Incendies en gironde, et ailleurs. Pourquoi ? Christian Darriet*

Si à l’été 2022 des milliers d’hectares de forêts sont partis en fumée, ce n’est pas seulement à cause des températures particulièrement élevées ni de la sécheresse. Outre les changements climatiques, la forêt est mise en danger par un manque de moyens humains et financiers pour les pompiers et la Sécurité civile, mais aussi, en amont, par un manque d’infrastructures et d’entretien des massifs. Alors que les épisodes de sécheresse vont se multiplier, les investissements deviennent d’une urgence absolue.

*Christian Darriet est forestier, responsable syndical.

Des feux gigantesques ont détruit plus de 60000 ha en France, de la Gironde au Jura, en passant par le Finistère et le Maine-et-Loire. En Gironde, ce sont 30000 ha ravagés par le feu qui ont nécessité la mobilisation de 3 000 pompiers girondins, 1200 pompiers venus de toute la France et de Suisse et 397 pompiers venus de différents pays d’Europe et d’outre-mer. La canicule que nous avons subie cet été a joué sur ces incendies, mais pas seulement elle. À l’avenir, avec le changement climatique, il faut s’attendre à des années de sécheresse ainsi qu’à de violents coups de vent qui vont mettre à mal notre forêt.

LA NATURE DU DANGER ET SES CAUSES

Tous ces incendies ont fini par être contenus. En Gironde, il y a eu 614 départs de feu, dont 609 ont été stoppés grâce aux moyens aériens déjà sur place. Pour combattre les flammes, il faut agir rapidement, intervenir dans les premières minutes : pour être rapidement maîtrisé, un feu doit être circonscrit avant qu’il ait parcouru 1 ha. Sinon, nous le savons – les scientifiques ont étudié ce genre d’événement –, il sera très difficile d’arrêter sa progression. Donc, pour ne pas subir de telles catastrophes, nous devons mettre en place des moyens en hommes et matériels dans les prochaines années, pas dans vingt ans mais dès l’été 2023.

Au cours de l’été 2022, en Gironde 30000 ha de forêts ont été détruits.

À l’opposé des besoins, les politiques libérales à l’œuvre en France comme dans toute l’Europe entraînent depuis de nombreuses années des réductions drastiques des dépenses publiques au détriment des services publics dans tous les domaines. C’est ainsi que les gouvernements successifs ont fermé 1200 casernes de pompiers dans l’Hexagone, et ce sont les communes rurales qui ont été les plus affectées. Il est urgent de rouvrir des petites casernes.

Nous devons mettre en place des moyens en hommes et matériels dans les prochaines années, pas dans vingt ans mais dès l’été.

L’équipement du territoire pour faciliter l’intervention des services de lutte contre l’incendie passe par la création de zones d’appui à la lutte, d’équipement en points d’eau et en pistes de défense de la forêt. Or ni la construction ni l’entretien régulier de ces ouvrages ne sont assurés, du fait du désengagement de l’État et, surtout, du manque d’entretien de la forêt. En effet, débroussaillages, élagages, entretien des pare-feu ne peuvent être réalisés que par des professionnels. Qui plus est, ces travaux ne peuvent être effectués qu’à des périodes bien précises, et pas à tout moment dans l’année.

QUE SONT DEVENUS LES CANADAIRS ?

Le syndicat CGT demande depuis plus de trente ans que des Canadair soient basés en Aquitaine, alors qu’actuellement la flotte est basée à Nîmes. À l’été 2019, sur la base nîmoise de la Sécurité civile il y avait vingt-deux avions en capacité de voler. On n’en compte plus que treize aujourd’hui. Sur les treize Canadair, neuf sont opérationnels. La flotte est vieillissante.

À l’été 2019, sur la base nîmoise de la Sécurité civile, il y avait vingt-deux avions en capacité de voler. On n’en compte plus que treize aujourd’hui. Sur les treize Canadair, neuf sont opérationnels.

La maintenance, aux mains de sociétés sous-traitantes plus préoccupées de leur bilan financier que d’autre chose, n’a pas suivi. Et il faut également évoquer le rôle des industriels : le constructeur Bombardier a arrêté sa production ; c’est aujourd’hui la société Viking Air qui propose un nouvel appareil. L’investissement dans une chaîne de production était conditionné à des commandes publiques.

L’Europe a acheté douze appareils, la France en aura deux, mais pas avant 2025. Notre pays ne s’est pas positionné pour en acquérir. Plus on attend, plus la livraison sera décalée dans le temps, et nos Canadair ne seront alors pas très fringants, comme le constate Christophe Govillot, pilote d’avion bombardier d’eau à la base de la Sécurité civile de Saint-Gilles (Gard), qui a évoqué la situation lors de sa rencontre avec le président de la République le vendredi 28 octobre 2022 à l’Élysée.

Enfin, les moyens humains doivent également être pris en compte. Le pilotage d’un bombardier d’eau ne peut dépasser huit heures. Quand deux de ces avions se sont posés à Mérignac, ils auraient pu repartir mais il n’y avait pas de pilotes pour retourner combattre les feux et aider les pompiers au sol. Ces mêmes pompiers, héroïques, décrivaient un véritable enfer. L’ampleur des surfaces incendiées en donne une idée. Sur le territoire de La Teste-de-Buch (Gironde), elles s’élèvent à 7000 ha, dont 1100 ha en forêt domaniale sur les 2032 gérés.

CONSÉQUENCES POUR LE LITTORAL ET LES ZONES HUMIDES

La forêt littorale joue un rôle central dans la stabilisation des dunes et la préservation du littoral. Les éco – systèmes de la forêt domaniale de La Teste-de-Buch sont majoritairement, mais pas uniquement, constitués de pins maritimes. Ces boisements anciens, touchés eux aussi, abritaient une certaine diversité, avec des îlots de chênes, avec une faune et une flore relativement riche qui venait d’être inventoriée.

Il est inenvisageable de réduire les effectifs de l’Office national des forêts (ONF) comme le prévoit le contrat d’objectifs et de performance État-ONF.

Sur le territoire de Landiras, une surface de 13 800 ha, dont 420 ha de forêts publiques, fut parcourue par les flammes. La forêt départementale d’Hostens fut touchée sur 390 ha, parmi lesquels la majeure partie de la future réserve biologique d’Hostens – Gât-Mort. L’espace naturel sensible Domaine d’Hostens et Lagunes du Gât-Mort, propriété du département de la Gironde, est un secteur stratégique pour la conservation des zones humides sur le plateau forestier ainsi que pour le maintien des continuités écologiques entre les bassins-versants de la Leyre et de la Garonne, enjeux identifiés dans la nouvelle charte du parc (période 2014-2026).

L’espace naturel sensible Domaine d’Hostens et Lagunes du Gât-Mort, propriété du département de la Gironde, est un secteur stratégique pour la conservation des zones humides sur le plateau forestier.

Dans le cadre de travaux d’urgence de mise en sécurité et prévention de l’érosion, les arbres brûlés seront abattus. Ce retrait est nécessaire notamment pour éviter que des foyers de scolytes prolifèrent et impactent des parties non incendiées. Des actions de génie écologique pourront être mises en œuvre en urgence pour stabiliser les sols. Ce n’est qu’ensuite que les interventions de restauration des écosystèmes pourront être menées. Elles seront définies en fonction de la manière dont le peuplement réagira dans le proche avenir : accompagnement de la régénération naturelle, recépage, semis, plantation, actions de génie écologique, adaptation des infrastructures, équipements d’accueil du public, restauration des accès au littoral.

LA NÉCESSITÉ DES SERVICES PUBLICS POUR ASSURER L’AVENIR

Pour ce qui est du matériel, la CGT avait notamment revendiqué la transformation des avions Transall, ces transporteurs militaires que l’armée de l’air a réformés, en bombardiers d’eau. À l’époque, ces travaux d’aménagement auraient pu être réalisés par la Sogerma, aujourd’hui Airbus, à Mérignac (Gironde) qui disposait de tous les moyens.

Par ailleurs, il faut allouer des moyens matériels et humains au service départemental d’incendie et des secours (SDIS), mais aussi à la flotte aérienne de la Sécurité civile. Il faut aussi redonner de l’attractivité à la profession avec des salaires et conditions de travail décents, recruter des pompiers professionnels et volontaires, mettre en place une politique publique nationale de protection contre les incendies de forêt. Enfin, il faut donner les moyens nécessaires à l’ONF pour gérer durablement la forêt. Ces événements montrent la nécessité d’avoir des services publics forestiers forts. Or ceux-ci sont de plus en plus en tension, et il est inenvisageable dans ces circonstances de réduire les effectifs de l’Office national des forêts (ONF) comme le prévoit le contrat d’objectifs et de performance État-ONF. Près de 500 postes devraient être supprimés dans les années à venir.

Donner les moyens nécessaires à l’ONF pour gérer durablement la forêt est désormais un impératif.

Les maires sont directement impliqués. Ils ont un rôle primordial dans ces écosystèmes, à la fois garants de l’intérêt général, protecteurs de la biodiversité et à l’interface de toutes les politiques publiques. Ils doivent pouvoir être accompagnés par des agents de terrain compétents afin d’aménager leur territoire, d’assurer leur mission de sécurité et de prévention des risques tout en étant acteurs du développement économique de la filière forêt-bois et de la transition énergétique. Toutes les forêts devraient être assurées au titre de la responsabilité civile propriétaire. Par ailleurs, dans l’optique de préservation de la forêt, il faudrait renouer avec des pratiques comme gemmage[1].

L’inaction climatique politique nous amène aujourd’hui dans une situation dans laquelle les incendies et les catastrophes naturelles seront de plus en plus fréquents. Combien en faudra-t-il pour que le gouvernement prenne conscience de l’absolue nécessité de fournir aux services publics les moyens pour faire face aux défis de demain ?


[1] Voir Progressiste, no 23, janv.-févr.-mars 2019.

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