Les dernières décennies ont marqué un recul de l’usage du droit d’affouage, acquis social qui lie depuis des siècles les habitants de communes rurales à la forêt communale en leur permettant d’en tirer les ressources nécessaires à leur chauffage. Face aux défis auxquels sont confrontées les forêts françaises, s’appuyer sur ce droit d’usage peut permettre de retisser ce lien avec nos forêts, et d’encourager leur gestion démocratique.
*Daniel Pons est syndicaliste du Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l’espace naturel (SNUPFENSolidaires).
UN DROIT SÉCULAIRE QUI REGAGNE EN INTÉRÊT
L’affouage trouve son origine dans les droits d’usage octroyés au Moyen Âge par les grands propriétaires (seigneurs locaux, rois de France…) de forêts aux habitants des communautés de village, souvent contre des corvées. Il s’agissait pour les habitants d’avoir la possibilité de ramasser le bois mort tombé au sol et/ou de couper du bois vert pour pouvoir se chauffer et parer aux besoins usuels journaliers.

Ce droit ainsi que, plus globalement, les droits d’usage (collecte de bois d’œuvre, pâturage, panage, etc.) agroforestiers ou agropastoraux ont fait l’objet de chartes de coutumes[1] dans lesquelles ces usages étaient énumérés et codifiés. Ces droits ont duré jusqu’à la Révolution française puis ont été retranscrits dans le droit forestier : le Code forestier remonte à 1827. Cet affouage historique a duré jusque dans les années 1960, époque à laquelle le bois de feu fut progressivement remplacé par le charbon puis par le fuel, avant de retrouver un regain d’intérêt à partir de la fin des années 1980.
SYLVICULTURE ET BESOINS DE L’INDUSTRIE ET DE LA POPULATION
Le mot « affouage » vient de l’ancien français affouer, qui veut dire « chauffer », lui-même dérivé du latin focus, qui désigne le foyer, le feu. Le terme « foyer » est donc à entendre et au sens de feu comme moyen de se chauffer et au sens de famille en tant qu’ensemble de personnes vivant sous le même toit d’habitation, ce qui était important dans les régions de familles souches – familles comprenant plusieurs générations et élargies aux conjoints des aînés.
Au vu du contexte climatique actuel, il conviendrait plutôt de laisser vieillir les forêts pour valoriser les fonctions de stockage du carbone et la biodiversité.
Historiquement, de 1670 à 1960, de nombreuses forêts publiques, tant domaniales que communales, ont été gérées pour produire du bois de feu pour la population, mais aussi pour pourvoir aux immenses besoins de la proto-industrie métallurgique[2], qui ne pouvait recourir qu’au charbon de bois comme source d’énergie. Les modèles de sylviculture pratiqués étaient le taillis simple (bois de feu), jusque vers 1850-1900 par exemple dans les Pyrénées, puis progressivement le taillis sous futaie (bois de feu et bois d’œuvre) jusque vers 1960- 1970 pour les forêts communales. Pour subvenir à ce double besoin, les rotations – c’est-à-dire l’intervalle de temps entre chaque coupe au même endroit – ont été parfois extrêmement courtes, de l’ordre de 12 à 15 ans. Ainsi, la hêtraie actuelle des Pyrénées a comme ancêtres ces deux modèles sylvicoles particuliers.
GESTION DU PATRIMOINE FORESTIER PAR LE CONSEIL MUNICIPAL
Au niveau du droit, l’affouage est une possibilité offerte par le conseil aux administrés de pouvoir bénéficier de bois de feu provenant de la forêt communale, ce en respectant un ensemble de règles administratives prises par délibérations et de procédures techniques d’octrois précisées par le Code forestier.

Ce bénéfice peut se faire soit bois sur pied, auquel cas c’est l’affouagiste qui coupe et débarde son bois, soit bois façonné en bord de route, auquel cas le bois est coupé, débardé et stocké en lots par un prestataire de service choisi par le conseil municipal, puis les lots sont tirés au sort au prorata des affouagistes retenus par délibération. Aujourd’hui, c’est plutôt cette seconde pratique qui prédomine étant donné les pertes de savoir-faire du monde rural quant à l’exploitation forestière. Cette perte de savoir-faire – si l’on prend le monde agricole – trouve une explication dans l’évolution industrielle de l’agriculture, comme le reflète la sémantique : du paysan à l’exploitant agricole et de la ferme à l’exploitation agricole. De fait, le paysan avait le temps en hiver d’aller au bois et de ramasser de quoi se chauffer. Aujourd’hui, la rationalité gestionnaire attachée à l’exploitant agricole, avec l’exigence de résultat et d’efficacité dans le temps de production, a largement pris le pas sur la diversité des tâches du paysan.
Pour avoir la possibilité de bénéficier d’un affouage, il s’agit pour les administrés de se renseigner auprès de la mairie de leur localité et de proposer au conseil municipal d’ouvrir le rôle de l’affouage, donc d’offrir à chaque administré la possibilité de s’y inscrire, si bien sûr la commune est propriétaire forestier.
UN RÔLE POLITIQUE ET SOCIAL SUR LEQUEL S’APPUYER
Revenir vers l’affouage, c’est aussi revenir vers le patrimoine forestier communal et pouvoir de fait s’intéresser à la gestion de la forêt, à son histoire, à son écosystème…
Ainsi, un matin vous pouvez vous retrouver en forêt à observer le sous-bois, les arbres, à chercher à identifier les essences, à vous demander pourquoi ce sont ces arbres qui ont été martelés[3] et pas les autres, pourquoi plutôt le bouleau et le frêne et pas les chênes, par exemple. Vous vous posez la question : Mais quelles sont les règles pour le choix de ces arbres ? Alors vous cherchez et vous trouvez qu’effectivement il y a des règles de sylviculture inscrites dans un plan de gestion plus global de la forêt et que certaines essences sont privilégiées aux dépens d’autres : le chêne de préférence au bouleau, le hêtre plutôt que le sapin autrefois dans la forêt pyrénéenne. Sur pied, vous trouvez un gros arbre mort repéré par un triangle bleu renversé, et cela vous semble incompréhensible…
Cet affouage historique a duré jusque dans les années 1960, époque à laquelle le bois de feu fut progressivement remplacé par le charbon puis par le fuel, avant de retrouver un regain d’intérêt à partir de la fin des années 1980.
Vous avancez dans la forêt et vous trouvez d’autres affouagistes ; vous vous arrêtez pour discuter, poser des questions, casser la croûte, partager un moment de convivialité, aider… Dès votre retour, il vous semble avoir découvert un nouveau monde, un monde insoupçonné et jusque-là ignoré. Serait-il si sauvage que ça, ce monde ? De quand date cette forêt ? Et ses règles, d’où viennent-elles ? Qui les a écrites ? Quelle est ma place dans cette forêt ? Puis-je y jouer un rôle de citoyen ? Puis-je peser sur le choix des essences à couper, à garder ? sur leur âge d’exploitation ?
Revenir vers l’affouage, c’est aussi revenir vers le patrimoine forestier communal et pouvoir de fait s’intéresser à la gestion de la forêt, à son histoire, à son écosystème…
Aujourd’hui, et d’une façon générale, la politique forestière française est de mettre de plus en plus de bois sur le marché. La forêt pyrénéenne n’est pas épargnée. Pourtant, et cela est peu connu, cette forêt de montagne est jeune : à peine 100 à 150 ans. Or, au vu du contexte climatique actuel, il conviendrait plutôt de laisser vieillir les forêts pour valoriser les fonctions de stockage du carbone et la biodiversité tout en valorisant une sylviculture plus attentionnée aux écosystèmes forestiers, qui permettrait de proposer du bois au marché mais suivant un autre modèle de sylviculture, un modèle valorisant plus les arbres et le couvert continu.
[1] Exemple : Charte des coutumes de Montsaunès (Haute-Garonne) octroyée en 1343 par la commanderie templière locale.
[2] La métallurgie du fer a commencé dès le XVIe siècle dans les Pyrénées, par exemple.
[3] Marqués pour être abattus. Le martelage est une opération collective des forestiers qui consiste à marquer avec un marteau forestier les arbres à abattre.
Vouloir défendre les acquis sociaux ne doit pas conduire à promouvoir une vision romantique ou surannée du rapport à la nature, surtout quand les conséquences environnementales sont délétères (émissions de particules polluantes dues au chauffage au bois). Il est étrange de vouloir valoriser un « rôle social » de l’affouage où les usagers apprendraient sur la gestion sylvicole en coupant leur bois de chauffe, après avoir pourtant admis qu’en pratique la coupe était confiée à des prestataires de services !
Si l’enjeu est l’accès à un certain confort thermique, les moyens mis en oeuvre n’ont pas à être calqués sur des pratiques et règlementations issues de l’Ancien régime.
Rien qu’en France, plus 50 000 personnes chaque année meurent à cause de l’air pollué. Ce sont les chiffres des différentes associations de pneumologues. Certains disent 70 000. Dans le monde ce nombre, c’est 3 millions de morts par an. En particulier dans certains pays, des centaines de millions de gens très pauvres n’ont d’autre accès à l’énergie que celui du bois mort ou de la bouse séchée, et ils en meurent massivement.
Il faut donc en finir avec le chauffage etla cuisson au bois. Au moins tant qu’on aura pas mis au point des systèmes obligatoires de cheminées qui éliminent toutes les particules fine, par exemple des systèmes de barbottage des fumées.
Aimer la nature, c’est aimer une nature sans effluent toxique, même si ceux-ci donnent une image de nature et tradition.
Enfin, pour la biodiversité, il est important de laisser le bois mort pourrir sur place. Un forêt sans bois mort est écologiquement très appauvrie.
Deux raisons pour dire non à l’affouage.
Jusqu’aux années 1985 la Commune des Carroz d’Araches ( 74) pratiquait l’affouage. Il consistait à laisser chaque propriétaire de parcelle la possibilité de choisir UN arbre à abattre, à charge pour lui de le convoyer ( par tracteur). La Commune restant gestionnaire de plein exercice sur les propriétés individuelles. La Savoie est rattachée à la France en 1861)