont-elles perçues dans le monde du travail et particulièrement dans la Cgt ?
G.A. : Très vite, ces lois seront le siège de conflits et de blocages. La hargne du patronat qui ne s’est pas démentie, tout au long des débats sur les lois, a nourri une opposition de terrain acharnée avec des moyens considérables, pour empêcher la mise en oeuvre de ces droits, pour les détourner, les vider de leur contenu.
Il en fut ainsi des groupes d’expression, rendus obligatoires par la loi et face auxquels les directions d’entreprise n’ont pas lésiné sur les moyens pour faire pièce à ce droit des salariés, recherche de mise sous « tutelle » d’un encadrement trié sur le volet, mise en place de cercles de qualités, de groupes « d’échange et progrès » et autres équipes autonomes qui ont suscité aussi beaucoup de méfiance et participé au désengagement des travailleurs. Les groupes d’expression, trop peu fréquentés par les organisations de la CGT, ont connu assez vite une désaffection des salariés, faute de résultats palpables pour les propositions émises : en effet, étaient exclus de la discussion les salaires, la classification, la formation, l’emploi et les choix de gestion !
Et surtout, l’exercice est apparu assez vite comme le lieu destiné à préciser ensemble comment appliquer des choix décidés en amont, et pas discutables. Les échanges et les « consultations » avec les salariés vont se limiter à débattre des meilleures façons de faire appliquer des décisions prises en dehors des personnels. En fait, les lois seront le siège d’opérations patronales, avec la volonté de vider et de dévoyer leur contenu, de les récupérer. Dès le début, ce fut un enjeu de luttes alors que le CNPF plaidait pour « l’alternance politique s’il n’y avait pas d’autre moyen pour abroger les lois Auroux ».
Ces données expliquent, qu’après une première année où des milliers d’accords ont été négociés dans la moitié des entreprises de plus de 200 salariés, et une forte production des groupes d’expression dont le plus souvent les directions se sont employées à différer la solution des problèmes soulevés par les travailleurs, la situation s’est rapidement renversée, pour conduire à un droit mal exploité et assez vite dévoyé.
Le développement de moyens d’expression des travailleurs et le renforcement de la délégation de pouvoir a contribué à un certain déséquilibre entre d’un côté une sorte de démocratie directe embryonnaire (les groupes d’expression et les conseils d’atelier et de bureau) et, de l’autre, une délégation de pouvoir au champ d’intervention nouveau et étendu (CE, CHSCT, Délégué syndicaux habilités à négocier…). Cela s’est mis en place, au détriment de la nécessaire conjugaison entre individuel et collectif, entre participatif et délégataire. Au fil du temps, « paradoxalement », des novations positives se sont trouvées en concurrence, d’autant plus que peu de moyens nouveaux ont été attribués pour l’expression et la décision collective des salariés organisés syndicalement (sauf dans le secteur public). Les droits des syndiqués étaient en effet oubliés.
Manquait ainsi à l’appel une condition essentielle de la démocratie syndicale et les liens entre salariés et élus restaient dépendants des pratiques des organisations syndicales. On pourrait aussi évoquer l’heure d’information, dans la Fonction publique et le secteur nationalisé. C’était une des propositions de la CGT, et la disposition nous convenait ; la direction de la CGT a beaucoup oeuvré pour sa concrétisation. Mais ça et là sur le terrain, un certain nombre d’organisations syndicales ont craint que l’heure d’information puisse mettre en cause l’autorité, la crédibilité de l’organisation syndicale et par conséquent, une sorte de concurrence s’est installée, pas partout bien sûr ; mais cela n’a pas facilité les choses.
Autres obstacles que critiquait Henri Krasucki en ces termes lors de la conférence nationale de la CGT : « les réticences, les retours en arrière, les restrictions accumulées dans certaines entreprises publiques et administrations où règnent encore majoritairement des hommes du passé et où sévit trop souvent chez certains responsables tout simplement la crainte et le refus du nouveau. Ajoutons que le pouvoir ou du moins les autorités qui le représentent ne font pas toujours preuve du dynamisme et de l’énergie nécessaires pour faire respecter et appliquer la loi… »[iv]
De fait, dans cette période passablement complexe et très vite perturbée par des reculs du gouvernement et la contre-offensive du CNPF, des militants, des dirigeants s’interrogeaient : crainte d’un contournement de l’organisation syndicale, sous couvert des groupes d’expression, de voir diluer la fonction des élus, ou de voir remis en cause leur rôle intermédiaire… L’expérience a montré que ces craintes n’étaient pas sans fondement, une expérience qui justifiait d’autant plus les appels de la direction confédérale. Un exemple, parmi d’autres, celui de l’obligation de négocier à l’entreprise ; il est évident aujourd’hui que cette mesure, par ailleurs stimulante et positive, a contribué à la réduction de la place de la négociation de branche, favorisant ainsi le recul du principe de faveur, élément essentiel de l’ordre public social.
Si la responsabilité n’est évidemment pas égale entre les acteurs, si les conséquences ne sont pas de même nature, s’il y en a qui sont « plus égaux que d’autres » …on ne peut passer sous silence des craintes et des réticences au sein du syndicalisme CGT, notamment lors de la première phase de mise en application de la loi. La direction de la CGT, consciente de ces hésitations et aussi des oppositions patronales, n’a pas ménagé ses efforts pour gagner la conviction et contribuer à la mise en oeuvre des lois qui « ne sont pas suffisamment utilisées, il faut dire sans hésiter que nous devons nous en prendre d’abord à nous-mêmes, nous-mêmes travailleurs, nous-mêmes, CGT. ».
Sur les ordonnances, sur les lois, comment cela se passe-t-il ? Qui est partenaire et comment ?
J.A. : Première observation : tous mes textes législatifs Ordonnances et Lois avaient été validés par le Conseil d’État et pas remis en cause par le Conseil Constitutionnel. C’est surtout sur les lois que les débats furent longs, animés et souvent sans concession malgré quelques pointes d’humour.
La droite minoritaire ne se montra guère à son avantage : refus de ses députés de participer à la Commission Parlementaire présidée par Claude Evin ; refus du Sénat d’entrer dans le débat de fonds. Les syndicats qui suivirent de près les travaux parlementaires soutenaient globalement les réformes – même la CGC qui apportait un « soutien critique ». Pas vraiment d’états d’âme au sein du groupe socialiste, ni du groupe des radicaux ; quant aux communistes, ils s’efforcèrent loyalement par leurs projets d’amendement d’enrichir, de préciser ou d’élargir les réformes : bref la majorité fut solidaire.
Il est vrai qu’en séance j’ai bénéficié de soutiens politiques de choix : Lionel Jospin – secrétaire du PS soulignera le respect des engagements présidentiels ; Georges Marchais secrétaire du PC appréciant à la tribune que les réformes proposées s’inscrivent dans la continuité progressiste de celles de 1936, de 1945 et de 1968. En revanche, soutenue par le CNPF et certaines presses de droite qui dénonçaient les « Soviets » dans les entreprises et les « chars russes » sur les Champs Élysées, les orateurs de droite s’installèrent dans une opposition musclée. Beaucoup de ces orateurs se sont faits une réputation à cette ccasion : nouvelle génération (plus par l’âge que par les idées) : Seguin – Millon – De Villiers – Longuet – Madelin – Noir – Toubon etc. Mais il est d’autres noms que je peux citer car ils sont très représentatifs d’une gauche proche du peuple. 2- Il s’agit de « mes » quatre rapporteurs : Michel Coffineau, socialiste (PTT) – Ghislaine Poutain, socialiste (journaliste) – Jean Oelher, socialiste (ouvrier dans l’industrie) et Jacqueline Fraisse – Cazalis, communiste (Médecin du Travail).
Je tiens à leur rendre hommage ainsi qu’à mon cabinet avec Michel Praderie et ma précieuse conseillère chargée du dossier, Martine Aubry dont on sait la suite de sa carrière. Comme pour les ordonnances, je tiens à souligner l’efficacité loyale de mon administration qui a permis la publication des décrets et même des circulaires d’application très rapidement permettant de faire vivre les réformes sur le terrain avec la mobilisation des militants politiques et surtout syndicaux. Aujourd’hui encore, je repense avec émotion à ma présentation des projets des quatre Lois à la tribune : c’était le 13 mai 1982, pratiquement un an après, jour pour jour, de l’élection de François Mitterand. Engagement tenu.
Voyons à présent ces quatre lois dans leur ensemble. À commencer par celle du 4 août – dont on peut imaginer que le choix de la date n’a pas été fortuit – la loi « relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise » sans omettre celles du 28 octobre dédiée au développement des institutions représentatives du personnel, du 13 novembre 1982 concernant la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail et enfin, la loi du 23 décembre 1982 portant sur les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Et ce, si vous le voulez bien, du point de vue de la nature et des potentialités des lois, mais aussi, la place et l’intervention des différents acteurs.
J.A. : Nous avions prévu de « changer la vie » et de faire des salariés « des citoyens et des acteurs du changement dans l’entreprise. » Avec les ordonnances nous avions commencé à offrir des perspectives nouvelles à la vie des travailleurs notamment en matière de durée du travail. Les quatre lois – à vocation plus institutionnelle – complétaient cette première vague législative qui se poursuivra jusqu’à la fin de cette année 1982. Les quatre lois de 1982 étaient la déclinaison d’un projet politique et social global et non une série de mesures plus ou moins opportunistes.
Certes, dans un premier temps, j’avais évoqué – à titre personnel – des perspectives de « cogestion » ou de « codétermination » à la « Française », sans succès y compris au niveau syndical pour diverses raisons : refus de cogérer le capital, échecs des tentatives « d’autogestion », insuffisance de la maîtrise de l’économie … La préférence était plutôt de renforcer le secteur public notamment par le biais des nationalisations. Ma démarche fut donc d’introduire le maximum de démocratie dans la vie des entreprises. Notre projet s’articulait en quatre points : – reconstituer la « collectivité de travail » à la fois par sa cohérence sociale et pour son efficacité économique – renforcer – voire créer – des libertés individuelles (Loi du 4 août – renforcer les libertés et les responsabilités collectives des élus du personnel- développer la politique contractuelle en complément de la loi 2 Le premier point (collectivité de travail) avait trouvé sa traduction avec les ordonnances sur le temps partiel et surtout l’intérim encadré. Tout cela a malheureusement été balayé par « l’ubérisation » de la société.
Plus nouveau le texte du 4 août – date effectivement choisie par le rappel de la loi révolutionnaire supprimant les privilèges – créait le fameux « droit d’expression directe » de chaque salarié dans son entreprise. J’ai toujours pensé que la parole est l’apanage de l’homme libre et que « l’entreprise ne doit pas être le lieu du bruit des machines et du silence des hommes ». Après des débuts prometteurs, cette idée – toujours valable selon moi (on l’a vu sur les « ronds-points jaunes » – est peu à peu tombée en désuétude.
Aujourd’hui, il est urgent, pour la gauche en particulier, de repenser les fondamentaux de notre vie économique, et donc de notre politique sociale.
Diverses raisons peuvent expliquer cette désaffection. D’abord volontairement, je n’ai pas voulu en codifier les règles car les cultures d’entreprise étant très différentes, les mêmes procédures, voire les mêmes langages entre une entreprise tertiaire et une entreprise du BTP. Par ailleurs l’encadrement – notamment de proximité – redoutait d’être souvent mis sur la sellette ; le patronat y voyait du temps perdu et même parfois on constatait des résistances syndicales craignant de ne plus avoir la maîtrise de certaines réunions. Il y eu des « ersatz » comme les « cercles de qualité » mais l’esprit démocratique originel n’y était plus, sans compter que des salariés m’ont expliqué qu’ils craignaient des « effets retour » négatifs de leur direction ou encore – plus émouvant – qu’ils ne savaient pas ou n’osaient pas parler en public !
En réalité le « droit d’expression » ne peut fonctionner que s’il y a un « devoir d’écoute ». Le droit d’expression se serait-il réfugié sur les « ronds-points jaunes » ? L’autre aspect de la Loi du 4 août est la réforme attendue des « règlements intérieurs ». Certains étaient véritablement scandaleux touchant à la liberté et à la dignité individuelle sur et pendant son lieu de travail. Désormais ces documents ne sont pas élaborés de façon unilatérale mais doivent être validés par l’Inspection du Travail. L’actualité nous montre que dans certaines entreprises il y a encore beaucoup à faire. Par ailleurs, certains esprits sourcilleux 3 m’ont reproché d’avoir créé « le droit disciplinaire » ; je pense qu’il vaut mieux polémiquer sur le fond que sur la forme ! Après les libertés individuelles, la Loi du 13 novembre 1982 s’inscrit dans ma volonté de développer « la démocratie dans la vie économique de l’entreprise ». En premier lieu c’est la réforme des Comités d’Entreprises qu’il convient de souligner à commencer par la lutte contre les « constats de carence ». C’est pour leur permettre d’avoir un rôle d’acteur dans le suivi économique, social et technologique que la loi en a considérablement renforcé les moyens :
•par l’information économique concernant la marche de l’entreprise (y compris cession, délocalisation, sous -traitance …)
•par la formation avec 5 jours de formation payés auprès d’organismes agréés ;
•par la consultation obligatoire sur les évolutions économiques et sur l’introduction de nouvelles technologies ;
•par la participation – avec voix consultative – de deux délégués au Conseil d’Administration ou de surveillance
•la création légale de la « personnalité civile » du CE permettant en justice et de gérer son patrimoine avec la création des 0,2 % de la masse salariale ;
•la création du « droit d’alerte »et du recours à leur propre choix d’expertise ;
•accessoirement remplacer « les oeuvres sociales très paternalistes par activités sociales et culturelles.
Outre les Comités d’Entreprises et les organisations syndicales mieux considérés, j’ai renforcé le rôle des divers délégués existant (du personnel) ou à venir : délégués de site, comité de groupe. Ainsi après le renforcement des libertés individuelles et des responsabilités collectives dans le cadre d’une collectivité de travail reconstituée, la cohérence et le souci d’une efficacité conforme aux branches d’entreprise me conduisirent à développer la politique contractuelle pour affiner et adapter la Loi – qui fixe les 4 « fondamentaux » aux réalités concrètes des métiers et parfois des territoires. Ce fut l’objet de la Loi du 13 novembre 1982 Comme je le rappelais alors – et souvent depuis : « la démocratie politique a ses échéances, il convient que la démocratie économique ait ses rendez-vous » D’où la NAO (Négociation annuelle obligatoire) dont les résultats furent variés ; on m’a objecté souvent de n’avoir pas imposé une « obligation de conclure » !
En quelque sorte, le CHSCT et le comité d’entreprise constituaient un binôme : le premier pour l’aspect social, le second pour les aspects économiques.
Cela dit dans notre pays il y a plus de contrats que de conflits, mais une signature d’accord est moins télévisuelle. Il restait un aspect non traité dans le renforcement des « institutions représentatives : le CHSCT. En effet, l’encombrement parlementaire et le souci de laisser un temps de débat pour d’autres projets gouvernementaux me conduisit à repousser le Comité d’Hygiène de Sécurité des Conditions de Travail au 23 décembre 1982 (cadeau de Noël diront certains). En quelque sorte le CHSCT et le Comité d’Entreprise constituaient un binôme : le premier pour l’aspect social le second pour les aspects économiques. La nouveauté par rapport aux CHS existants, à dominante « hygiéniste » et « sécuritaire », c’est la volonté de s’occuper de l’amélioration des conditions de travail qui n’existaient auparavant que par les « CACT » pour les entreprises de plus de 300 salariés.

Là aussi une volonté démocratique par l’abaissement des seuils. Cette institution – malgré son nom un peu compliqué – fut un véritable succès par l’implication croissante des organisations syndicales, par le développement de la compétence de ses délégués. Il est vrai que, si nous n’avons pas pu obtenir un financement propre, nous leur avions donné la « personnalité juridique » et donc le droit d’ester en justice, ce que certains ont fait. Au fil des années – jusqu’à leur suppression par les ordonnances Macron-Penicaud – les délégués des CHSCT étaient devenus de véritables experts compétents et appréciés (moins chers que certaines sociétés de conseil). À noter que même sur ce texte – dont je pensais qu’il serait soutenu par l’ensemble du Parlement – la droite refusa de me suivre arguant que les CHSCTS ne se justifiaient que pour les « cols blancs ». J’espère que, depuis, ces opposants ont reconnu leur erreur à la lecture d’une trop fréquente et tragique actualité. C’est ainsi qu’un tiers du Code du Travail a été réformé sans « soviets » ni « chars russes » ! Un responsable patronal reconnut un jour que « j’avais été un vrai réformateur et que je n’avais pas cassé la baraque économique ». Quand on a la chance de porter des réformes sociales de cette importance, il serait mesquin de ma part de revenir sur les longues séances de jour et de nuit passées à débattre avec l’opposition et à défendre ces textes, mais je tiens à rendre un hommage particulier à tous les dirigeants et militants syndicaux qui, eux aussi, ont passé des heures à se familiariser avec un Code du Travail renouvelé d’un tiers et surtout à le faire vivre sur le terrain Quarante ans après, que diriez-vous de l’impact et en quelque sorte de la pérennité de ces lois ?
En d’autres termes et eu égard au monde du travail d’aujourd’hui, quel est votre avis sur ce qu’il conviendrait de conserver à la lumière de l’expérience et ce qu’il faudrait conquérir en fonction des exigences de transformations économiques et sociales, et singulièrement dans le rapport dialectique entre travail et démocratie ?
J.A. : 40 ans après – presque deux générations – on peut dire – malgré ma relative discrétion médiatique – que les « Lois AUROUX » demeurent un marqueur durable d’une authentique politique de gauche en faveur du monde du travail, dans le prolongement des réformes de 1936 et de 1945. C’est ainsi qu’au fil de mes rencontres, la législation de 1982 a été – et est encore – très positivement perçue par celles et ceux qui en ont bénéficié alors et pendant plusieurs années, en particulier les retraités à 60 ans.
J’ai toujours pensé que la parole est l’apanage de l’homme libre et que « l’entreprise ne doit pas être le lieu du bruit des machines et du silence des hommes ».
C’est ainsi qu’au cours de mes rencontres universitaires l’intérêt est grandissant pour des étudiantes et des étudiants qui étaient loin d’être nés à l’époque. En revanche, il est vrai qu’au fil des années et des nouvelles majorités – principalement de droite – nombre d’avancées sociales de 1982 ont été remises en cause ou affaiblies. Certes la réduction de la durée hebdomadaire de travail (améliorée par la Loi Aubry) est demeurée ainsi que la 5ème semaine de congés payés mais la retraite à 60 ans a été remise en cause. Certes la politique contractuelle n’a pas disparu, la NAO de plus en plus formelle non plus, mais la dynamique attendue pour de nouvelles conventions collectives ne s’est pas réalisée. Certes les organisations syndicales ont gardé leurs prérogatives mais elles se sont trouvées affaiblies d’une part par le mépris du pouvoir à l’égard des corps intermédiaires et d’autre part par une baisse du nombre d’adhérents et l’apparition de nouveaux syndicats inexistants en 1982.
Les ordonnances Macron-Pénicaud, sous la pression d’une droite revancharde, ont amputé les institutions représentatives : suppression des délégués du personnel, mais surtout transformation des comités d’entreprise en comités « sociaux » d’entreprise.
Quant aux différentes institutions représentatives ce sont les ordonnances Macron-Penicaud qui les ont amputées sous la pression d’une droite revancharde : suppression des délégués du personnel pourtant si utiles, mais surtout la transformation, en trompe l’oeil, des comités d’entreprises en comités « sociaux » d’entreprise cependant que les CHSCT étaient ravalés au rang de simple commission perdant ainsi leur personnalité juridique et bien d’autres dispositions négatives. Aujourd’hui en 2022, dans un contexte socialement dégradé et inquiétant par les conséquences de la pandémie, le dérèglement climatique, la baisse du pouvoir d’achat et le désordre géopolitique généré par la guerre russe en Ukraine, il est urgent, pour la gauche en particulier, de repenser les Fondamentaux de notre vie économique et donc de notre politique sociale, sans perdre de vue que la France n’est pas une oasis à l’abri du commerce et des agitations du monde. À mon point de vue le grand chantier progressiste du monde présent et à venir est de mettre en place un nouveau partage du pouvoir économique aussi bien au niveau national qu’au niveau de l’entreprise elle-même. En premier lieu une approche démocratique sur le plan national impose que soit respecté et développé un véritable pluralisme économique de manière à encadrer et limiter la toute-puissance de l’argent.
À cet égard, il nous faut des entreprises publiques nationales ou locales, notamment pour la gestion des « biens communs » ;il nous faut développer le secteur de l’économie sociale et solidaire (coopératives, mutuelles, SCIC, EPL etc.) sur la base réelle « d’un homme une voix » ; il faut redéfinir le rôle des actionnaires dont certains ne sont que des spéculateurs profitant du umérique alors que d’autres sont – durablement attachés à l’entreprise, à ses hommes et à son territoire : seuls ces derniers devraient disposer d’un droit de vote. Au niveau de l’entreprise le pouvoir économique doit être également mieux partagé entre le travail et le capital, d’une part par l’augmentation substantielle des représentants élus des salariés au Conseil d’Administration ou de Surveillance d’autre part leur donner un vrai pouvoir pour toute modification du capital ou de sous-traitance.
Enfin pour toutes les formes d’entreprise comme d’ailleurs pour les services publics, il faut retrouver la dignité et l’attrait du travail non seulement en termes de rémunération mais sur le plan de la qualité de vie et de la sécurité et santé dans son atelier, son bureau ou son chantier. À cet égard le télétravail que le numérique a durablement installé dans notre vie économique doit, après une large concertation, faire l’objet d’une législation appropriée. En un mot, il nous faut travailler sur « les nouveaux droits des travailleurs » conformes aux urgences et aux aspirations de ce XXIe siècle, bien problématique et incertain pour le monde du travail
G.A. : Ce qui a fondé l’ambition de ces lois et qui s’est traduit à l’époque par des mesures concrètes, n’est même pas aujourd’hui au milieu du gué, mais reste à construire. Il y a même des vrais reculs. Tout le monde parle de démocratie sociale ou de dialogue social, le MEDEF parle même de « délibération sociale », mais ce qui domine, c’est le fait accompli. On parle de dialogue social, mais entre information, rencontre, concertation, consultation ou négociation véritable, le mélange est subtil et c’est le flou qui domine, pour finalement décider seul, qu’il s’agisse du patronat ou du gouvernement. On peut parler de RV manqué ? Pas vraiment car cette expérience de quelque quarante années a permis d’apprécier les exigences, les urgences et aussi de tracer les voies de l’engagement et de la mobilisation des militants et des travailleurs. Il faut absolument les prolonger et surtout les adapter aux besoins d’aujourd’hui.
C’est l’heure de regarder les travaux pratiques de cette époque pour en venir à l’actualisation de la finalité et de la stratégie. Déjà, un enseignement à valoriser, une certitude fondée sur l’expérience, un acquis de l’action de la CGT dans cette période et aussi une règle à tenir sur le terrain de la proposition :
- Il ne faut pas attendre une loi pour engager la lutte pour des droits d’intervention sur les choix de gestion,
- l’existence de droits institutionnels ne suffit pas pour qu’ils soient effectifs, il y faut la lutte, après comme avant !
Ou en d’autres termes, une loi, aussi positive soit elle ne peut suffire, il y faut une bataille pour l’élaborer et l’imposer, et un combat pour assurer sa mise en œuvre.
Il en est « du nécessaire et du possible » pour le syndicalisme ! soit un engagement de terrain conjuguant initiative syndicale et contribution, opinion, élaboration et lutte citoyennes. Une autre question résulte notamment de ces expériences, c’est celle de la conception que l’on a de la démocratie dans l’entreprise. Le défi, plus que jamais est bien des droits de propositions et d’intervention sur les choix de gestion et sur les alternatives d’efficacité économique et sociale. L’enjeu n’est pas celui de l’entreprise citoyenne, mais de la citoyenneté sur le lieu et dans le travail.
Certes le droit d’expression inscrit dans les lois Auroux, a modifié des pratiques et des états d’esprit, il a permis de gagner des convictions, voire des positions. Ce droit et, au-delà, les quatre lois de 1982, ont renforcé le droit du travail. Leur contenu comme leur mise en oeuvre ont été au coeur des enjeux et des luttes dans les entreprises, avec des résultats au gré des rapports de forces. Ainsi, on peut à juste titre s’interroger sur la réalité d’aujourd’hui. Sans trop noircir le tableau, il y a bien désuétude de l’exercice du droit d’expression et d’intervention, et mise en cause de l’esprit affiché en 1982. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de discussions dans l’entreprise. On y débat de tout. Encore faut-il savoir qui en choisit les termes, de la direction de l’entreprise ou des salariés. Et surtout, entre avoir le droit à l’information pour des décisions prises en dehors des intéressés et avoir celui d’en discuter les termes et le contenu, en amont, et non pas a posteriori, il y a plus qu’un décalage. Le problème est précisément là. La question reste posée, plus que jamais, du droit, pour les salariés, d’énoncer des propositions et des éléments de solutions alternatives, avec quelque chance d’être écoutés, entendus et avec quelques résultats. La société, le social, l’économique ne peuvent se développer sans confrontation, sans dialogue, sans intervention des acteurs aptes à porter les valeurs et les intérêts communs de ceux qu’ils représentent, et donc des salariés eux-mêmes.
De fait, il n’y a pas de neutralisme possible : ou bien, le règne du droit divin de la rentabilité financière et du marché et le social est alors la portion congrue et le « coût du travail » toujours sanctionné du carton rouge, ou bien, avancer dans une autre logique, celle de la réponse aux besoins sociaux, condition d’efficacité économique et sociale nourri d’une démocratie réelle au travail pour imposer d’autres critères liant transformation sociale et transformation du travail, où se nourrissent mutuellement efficacité économique et sociale et démocratie, droits nouveaux et citoyenneté dans l’entreprise.

Le travail, au centre, sans opportunisme envers le magazine qui nous accueille… Ce pilier se fonde sur le duo « travail et liberté », deux composantes du lien social où le travail façonne la vie et l’identité du salarié. Ce couple est à la fois facteur et résultante d’une démocratie économique et sociale fondée sur la reconnaissance et le développement des compétences, sur le savoir-faire, sur la capacité à maîtriser les mutations nécessaires et sur les aspirations des femmes et des hommes à être partie prenante de la nature et du contenu de leur travail, sur leur volonté à être auteurs, acteurs et metteurs en scène de ces transformations. La liberté est alors le centre d’une dynamique transversale pour le travail et pour la démocratie.
Pour le travail, l’enjeu est bien de libérer l’initiative, de garantir l’expression des compétences et de dépasser la notion de travail subordonné et, pour la démocratie, c’est l’urgence d’une existence effective de nouveaux droits de parole, de contestation, de propositions et de construction collective, non pas pour une meilleure gestion du travail, mais pour une autre gestion, pour un autre travail fondé sur d’autres normes, pour le service au public, le travail dans toutes ses composantes et sous tous les aspects. Certes il s’agit évidemment de lutter contre les effets, CDT, salaires, formation, qualification, emploi…mais surtout de ne pas s’en tenir à la défense des acquis. Il faut sortir de la victimisation et refuser les thèmes « vendeurs » comme la souffrance, même si elle existe souvent et de plus en plus. Cela suppose de passer d’une protection passive contre les reculs sociaux à l’exigence et à l’action pour le « bien travailler », pour cette notion qui exprime tout l’attachement des salariés à leur métier, à leur travail.
L’urgence est le changement de logique et de finalité, de critères économiques et sociaux : « Améliorer la qualité de vie au
travail suppose avant tout d’améliorer la qualité du travail. »
Pour le syndicalisme, il y a des rendez-vous à ne pas manquer : celui du travail est capital ! Si l’entreprise et la société sont appelées à la barre, le rôle du syndicalisme, ses pratiques, sa capacité de dialogue et de proposition sur tout ce qui fait aujourd’hui le travail sont clairement convoqués. Il y va de sa vocation et de son utilité, de sa capacité à gagner du bonheur et du sens dans le travail. Il est devant une exigence vitale et « congénitale » pour lui : remettre le travail au coeur de la démarche revendicative, de la pratique syndicale !
Le travail est partout sur le devant de la scène. Si la conscience est générale sur les effets de cette crise, le silence est assourdissant sur les causes et surtout sur les solutions. On ne peut admettre que l’on puisse laisser à l’abandon des millions de salariés qui vivent cette crise dans leur travail. Il faut sortir le travail du carcan du marché ! L’urgence est de changement de logique et de finalité, de critères économiques et sociaux : « Améliorer la qualité de vie au travail suppose avant tout d’améliorer la qualité du travail »5[v]. Et cela exige sa transformation par le couple travail et liberté. Dès lors, deux exigences apparaissent mutuellement efficaces : rôle des syndicats et intervention des travailleurs eux-mêmes pour remettre le travail au coeur du débat démocratique, de l’entreprise au territoire.
Pour le travail, l’enjeu est bien de libérer l’initiative, de garantir l’expression des compétences et de dépasser la notion de travail subordonné.
Liberté et travail, travail et démocratie. Intervention « de chacun sur la chose de chacun », il s’agit de gagner un nouveau collectif solidaire d’intervention et de conquête du « bien travailler », pour ce bien individuel et collectif qu’est le travail. Dès lors, tout en défendant pied à pied les acquis et en assumant les revendications immédiates, le défi est de construire et de mobiliser sur des propositions alternatives, d’élaborer une autre stratégie, pas pour une meilleure gestion du travail, mais pour une autre gestion, pour un autre travail, fondé sur d’autres normes.
De plus en plus nombreux sont les salariés prêts à s’indigner, qui refusent la dégradation de leur travail mais qui agissent, qui bougent, en quête de solidarité, à la recherche de nouveaux repères de travail, pour une utilité sociale reconnue, qui aspirent à un autre regard, à une autre écoute des différents acteurs au travail. Il y a des besoins de liberté et de responsabilité. Il y a de l’attachement au métier et à son épanouissement, il y a de l’attente et aussi de la disponibilité pour des enjeux de transformation du travail, pour un retour du travail à sa place, celle qui façonne la vie et la société.
Et, omniprésentes pour y parvenir, les lois Auroux, leurs acquis et leurs insuffisances et aussi leurs mises en cause sont autant de points de référence, voire d’appui pour gagner liberté et en efficacité !
[i] Cf. document d’orientation du 41ème congrès de la CGT à Lille-1982.
[ii] Gérard Gaumé, secrétaire de la CGT, a directement participé à cette négociation des lois Auroux
[iii] Cf. document d’orientation du 41ème congrès de la CGT – Le Peuple 1135/36/37
[iv] Alors que les textes étaient encore à l’état de projet, la CGT avait mis au jour un document
confidentiel où un responsable DRH de la direction de Renault, entreprise nationalisée, précisait
notamment « la loi sur l’expression des travailleurs s’imposera à nous à terme. Le risque principal est
de la voir modifiée dans un sens qui nous soit défavorable lors des discussions à l’Assemblée nationale. Il
est donc inutile de pleurer, mieux vaut chercher comment s’en accommoder au mieux… » Puis, invitant
à trouver la meilleure façon de court-circuiter les syndicats « la course de vitesse est bien engagée
avec les organisations syndicales… »
[v] 5. Cf. Yves Clot, mardi 7 Juin 2013 – Collège des Bernardins au séminaire « économie et sens ».
Une réflexion sur “Quatre décennies de lois auroux, Jean Auroux – Gérard Alezard*”