Quand la forêt brûle, il est temps de bâtir une démocratie des communs ! Pascal Lachaud*

Durant trois ans, un collectif pyrénéen, Touche pas à ma forêt-Pyrénées, a combattu un projet qu’il a jugé écocide, porté par une multinationale italienne soutenue par le maire et président de la communauté de communes de Lannemezan, appuyé par la région Occitanie et par l’État. Ce projet resté dans les cartons, en gestation de 2017 à 2019, bénéficiait entre autres du soutien de l’ADEME.

Pascal Lachaud est maire adjoint de Capvern-les-Bains, membre de la commission nationale Écologie du PCF.

ÉLECTROCHOC SUR LE MASSIF DES PYRÉNÉES

Le projet de la multinationale Florian consistait en la construction d’une mégascierie qui devait produire 50000 t de planches de hêtre par an durant onze ans, ce qui équivalait, d’après les études réalisées par l’Office national des forêts (ONF) et l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN), à abattre entre 400000 et 550000 t d’arbres par an, le tout couplé à un cogénérateur biomasse pour produire de la vapeur et de l’électricité.

En tant que seul élu communiste à la commission économique de la communauté de communes, j’ai pu lancer l’alerte. Rapidement est né un collectif, porteur d’une structuration du mouvement, avec des syndicalistes, des associatifs et des membres de partis politiques de gauche (52 organisations au total), ce sur toute la chaîne des Pyrénées, de Céret à Bayonne. Des pratiques de contestation dans la réflexion, de pédagogie en direction des citoyens, d’acquisition et de partage des connaissances scientifiques et techniques sur la biodiversité et les écosystèmes forestiers ainsi que l’exercice de la démocratie ont été menés par des commissions. Des séances d’information des populations ainsi que de formation des membres du collectif et des citoyens ont été organisées.

Les enjeux environnementaux, sociaux, économiques et les conflits d’usages rendent l’écosystème forestier complexe.

La complémentarité des points de vue des syndicalistes, membres d’associations environnementalistes, partis politiques et citoyens a permis l’éclosion d’une grande richesse de réflexion ainsi qu’une élaboration collective peu courante. De fait, le fonctionnement horizontal des instances de décision a permis une mobilisation d’une puissance inégalée sur ce type de lutte pour la multifonctionnalité de la forêt, sur tout le massif des Pyrénées. De nombreuses manifestations ont été organisées avec une recherche systématique de partage de connaissances, mais aussi d’amplification médiatique. Une première conférence de presse, en février 2020, en forêt, a planté le décor qui a consisté à parler de la complexité de l’éco – système forestier en le liant aux enjeux environnementaux, sociaux et économiques afin de faire société en prenant en compte les conflits d’usage existants.

DES CONNAISSANCES POUR FAIRE DE LA POLITIQUE

Les enjeux environnementaux, sociaux, économiques et les conflits d’usages rendent l’écosystème forestier complexe. Aussi, parler de la forêt avec des forestiers, des bûcherons et scieurs, des ornithologues, des docteurs en environnement, des biologistes et des naturalistes, des syndicalistes et des membres de partis en définissant un cadre de valeurs communes a pris le temps nécessaire à la compréhension de chaque problématique afin que chacun s’approprie et partage les enjeux. Ainsi, la définition du « politique » prenait corps grâce à la complémentarité des avis et des connaissances. Les oppositions naturelles entre la « forêt sacralisée » et la « forêt, lieu d’exploitation forestière » ont pu être dépassées. Cela a donc nécessité que le travail réalisé dans les commissions[1] soit débattu au niveau de l’instance de coordination du mouvement pour éviter une opposition stérile des points de vue.

La question de l’usage des naturels communs ne peut plus être l’affaire des seuls propriétaires forestiers, qu’ils soient publics ou privés.

Au-delà des aspects qui peuvent sembler formels dans le fonctionnement, les avis et points de vue contradictoires se sont aussi exprimés dans une démarche de construction pour favoriser et anticiper l’« après-Florian ». De fait, c’est bien en partant des échanges, réflexions et propositions assises sur un socle de valeurs communes qu’un cadre stratégique et programmatique s’est construit au fil des réunions. Cela a permis la rédaction d’un document sur « les ambitions alternatives » du collectif.

RÉFLEXIONS ET ACTIONS : LE TRAVAIL DU COLLECTIF

Le cadre et la portée des actions assumées par le collectif (une dizaine en trente mois, rassemblant chaque fois de 100 à 3000 personnes), des réunions publiques, des marches pédagogiques en forêt et des manifestations dans de nombreuses villes du massif pyrénéen ont été déterminants pour proposer et obtenir un moratoire sur le projet Florian. Compte tenu de l’importance des mobilisations, les pouvoirs publics – préfet des Hautes-Pyrénées pour le préfet de région et la région Occitanie – ont reçu le collectif à plusieurs reprises. La demande de ce dernier portait en premier lieu sur la nécessité de partager la somme des connaissances et des problématiques de chaque acteur et/ou corps de métiers et/ou associations afin de convenir d’une base commune de travail à partir de valeurs et d’objectifs.

Cette méthodologie de concertation était de nature à aboutir au rassemblement majoritaire du fait de la reconnaissance de l’intérêt général comme somme non divisible. Mais les pouvoirs publics ont préféré une autre voie : un cabinet a été choisi pour interroger individuellement 65 personnes identifiées comme « pertinentes ou représentatives ». Pour le collectif, cette méthodologie était inopérante pour sortir des pratiques en silos et des intérêts particuliers. Cela dit, dans le rendu de cette « étude » sont apparus des constats contradictoires, qui convergeaient pour des raisons diverses vers le rejet du projet. Et il est à noter que plusieurs arguments de Touche pas à ma forêt ont été repris par un nombre non négligeable de professionnels de la filière bois, soulignant ainsi le sérieux du travail du collectif.

Le projet de scierie de la multinationale italienne Florian avait le soutien des pouvoirs publics.

L’orientation choisie reposait sur l’intégration des acquis scientifiques, en particulier la reconnaissance que le rôle de la biodiversité demeure incontournable car lié au système « des vies sur Terre, donc des cortèges interdépendants » des plantes, arbres, champignons ainsi que de la faune dans l’écosystème forestier ; partant, la reconnaissance que ces systèmes complexes et interdépendants nécessitent la présence renforcée d’arbres morts, de vieux arbres et de vielles forêts afin d’améliorer la qualité de la décomposition des végétaux en humus.

L’installation de cortèges d’insectes participe dans ces conditions aux processus de transformation du bois. Le tout pouvant améliorer la productivité des arbres en favorisant des prélèvements moindres en unités mais plus importants en volume. C’est ce qui est ressorti des études scientifiques menées au sein des forêts Suisses, Allemandes, Autrichiennes…

Seuls des effectifs augmentés, des statuts et des rémunérations dignes pourraient éviter les déviances actuelles pour tous les travailleurs de la forêt.

La reconquête de la biodiversité a donc une utilité pour l’ensemble des cycles de vie, mais aussi pour la complémentarité avec les autres espèces, dont la nôtre. Ajoutons que, dans cette démarche, l’épisode pandémique des SRAS, dont la covid-19, a pu aussi nous éclairer sur la littérature scientifique qui a émergé dans cette période.

LA QUESTION SOCIALE, L’ONF ET LA POLITIQUE GOUVERNEMENTALE

Simultanément a été posée par les acteurs en commission la question des statuts des travailleurs de la forêt. Il a été débattu de la fonte des effectifs au sein de l’ONF ainsi que de la stratégie gouvernementale d’augmentation des prélèvements de bois, dont l’ONF est devenu le bras armé au détriment des autres fonctions, qui ont été abandonnées. Ainsi, la commission et le mouvement non seulement se sont portés solidaires des travailleurs de l’ONF, mais ont aussi affirmé que seuls des effectifs augmentés, des statuts et des rémunérations dignes pourraient éviter les déviances actuelles pour tous les travailleurs de la forêt. Bon nombre de ces derniers sont aujourd’hui sans statut social et à la merci des donneurs d’ordre.

LE RÔLE DE LA RÉGION OCCITANIE

La question économique fut donc traitée en lien avec la question sociale, portée par une volonté de reconquête au niveau du maintien des métiers de première et seconde transformation pour répondre à une commande publique en ameublement et en écoconstruction. Celle-ci aurait le double avantage de stocker du carbone et de lutter contre la dépense d’énergie « grise » dans le bâti en béton, qui n’existe pas ou peu en construction bois.

Des propositions ont été avancées par le collectif au niveau de la région Occitanie, qui pourrait servir de levier avec les autres collectivités territoriales. Ces propositions portent sur la commande publique pour l’ameublement des lycées, collèges, groupes scolaires, universités, mais aussi pour l’isolation thermique des bâtiments à partir des sous-produits du bois (laine et fibre de bois). Leur mise en œuvre entraînerait la création d’unités industrielles aujourd’hui inexistantes.

Les documents d’urbanisme pourraient être utilisés à bon escient pour le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, en passant par le plan Climat-Air-Énergie, le schéma de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme intercommunaux. Or le schéma productiviste du projet Florian ne laissait pas de place à une stratégie qui prendrait en compte les propositions du collectif en la matière. Le pacte « vert » régional ne parle pas de ce sujet, laissant au « marché » le soin de gérer les augmentations de prélèvements en forêt (+ 16 % en volume et + 30 % pour le sciage, + 60 % pour le bois énergie réseau de chaleur) dans le cadre du plan régional forêt-bois 2019-2029.

VERS UNE DÉMOCRATIE DE TERRITOIRE

C’est bien à partir de la prise en compte nécessaire des besoins environnementaux et sociaux que l’on pourra réaliser ce qu’il convient toujours d’appeler « la valeur d’usage » qui permettrait le développement des activités économiques au service de la satisfaction des besoins humains. Ce cadre étant posé et acté, les constructions de projets pourraient être proposées et discutées au sein de structures qui s’appelleraient « comités de vallées » (cette référence géographique a un sens dans le piémont pyrénéen).

Le projet Florian de scierie prévoyait de prélever jusqu’à 550000 t de bois par an.

Cela représente une ambition démocratique qui ne se nourrit pas de mots mais bien de données scientifiques et de connaissances partagées pour répondre à l’ensemble des besoins exprimés, humains et non humains. Considérons aussi que la complexité de l’écosystème forestier peut bien se passer de l’humain, le contraire n’étant pas vrai.

La commande publique pour l’ameublement des lycées, collèges, groupes scolaires, universités, mais aussi pour l’isolation thermique des bâtiments à partir des sous-produits du bois, entraînerait la création d’unités industrielles.

La question de l’usage des naturels communs ne peut plus être l’affaire des seuls propriétaires forestiers, qu’ils soient publics (communes, État), ce qui représente un peu plus de 25 % des forêts en France, ou privés ; en France, ces derniers sont au nombre de 3,5 millions, dont 20 % possèdent 80 % des forêts.

FAIRE VIVRE LA DÉMOCRATIE DES COMITÉS DE VALLÉES

À l’heure des naturels communs et des échanges nécessaires et indispensables, qui devront forcément être déconnectés du marché et de la finance, la réussite d’une telle ambition ne peut reposer sur un volontariat exacerbé des sachants et des experts en tout genre. Il y a bien à reconquérir la place de chacun en ménageant la place de l’autre et des autres. La conjonction et le rassemblement de ceux qui vivent en proximité de la forêt et de ceux qui en vivent demeurent une équation à régler.

Le travail d’excellence conduit par les pères de l’approche sociologique nécessite la compréhension des enjeux planétaires et climatiques, sociaux et économiques. C’est ce qui a été accompli entre autres par Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie 2009, qui s’est efforcée de montrer que des « collectivités » pouvaient gérer de manière économiquement optimale des biens communs, à travers la création de compromis institutionnels et de partage des usages.

Faire société dans le cadre d’une réelle compréhension des enjeux pour transformer la matrice de cette société capitaliste prédatrice en société du partage, sans classes, nécessite une appropriation de toutes les problématiques au sein des comités de vallées pour peser dans de nouveaux rapports de force prenant en compte le « géant nature qui est sous nos pieds ». Le facteur principal de la lutte contre le projet porté par la multinationale Florian, au-delà de l’acte même de couper déraisonnablement des millions d’arbres, a bien été le déni de démocratie. L’État ainsi que certaines collectivités se mettent au service d’une multinationale.

La durée de la lutte, sa puissance et son fonctionnement ont donc été dépendants des outils démocratiques construits pour la création d’une démocratie permanente de moyens. Cela a donc conduit à cette proposition de comités de vallées en s’inspirant des comités d’estive du Pays basque et en les élargissant aux citoyens non propriétaires, aux associations environnementalistes, aux syndicats de salariés et professionnels, aux élus de la vallée.

Le tout pourrait être coordonné par une assemblée des comités de vallées du massif pyrénéen. Le contenu serait bien sûr débattu à partir de valeurs communes intégrant ce que nous avons souligné plus haut – biodiversité, climat, résilience, statuts sociaux et économiques – dans un cadre de transformation sociale


[1] En juillet 2020, en « pause » covid, le collectif se dote de quatre commissions de travail et d’une commission de coordination.

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