Toujours aussi incisif et percutant, Yves Bréchet nous livre ce texte sur l’éviction des personnes les plus compétentes au sein de l’appareil d’état et des grandes entreprises et la place accordée aux communicants.
*Yves Bréchet est ancien haut-commissaire à l’énergie atomique, membre de l’académie des sciences.
Dans un pays dirigé par un banquier d’affaires, pour qui « expert » signifie dans le meilleur des cas « économiste », et dont la stratégie semble relever de l’anémomètre couplé à un haut-parleur branché sur un moulin à parole, il n’est guère surprenant de voir à quel point on a oublié que l’énergie est le sang de l’économie, que de la soumettre aveuglement aux lois du marché et de la concurrence ne fait guère de sens pour un produit non stockable, que de séparer la production de la distribution est un non-sens technique, et que EDF a pour mission première de fournir de l’électricité aux Français , partout au même coût, et non de jouer au Monopoly sur la scène internationale, sauf si ces investissements sont utiles à la France, la satisfaction de l’égo du patron ou du ministre n’étant pas une justification suffisante.

Il est assez plaisant de voir tel commercial (pas même dans le domaine de l’énergie, et qui plus est, commissaire aux comptes, et portant en bandouillère son engagement chez les alumni de HEC ) y aller de ses doctes recommandations sur la construction des EPR et l’aventure de Hinckley Point.
Dans un pays dirigé par un banquier d’affaires, pour qui « expert » signifie dans le meilleur des cas « économiste », et dont la stratégie semble relever de l’anémomètre couplé à un haut-parleur branché sur un moulin à parole, il n’est guère surprenant de voir à quel point on a oublié que l’énergie est le sang de l’économie
Il est vrai que ce monsieur est doublement compétent puisque qu’il affiche une admiration pour l’Allemagne (flanquée d’un drapeau sur son CV). L’Allemagne dont il n’aura échappé à personne à quel point elle est bienveillante vis-à-vis de toute politique énergétique qui n’est pas la sienne…Il semble être aussi un expert pour proposer des entraineurs de Football pour l’OL. Notez sur ce dernier point que l’exemple vient de haut puisque la réforme de la haute administration française a été confiée (Rapport Thiriez) à un énarque dont le service de l’état s’est passé, cherchez l’erreur, dans la fédération française de football… Il est vrai que le prince adore le foot, et après tout, Louis XIV avait nommé Chamillart ministre des finances parce qu’il jouait bien au billard…Rien de bien neuf sous le soleil quand l’esprit de cour gouverne…
Mais ce n’est guère surprenant, puisque l’économie de marché semble être devenue l’alpha et l’oméga de la « pensée politique », et que la « pensée politique » s’imagine que les lois de Carnot et de Kirchoff qui gèrent le rendement des machines thermiques et la stabilité des réseaux, se votent et se révoquent à l’assemblée nationale…Quand le décideur ne s’entoure que de ses clones intellectuels, et que les rares ingénieurs qui demeurent ont troqué leur règle à calcul pour un plat de lentilles bio, l’exemple vient de haut et autorise bien des sottises.
Vous me direz à juste titre, que le grand patron historique de EDF, Marcel Boiteux, était économiste, ce dont je conviens volontiers. Mais d’une part il était d’abord mathématicien, d’autre part il savait s’entourer d’éminents ingénieurs, qu’enfin il avait réussi avec André Giraud à mettre en place une juste répartition des tâches entre EDF qui gérait le présent, et le CEA qui préparait l’avenir ( là encore une remise à l’heure des pendules s’impose…). Il se trouve que Marcel Boiteux avait deux autres caractéristiques, qu’il partageait d’ailleurs avec Messmer: un sens aigu de l’Etat, et une conception de l’avenir qui n’était pas indexée sur les échéances électorales et les rapports de forces entre partis . Et il se trouve qu’en ces temps reculés, dans les grands corps techniques de l’Etat, le verbe « Servir » ne se conjuguait pas essentiellement à la forme pronominale « se servir ». On ne peut pas en vouloir à notre commercial de ne pas voir une nuance qui est aujourd’hui bien oubliée.
l’économie de marché semble être devenue l’alpha et l’oméga de la « pensée politique », et que la « pensée politique » s’imagine que les lois de Carnot et de Kirchoff qui gèrent le rendement des machines thermiques et la stabilité des réseaux, se votent et se révoquent à l’assemblée nationale…
On a vu ainsi des commerciaux s’imaginer stratèges industriels, et des ingénieurs renoncer à leur savoir pour devenir rhéteurs, remplacer l’action par le discours, et oublier la raison première de la création de EDF par le CNR en 1946. Du temps de Marcel Boiteux, on avait certes des économistes ingénieurs, mais ils pouvaient discuter d’égal à égal avec les ingénieurs du parc. Jean Paul Bouttes en était un bel exemple. Mais il ne serait pas venu à Marcel Boiteux l’idée de confier la construction du parc électronucléaire à qui que soit d’autre qu’un ingénieur sachant faire, Michel Hug. Puisqu’il faut garder espoir, quand Bernard Fontana a redonné le nom de « Framatome » au chaudiériste français, il redonnait à l’entreprise le nom qu’elle avait à une époque ou elle servait le pays et était gouvernée par des ingénieurs, avant que le politique en fasse un terrain de jeu pour ses affidés (Anne Lauvergeon) ce qui l’a conduit, de choix douteux en investissements aventureux, à la quasi faillite. Le redressement spectaculaire de l’entreprise, construit sur une éthique de l’ingénieur sans faille et une chasse sans pitié aux arrangements commodes, montre comment le retour aux saines valeurs de l’ingénierie peut sortir le pays des vertiges nauséeux de la com’. Il semble que ce redressement n’intéresse pas outre mesure nos media à la cervelle ankylosée par deux décennies de « nucléaire bashing », mais il est bien réel.
il ne serait pas venu à Marcel Boiteux l’idée de confier la construction du parc électronucléaire à qui que soit d’autre qu’un ingénieur sachant faire, Michel Hug.
La dérive que je décris , sur la position respective de l’ingénieur et du commercial, sur l’oubli des missions de EDF, sur la soumission aveugle à une idéologie dont on a peine à se défaire ( et dont l’incarnation est l’ARENH dont le gouvernement ne semble pas pressé de sortir), sur la démission devant les exigences exorbitantes du marché Européen et du maitre germanique, sujétion dont on se demande si elle découle de l’endoctrinement ou d’un plan de carrière politique, cette dérive qui désole l’ingénieur et le citoyen que je suis, me rappelle une histoire arrivée à Voltaire dans sa gloire.
Un perruquier s’obstinait à envoyer à Voltaire les alexandrins qu’il troussait à ses heures perdues, soi-disant pour avoir l’avis du Maitre, en fait pour avoir son adoubement comme poète. Voltaire, dont la patience n’était pas le fort, avait fini par lui répondre « Faites des perruques, Maitre Jacques, des perruques, des perruques, des perruques ».
A bien des politiques, commerciaux, économistes et banquiers qui pensent avoir un avis autorisé sur ce qui est le sang de notre économie, après l’avoir vampirisé, aux « ingénieurs plantes vertes » qui prolifèrent dans les couloirs des ministères , qui se pensent dispensés de rendre service au pays en construisant un mix énergétique robuste et souverain, et dont la préoccupation principale est de muscler un carnet d’adresses pour une carrière à venir, il me prend envie de leur dire « faites des perruques, des perruques, des perruques »…
Image d’illustration: Yves Bréchet interviewé par Thinkerview en 2023
Merci M. Bréchet de désormais citer les noms de certains des charlots ou brigands que vous récriminez. Il faudrait aller plus loin. Mitterrand, Jospin, Sarkozy, Hollande… Les grands fossoyeurs de notre politique énergétique. En d’autres temps, les traîtres étaient déchus de leur nationalité… voire de leur existence ! Mais maintenant, les français préfèrent verser 5000€ mensuels à tous leurs Judas tandis que les médias continuent à diffuser leur sainte parole sur les grandes chaînes (sainte parole dont on a vu où elle nous a menés quand ils détenaient les rênes du pouvoir). Pas étonnant qu’ils inspirent des vocations. Qu’on les enterre (politiquement) une fois pour toute, et qu’on grave leur médiocrité définitivement dans la mémoire collective, c’est le moins que l’on puisse faire !
vous êtes de gauche : restez !
vous n’êtes pas de gauche, désolés le poste a été pourvu.
Super article ! Mais faire valoir ce point de vue quand on a des partenaires tels que LFI et EELV… c’est pas gagné :+(