Empathie et problèmes, Taylan Coskun*

Dans les pas de l’école soviétique d’échecs

*Taylan Coskun est membre du comité de rédaction de Progressistes

Article paru dans le numéro 29 de progressistes (juillet-aout-septembre 2020)

«Connais ton ennemi et connais toi toi-même, eussiez-vous cent guerres à soutenir, cent fois vous serez victorieux. » Sun-Zu, l’Art de la guerre

Depuis quelque temps, l’empathie – avec ses deux acolytes : la bienveillance et l’écoute attentive – est devenue une valeur refuge dans nos sociétés. Avec plus ou moins de cynisme, les écoles de commerce, les maîtres ès sciences politiques, les gourous de tous poils proposent la prise en compte des idées et des sentiments d’autrui comme moyen ultime de « management » personnel ou social. Moyen d’autant plus agréable qu’il peut allier une domination réelle avec la bonne conscience du bien-fondé de cet état des choses. Quoi de plus valorisant, en effet, qu’un patron qui a de l’empathie pour ses salariés ?

Or, en vérité, rien de nouveau sous le soleil. La capacité de se mettre à la place des autres, soit pour les aider, soit pour les combattre, est, semble-t-il, propre aux hommes et à beaucoup d’animaux. C’est un moyen optimisant la coopération aussi bien que la compétition pour survivre. Se mettre à la place des autres pour mieux s’allier avec eux ou pour mieux détecter leur faiblesse en vue de les attaquer est donc une affaire triviale.

C’est de fait une méthode utile et universelle pour s’attaquer à la résolution de problèmes de toutes sortes. Aux échecs, on l’appelle prophylaxie. Un des grands professeurs de l’école soviétique d’échecs Mark Dvoretski en a fait l’élément central pour jouer correctement. Il s’agit de se mettre à la place de son adversaire pour deviner ses plans et ses possibles réactions à nos propres plans, et les combattre. Il faut en permanence que nos coups tiennent compte de l’adversaire. Une question pratique très importante que l’on peut se poser chaque fois que l’on doit jouer un coup est : « si c’était au tour de mon adversaire de jouer, qu’est-ce qu’il ferait ? » Et ensuite de se demander : « comment en tenir compte : l’ignorer, le contrer, l’empêcher? » Cette façon de penser nous met sur le chemin des coups inattendus que nous n’aurions pas imaginés sans cette empathie pour les idées de notre adversaire. Ci-dessous, trois exemples où il vous est demandé de trouver un plan de gain, puis d’imaginer sa réfutation possible en vous mettant à sa place votre adversaire, et enfin établir le bon plan qui tienne compte de la réaction adverse.

  1. L’Âge de l’empathie : leçons de la nature pour une société solidaire, Frans de Waal.
  2. Recognizing Your Opponent’s Resources. Developing Preventive Thinking, Mark Dvoretski.

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