
Marcel Boiteux s’est éteint à l’âge de 101 ans. Durant plus de 20 ans, il a attaché son nom à la réflexion théorique sur la gestion des services publics, notamment de leurs coûts et de leurs tarifs et à la conduite concrète du grand service public qu’était EDF, d’abord en tant que responsable du service des Études Économiques Générales, puis directeur général et enfin président du grand monopole public.
Normalien, disciple de Maurice Allais , Marcel Boiteux , qui a considérablement fait avancer la réflexion sur la gestion des monopoles publics, n’en était pas moins un économiste d’essence libérale. Son approche était que le monopole public, en l’absence de concurrence, se devait de vendre au coût de revient, non pas par souci d’équité sociale, mais pour donner au consommateur d’électricité l’information nécessaire pour orienter ses choix de consommation. Son article fondateur “De la gestion des monopoles publics astreints à l’équilibre budgétaire”, vise en fait à montrer que ce prix de revient doit être le prix de revient marginal, c’est-à-dire le coût des productions supplémentaires à mettre en route pour satisfaire une demande additionnelle.
Même si cette approche restait dans une veine libérale, elle apportait une rationalisation, voire une moralisation de l’appréciation des coûts du service public en en éliminant les composantes parasitaires et notamment les profits. Mais Marcel Boiteux fut aussi un patron de combat, cherchant à maîtriser les salaires dans une période où la charge financière liée au nucléaire excédait la masse salariale, et les conflits sociaux furent nombreux durant son règne.
Mais l’apport sans doute le plus décisif de la réflexion de Marcel Boiteux réside dans sa conception même du coût de revient marginal. Dans la théorie néo libérale, le coût marginal est assimilé au coût proportionnel à court terme, qui ne couvre donc pas les coûts fixes. Marcel Boiteux récusait cette vision étroite en définissant un Cout Marginal “en développement ” ou à long terme qui intégrait dans la tarification les coûts liés à la nécessité de développer le parc de production pour répondre à la demande à long terme.
Cette vision constituait donc une planification s’appuyant sur une évaluation des besoins des usagers, des moyens de productions à construire et des coût prévisionnels.
Cette vision fait aujourd’hui cruellement défaut , tant en Europe qu’en France et, après avoir quitté ses fonctions, Marcel Boiteux ne se privait pas de critiquer les politiques européennes en matière d’électricité, en rappelant aux “intégristes du libéralisme” que ” la concurrence et le jeu des marchés sont irremplaçables, mais pas partout, ni toujours, ni n’importe comment.”
Alain Tournebise