Nouvelles techniques d’édition du génome, Jocelyne Hacquemand*

L’abréviation NBT, pour new breeding techniques, « nouvelles techniques d’édition du génome », désigne l’ensemble des technologies qui visent à la modification du matériel génétique d’un être vivant. L’édition génomique modifie l’activité d’un gène endogène à la plante : il s’agit de la mutagénèse. Quant aux organismes génétiquement modifiés (OGM), ils relèvent de la transgénèse : le patrimoine génétique de l’organisme vivant est modifié par l’introduction d’un gène étranger.

*JOCELYNE HACQUEMAND est économiste et secrétaire générale de la FNAF-CGT.

DES PLANTES « AUGMENTÉES »

L’agriculteur améliore les caractéristiques génétiques de son produit, via des croisements ou des modifications génétiques, en fonction de l’usage auquel il le réserve. L’obtention de plantes dites « augmentées », selon un qualificatif qui fait florès, est désormais le but de l’agriculture. L’édition génomique permet de l’atteindre par une méthode rapide, efficace et dont le coût est modéré.

Le dernier ouvrage de l’autrice a servi de base pour l’article que Progressistes propose à ses lecteurs.

L’édition génomique cherche à favoriser l’apparition d’un caractère en modifiant un gène existant dans le génome. Elle permet donc de cibler un caractère précis sans importer d’autres gènes. Aussi peut-elle s’apparenter à un croisement naturel, mais aux effets plus rapides et plus précis.

Ces nouvelles techniques étendent à l’infini le champ des modifications du génome, et ce dans tous les domaines, notamment l’agriculture et la santé. La plus connue d’entre elles est le CRISPR-Cas9, développé par la Française Emmanuelle Charpentier et l’États-Unienne Jennifer Doudna.

LE RISQUE DE PRIVATISATION DU VIVANT

Ces techniques, répétons-le, permettent des modifications ciblées du génome par un processus accéléré, efficace et peu onéreux. Il reste que ces méthodes d’une extrême puissance et au champ d’application infini peuvent engendrer des « docteurs Folamour ». Partant, elles posent les questions fondamentales du contrôle des objectifs qu’on se propose d’atteindre et de la propriété intellectuelle.

Le CRISPR-Cas9, développé par la Française Emmanuelle Charpentier et l’États-Unienne Jennifer Doudna, a valu à ces généticiennes et biochimistes le Nobel de médecine 2020. Cette technique efficace et peu onéreuse de « ciseaux moléculaires » permet des modifications ciblées du génome.

L’édition du génome s’applique aussi à la santé ; on parle alors de thérapie génique, qui consiste à introduire du matériel génétique dans des cellules pour soigner une maladie, dont des cancers. Dans le domaine de la santé, l’édition du génome suscite beaucoup moins de débats qu’en agriculture. En effet, dans la mesure où, en matière médicale, l’objectif est indiscutable : soigner et sauver des vies humaines, l’immense majorité de la population est favorable à l’utilisation de ces différentes technologies. En revanche, en agriculture, les tensions sont plus importantes : on l’a connu au sujet des plantes génétiquement modifiées (PGM). Des inquiétudes sont émises sur le risque de transmission systématique des gènes modifiés à la descendance.

Si les méthodes issues des biotechnologies modernes peuvent permettre de réduire l’utilisation des pesticides, leur utilisation doit respecter le principe de précaution.

Concrètement, on peut légitimement s’interroger sur le risque de privatisation du vivant, problème déjà posé pour les PGM.

Dans le cas du CRISPR-Cas9, le brevet est détenu par le Broad Institute, émanation des universités privées états-uniennes de Harvard (Cambridge, Massachussetts) et du Massachussetts Institute of Technology, le fameux MIT, ce qui lui permet l’appropriation des connaissances et/ou des organismes vivants produits à partir de ces ciseaux moléculaires. Le généticien Axel Kahn a souligné le risque, en affirmant : « Cela peut être un outil d’une parfaite perversité qui peut amener à une privatisation du vivant. Pour éviter que l’édition de précision ne soit un véritable cheval de Troie, il faut refuser l’introduction de la logique des brevets en matière de sélection variétale et défendre le système européen de certificat d’obtention du végétal. »

L’édition génomique permet de cibler un caractère précis sans importer d’autres gènes. Aussi peut-elle s’apparenter à un croisement naturel, mais aux effets plus rapides et plus précis.

Alors, la concurrence effrénée que se livrent laboratoires et chercheurs est la conséquence de cette tendance à la privatisation du vivant. Dans le système de financements inhérent au capitalisme, la recherche publique est le parent pauvre. Des revues scientifiques à comité de lecture participent de ce système en contribuant à la renommée des laboratoires. Ce système est de nature à faire pousser des ailes à des apprentis sorciers dont les manipulations, par exemple d’agents pathogènes potentiellement mortels, peuvent devenir incontrôlables. C’est pourquoi des chercheurs demandent un moratoire sur les expériences concernant des virus à potentiel pandémique.

Face aux enjeux démographiques et environnementaux planétaires, ces nouvelles techniques ne peuvent être écartées. L’accès à l’alimentation pour 10 milliards d’humains à l’horizon 2050 sans nuire gravement à la biodiversité et aux ressources naturelles demande à mettre en œuvre tous les moyens pour répondre aux besoins économiques et sociaux partout dans le monde. Et si les méthodes issues des biotechnologies modernes peuvent permettre de réduire l’utilisation des pesticides en augmentant la résistance des plantes aux maladies ou au changement climatique, leur utilisation doit respecter le principe de précaution.

Rizières dans la province du Yunnan, Chine. Les biotechnologies auront un rôle pour garantir l’accès à l’alimentation pour 10 milliards d’humains à l’horizon 2050 sans nuire gravement à la biodiversité et aux ressources naturelles.

Ces nouvelles technologies doivent être maîtrisées par un contrôle public de la nation pour servir l’intérêt collectif. Les sciences et technologies ne sont pas neutres. L’interdiction des brevets et de l’appropriation privée des connaissances et des résultats des recherches doit faire disparaître toute utilisation mercantile à des fins financières à court terme et sans contrôle quant aux objectifs visés.

L’EUROPE DU CAPITAL POUR UN ASSOUPLISSEMENT DE LA LÉGISLATION

En 2018, la Cour de justice européenne a décidé, après de longs mois de réflexion et malgré l’intense lobbying des sociétés semencières trans – nationales, de ranger les plantes obtenues avec les NBT dans la catégorie des OGM.

Les transnationales semencières ont poursuivi leur pression sur la Commission européenne pour échapper aux coûteuses procédures d’homologation imposées par la réglementation européenne pour les OGM. À la suite des conclusions d’une étude réalisée par ses services[1], la Commission européenne est en passe d’ouvrir la voie à des assouplissements réglementaires pour les NBT[2]. Or, selon des chercheurs de l’INRAE[3], rien ne permet aujourd’hui d’exempter les variétés issues de ces nouvelles techniques de sélection des contrôles et autorisations obligatoires pour les OGM.

Au lieu de privilégier la recherche publique et les chercheurs en biologie, on répond aux exigences des sociétés privées de biotechnologies qui cherchent à s’approprier indûment de nouveaux droits sur le vivant.

L’Europe du capital reste toujours très attentive aux desiderata des transnationales, et se garde donc bien de poser le problème fondamental de la propriété intellectuelle et des brevets. Au lieu de privilégier la recherche publique et les chercheurs en biologie qui disposent d’un outil nouveau, plus performant que les précédents pour tester des hypothèses sur le fonctionnement du génome, on répond aux exigences des sociétés privées de biotechnologies, qui cherchent à faire de ces techniques un nouveau moyen de s’approprier indûment de nouveaux droits sur le vivant, comme elles l’avaient fait avec les OGM. Au-delà, l’ONU et ses agences spécialisées, notamment l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) devraient pouvoir interdire toutes productions ou récupérations mercantiles de la recherche fondamentale et appliquée et les rendre publiques en exclusivité.


[1] https://food.ec.europa.eu/plants/genetically-modified-organisms/new-techniquesbiotechnology/ec-study-new-genomic-techniques_en

[2] https://ec.europa.eu/info/law/betterregulation/have-your-say/initiatives/13119-Legislation-applicable-aux-vegetaux-produitsa-laide-de-certaines-nouvelles-techniques-genomiques_fr

[3] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/lechoix-franceinfo/focus-sur-les-nbt-ces-nouveaux-ogm-qui-inquietent-les-defenseurs-de-lenvironnement_4665443.html

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