La Forêt Brûle : Réparer Et Reconstruire, Jean Querbes*

Au mois de juillet 2022, un incendie particulièrement destructeur a parcouru plus de 7000 ha de forêt à La Teste-de-Buch, au sud du bassin d’Arcachon. Fruits de siècles de luttes, des droits d’usage particuliers ont été conquis par la population sur cette forêt pourtant privée. Ces droits font de cette forêt usagère une singularité à étudier pour s’en inspirer. Il faudra également en tenir compte pour réparer et, surtout, assurer la mise en place de mesures de prévention, qui ont largement fait défaut.

*Jean Querbes est secrétaire de la section PCF de La Teste-de-Buch ; ancien député au Parlement européen.

Face au traumatisme que représente la destruction d’une partie de la nature, de la forêt, composante de notre identité humaine, une foule de questions et de comportements surgissent pour conjurer la souffrance, réparer, reconstruire.

COMPLEXITÉ DES CAUSES D’UNE CATASTROPHE

La tentation est grande de trouver une explication simple à un phénomène à l’origine complexe et pour cela chercher le bouc émissaire, un individu (ou une organisation) bien identifié désigné comme responsable et dont la mise en dehors de la société ou hors d’état de nuire résoudrait définitivement le problème. Cette démarche, qui est totalement erronée au regard de la complexité des causes d’un sinistre, nous dispense – et en cela elle est néfaste – du travail de recherche de l’ensemble des éléments nécessaires à la compréhension de ce qui s’est passé, et donc de penser la prévention.

Dans le passé, le code des sonneries était plus largement approprié et la population mieux informée concernant les risques.

Répondre au pourquoi passe par la mise en commun, la confrontation de milliers de connaissances et d’expériences. Et nous ne partons pas de rien. Après les dramatiques incendies de 1949, tout un ensemble de mesures ont été prises : constitution d’un corps de sapeurs-pompiers forestiers ; construction de pistes forestières, de pare-feu, de réserves d’eau ; constitution de la DFCI (Défense de la forêt contre l’incendie), qui pendant des décennies ont fait montre de leur efficacité. Les évolutions sociales, économiques, culturelles, climatiques dans le massif forestier nous invitent à « revisiter » toutes ces mesures, ces acquis, pour les actualiser, les amplifier.

SE RÉAPPROPRIER COLLECTIVEMENT LA CONNAISSANCE DES RISQUES

Dans le passé, la population vivait au rythme des sirènes d’incendie qui appelaient les pompiers et les volontaires et nous indiquaient (par le code des sonneries) la cause du sinistre et sa gravité. Le risque faisait partie de la vie. Depuis, comme une façon d’exorciser le risque, nous l’avons éloigné de notre vie quotidienne et avons confié sa gestion à des corps spécialisés… jusqu’à parfois l’oublier. Et pas seulement au niveau des individus, mais aussi des puissances publiques qui, au nom de la réduction de la dépense publique, prennent prétexte du calme relatif sur ce front pour le dégarnir des moyens de prévention et de lutte.

Avec ses particularités, la forêt usagère témoigne d’une lutte séculaire pour garder un usage collectif, populaire de la nature et de la forêt en opposition à une appropriation privée pour un profit personnel.

Il ne faut pas que ce soient des drames qui nous rappellent les risques. La connaissance par tous des risques et leur anticipation est la première démarche de prévention et de lutte contre les incendies.

LA FORÊT USAGÈRE ET LE LIEN DES HOMMES AVEC LA NATURE ET LA FORÊT

Pour répondre aux questions qui se posent à la suite d’une catastrophe comme celle qui nous occupe, il est important de se pencher sur la situation de la forêt de La Teste-de-Buch, forêt usagère qui constitue une exception dans le paysage forestier français. C’est en effet la seule forêt privée grevée de droits d’usage fondés sur une série de « baillettes et transactions » remontant, pour les plus anciennes, au début du XVe siècle. Pour maintenir sur ses terres les serfs attirés par les libertés communales, le seigneur féodal avait dû satisfaire aux besoins d’usages essentiels de la population de l’époque : production de gemme (résine), ramassage du bois mort, coupe du bois d’œuvre pour la construction de la maison ou du bateau des habitants, ramassage des glands, droit de pâture… Le tout excluant toute commercialisation du bois. Un statut qui, malgré toutes les attaques au fil des siècles, a été confirmé jusqu’à nos jours comme force de loi.

De plus, dans un paysage de forêts des Landes de Gascogne qui a largement été constitué au XIXe siècle dans des zones marécageuses et dans une logique très souvent productiviste, avec ses particularités, la forêt usagère témoigne d’une lutte séculaire – que l’on retrouve ailleurs dans la défense des « communs » – pour garder un usage collectif, populaire, de la nature et de la forêt en opposition à une appropriation privée pour un profit personnel.

Cet usage populaire était inscrit dans la doctrine chrétienne à laquelle les logiques mercantilistes puis libérales ont tourné le dos : « La Terre est un cadeau que Dieu a confié aux hommes pour qu’ils en soient les jardiniers. Personne n’en est propriétaire mais tous en sont responsables. »

À l’inverse, des grands propriétaires forestiers appuient le gouvernement pour détruire le statut original de la forêt usagère et la livrer aux logiques productivistes et aux spéculations foncières et immobilières, particulièrement fortes dans cet espace situé au pied du site touristique majeur qu’est la dune du Pilat.

DEUX CONCEPTIONS DE LA RECONSTRUCTION

On mesure bien que la reconstruction forestière, ici comme ailleurs, verra la confrontation de deux conceptions : celle d’une forêt de rapport financier fondée sur la propriété privée versus celle d’une forêt de jouissance populaire et de sauvegarde écologique répondant aux besoins actuels et futurs de la population… et que peut préserver une propriété sociale. Le feu laisse un terrain nu, un traumatisme écologique, économique, social et psychologique, mais aussi une page blanche sur laquelle écrire une nouvelle vision de la nature et du massif forestier.

Très proche de la dune du Pilat, la forêt de La Teste-de-Buch est soumise à une forte spéculation foncière.

Un grand travail de consultation de la population doit être engagé pour définir les attentes de chacun, vis-à-vis de la forêt et de ses fonctions traditionnelles et nouvelles :

–dans la réponse aux besoins essentiels et aux aspirations humaines (de la jouissance des paysages aux besoins de productions matérielles et d’emplois) ;

– dans les conditions d’existence même de la forêt, de sa faune et de sa flore ;

–dans les contraintes climatiques de réduction de l’empreinte carbone.

Alors qu’un arrêté préfectoral du 1er février 2007 prescrivait l’établissement d’un plan de prévention des risques d’incendies de forêt sur le territoire de la commune de La Teste de- Buch, « particulièrement exposée à ces phénomènes susceptibles d’affecter les personnes, les biens et l’environnement », quinze ans après rien n’avait été fait et la commune de La Teste, comme les communes du sud de bassin (Arcachon, Gujan-Mestras et Le Teich) sont dépourvues d’un plan de prévention.

L’arrêté préfectoral de 2007 décrivait une situation que les incendies de juillet ont malheureusement confirmée : « Le territoire de la commune de La Teste-de-Buch est particulièrement sensible à l’éclosion et à la propagation des incendies de forêt, en raison de la nature du manteau végétal dominant, de 1’extension de l’habitat sous toutes ses formes soit à proximité immédiate de la forêt, soit isolé en site forestier, ainsi que des effets de la concentration et des mouvements saisonniers de populations. »

La connaissance par tous des risques et leur anticipation est la première démarche de prévention et de lutte contre les incendies.

Un plan de prévention aurait pu, comme il l’a fait dans treize autres communes de Gironde, « définir les mesures de prévention, de protection et de sauvegarde qui doivent être prises, par les collectivités publiques dans le cadre de leurs compétences, ainsi que celles qui peuvent incomber aux particuliers ». Pour répondre au traumatisme généré par l’incendie du mois de juillet, et assurer pour l’avenir une meilleure sécurité pour les populations et les territoires, rien n’est plus urgent que d’élaborer avec la population un plan de prévention. Il est urgent de prendre en compte le fait que la protection de la forêt, le « traitement » d’un sinistre ou d’un risque, passe par trois renversements dans l’ordre actuel des choses, à savoir :

– que la prévention est une priorité sociale, économique et environnementale sur la réparation;

–que la prévention est l’affaire générale de toute la société, et pas seulement la fonction si nécessaire et si maltraitée de services publics spécialisés, à condition que le bénéfice de cette prévention profite équitablement et collectivement à tous ;

–que l’ensemble des enjeux existentiels d’aujourd’hui appelle à un nouveau regard sur le rapport entre la société, la nature et son massif forestier, limitant les exigences de rentabilité à court terme imposées aux activités humaines et qui montrent leurs limites dans la gestion d’un bien commun comme la forêt.

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