Léon Deffontaines, secrétaire général du Mouvement des jeunes communistes de France et porte-parole de Fabien Roussel pour la campagne présidentielle, a accepté de revenir dans nos colonnes sur les grands enjeux concernant la jeunesse dans la campagne qui commence.
Entretien réalisé par Clément Chabanne, rédacteur en chef adjoint de Progressistes.
Article paru dans le numéro 33 de progressistes (juillet-aout-septembre 2021)
Progressistes : Quels sont les besoins et les aspirations des jeunes pour l’année qui va s’ouvrir ? Quels sont les grands sujets qui les préoccupent ?
Léon Deffontaines : Les sujets sont multiples, mais je dirais que les deux priorités sont la formation et l’emploi. Concernant la formation, les jeunes ont été confrontés pendant la pandémie à un système éducatif dégradé. Beaucoup d’étudiants et d’étudiantes ont abandonné leurs études car ils et elles n’arrivaient plus à jongler entre les cours à distance et les files d’attente des distributions alimentaires. Depuis le début de la pandémie, la précarité a explosé, et l’incapacité des mécanismes du CROUS à répondre à cette précarité rend nécessaire la création d’un revenu étudiant, fixé au-dessus du seuil de pauvreté et financé par la Sécurité sociale. Chez les lycéens et les lycéennes, il s’est ajouté une plate-forme Parcoursup encore plus sélective que d’habitude, qui en cette rentrée 2021 laisse 91000 lycéens sur le bas-côté, alors qu’il existe une réelle aspiration à pouvoir se former… et à avoir une formation qui réponde à nos envies et à nos besoins. Pour l’ensemble de ces raisons, il y a une nécessité, à la sortie du confinement et en perspective de l’élection présidentielle, de questionner le système éducatif français.
Beaucoup d’étudiants et d’étudiantes ont abandonné leurs études car ils et elles n’arrivaient plus à jongler entre les cours à distance et les files d’attente des distributions alimentaires.
Chez l’ensemble des jeunes, que l’on soit en recherche d’emploi, en formation ou sur le marché de l’emploi, s’est installée la crainte de ne pas trouver un travail correspondant à ses aspirations, voire un travail tout court nous permettant de vivre dignement. Cela nourrit une véritable angoisse chez les jeunes. Nous voulons rompre avec cette logique en garantissant à tous les jeunes un emploi digne ou une formation. Ce sera l’un des grands enjeux des prochaines échéances électorales.
La crise sanitaire n’a pas effacé les autres problématiques qui montaient dans la société et qui ont vu la jeunesse se mobiliser fortement. La question écologique n’a pas perdu de son urgence et devra ressurgir dans le débat. La question de l’égalité entre les femmes et les hommes, qui a vu ces dernières années une montée des mobilisations et de la prise de conscience, devra également prendre sa place, d’autant que le confinement aura malheureusement dégradé massivement la situation des femmes. Celles-ci ont été encore plus exposées aux violences domestiques. Leur situation dans l’emploi s’est également dégradée beaucoup plus que celle des hommes, malgré leur présence massive dans les métiers de première ligne.
Progressistes : Sur la question de l’emploi, François Mitterrand, qui reste une référence pour une partie de la gauche non communiste, avait déclaré qu’on avait « tout essayé ». Que penses-tu de cette affirmation ? Existe-t-il une perspective d’abolition du chômage ?
L.D. : Depuis des années, au moins depuis Mitterrand d’ailleurs, on nous dit que le chômage résulte d’un manque d’emploi, qu’il n’y a pas d’emploi pour tous. Je pense qu’il y a surtout un manque d’ambition politique. À ceux qui disent qu’il n’y a pas d’emploi, je leur donne rendez- vous dans les hôpitaux publics pour expliquer aux soignants et aux soignantes qu’il n’y a pas besoin de recruter ; je leur donne rendez-vous à l’école pour nous dire qu’il n’y a pas besoin de personnel éducatif. Qu’ils viennent voir l’état de notre industrie et dire aux salariés qu’il n’y a pas besoin d’emploi local et que toute la production peut être délocalisée à l’autre bout du monde, au détriment de la planète.
À ceux qui disent qu’il n’y a pas d’emploi, je leur donne rendez-vous dans les hôpitaux publics pour expliquer aux soignants et aux soignantes qu’il n’y a pas besoin de recruter ; je leur donne rendez-vous à l’école pour nous dire qu’il n’y a pas besoin de personnel éducatif.
La réponse au défi du chômage passe par deux choses. Premièrement, un plan d’investissement dans les services publics pour recruter des fonctionnaires. Nous ciblons quelques priorités, dans l’éducation par exemple avec le recrutement de 90000 enseignants et enseignantes ou dans la santé… En réalité, tous les services publics en ont besoin. Ces recrutements, nous voulons en faire bénéficier la jeunesse, avec des pré recrutements assurant une formation rémunérée à un métier de la fonction publique. Deuxièmement, nous ne nous contenterons pas de la sphère publique : nous souhaitons mettre le patronat devant ses responsabilités. Depuis trop longtemps, on le laisse délocaliser à tour de bras et détruire les fleurons industriels français. Il faut que cela cesse ! Cela passe par l’interdiction des délocalisations en cours. Nous voulons également favoriser l’embauche de jeunes en CDI en conditionnant les aides publiques et l’offre de crédit bancaire à la création d’emplois en CDI et à des mesures qui répondent aux enjeux sociaux et environnementaux en s’appuyant sur un pôle public bancaire, à mettre en place.
Progressistes : La reconquête industrielle devient un thème récurrent qui traverse en apparence les clivages politiques. Y a-t-il réellement une volonté unanime ?
L.D. : Les mêmes qui sont responsables de la situation industrielle du pays nous disent aujourd’hui qu’il faut réindustrialiser. Même les membres du gouvernement actuel, alors qu’ils laissent faire les délocalisations en cours, sans même demander un moratoire. Il faut leur rappeler que ce sont eux qui en pleine crise épidémique ont refusé de sauver Luxfer, la dernière entreprise européenne fabricant des bouteilles d’oxygène médical, alors que nous en demandions la nationalisation. Même la gauche a beaucoup déçu sur ces questions : chez moi, à Amiens, on se souvient bien du candidat Hollande promettant devant les salariés, sur le parking de l’usine, d’empêcher la fermeture de Goodyear.
Notre objectif n’est pas d’exporter des armes et d’avoir des ministres agents de marketing des grandes entreprises au prétexte qu’elles ont leur siège social en France.
Derrière tout cela, il y a un problème de contenu : il faut que chacun dise comment il compte appliquer concrètement ces principes. Or aujourd’hui peu de forces politiques arrivent avec un programme d’envergure pour réindustrialiser le pays si ce n’est les traditionnelles mesures incitatives libérales de défiscalisation ou de réduction des cotisations sociales, mesures qui n’ont jamais empêché la destruction de nos fleurons industriels. Seul le Parti communiste pose une démarche ambitieuse, dotée des moyens à hauteur de la tâche.
Progressistes : Pourquoi privilégier la constitution de pôles publics dans les grandes filières industrielles plutôt qu’un soutien aux « champions nationaux » privés ? L.D. : Notre objectif n’est pas d’exporter des armes ni d’avoir des ministres agents de marketing des grandes entreprises au prétexte qu’elles ont leur siège social en France. La grande question est celle des besoins auxquels nous voulons répondre. L’enjeu est d’avoir une gestion démocratique des entreprises pour qu’elles répondent avant tout aux besoins de la population, pour qu’elles n’aient donc plus pour objectif de faire grossir le portefeuille de Dassault ou de Bernard Arnault. Les bénéfices doivent aller dans les caisses de l’État et servir à financer le développement des services publics (éducation, santé, transports…), la souveraineté industrielle de la France dans les secteurs stratégiques et le développement de nos territoires.
Progressistes : Pour favoriser l’emploi des jeunes, le gouvernement Macron a beaucoup communiqué sur ses réformes de l’apprentissage et de la formation professionnelle. Qu’en as-tu pensé ?
L.D. : Ces réformes ont renforcé le contrôle du patronat sur le contenu des formations. Or l’objectif de l’école n’est pas uniquement de former les travailleurs de demain, il est aussi de former les futurs citoyens. L’école doit également être un lieu d’épanouissement, de découverte, de construction d’un esprit critique. Tout ce qu’une formation professionnelle gérée par le privé ne permet pas, puisqu’elle se résume à l’apprentissage de tâches utiles uniquement à l’entreprise. Même en termes d’emploi, si demain l’entreprise ferme, l’ensemble de ce qui a été appris dans cette formation ne pourra plus être valorisé par le travailleur. Confier le contenu des formations aux entreprises, c’est acter la disparition à terme des diplômes nationaux, qui dans un premier temps seront de facto dévalorisés.

Il faut renforcer la filière professionnelle gérée par l’État et qui, réforme après réforme, est aujourd’hui dégradée. Pour cela, il faut remettre des matières générales dans les lycées professionnels en repassant le bac pro en quatre ans au lieu de trois. Il faut également revaloriser le travail fourni par les jeunes en formation en rendant obligatoire la rémunération lors des stages en entreprise. Enfin, il faut permettre qu’à l’issue du baccalauréat les bacheliers professionnels puissent continuer leurs études. Il faut donc que les BTS et les IUT soient en priorité proposés aux bacheliers professionnels.
Confier le contenu des formations aux entreprises, c’est acter la disparition à terme des diplômes nationaux.
Or le gouvernement actuel est allé à l’inverse de ces orientations. Parcoursup a renforcé l’exclusion des bacheliers professionnels de ces lieux d’enseignement et la dernière réforme a encore enlevé 2 h/semaine de matières générales dans les lycées professionnels.
Progressistes : La culture scientifique des élèves français suscite de l’inquiétude chez de nombreux observateurs. Considères-tu que son évolution constitue un danger ?
L.D. : Je ne sais pas si chez les jeunes il y a moins de culture scientifique que jadis. En tout cas, il ne faut pas limiter la question à cette tranche d’âge. Beaucoup de stéréotypes sont véhiculés avec la question des fake news, ces bobards qui ne sont pas spécifiquement diffusés par les jeunes. C’est une question qui touche toute la société et qui doit être traitée notamment par un encadrement plus strict des médias.

Ce qui est certain, c’est que lorsque nous revendiquons une jeunesse mieux formée nous pensons aussi culture scientifique et technique. Les politiques gouvernementales, avec le retrait d’une demi-journée d’enseignement sous Sarkozy ou le retrait par Blanquer des mathématiques du tronc commun du baccalauréat, sont encore une fois allées à contresens. La meilleure lutte contre les fake news c’est d’avoir une jeunesse formée. Et pour cela il n’y a pas de recette miracle, il faut investir dans l’éducation et augmenter le volume horaire : nous proposons 27 heures en primaire et 32 en lycée, avec des heures dédiées aux sciences ainsi qu’à l’apprentissage de savoirs techniques. L’extension de ce temps passé à l’école doit également permettre l’accès au sport et à la culture. Enfin, cela doit marquer la fin des devoirs à la maison, avec des heures dédiées aux devoirs accompagnés par le personnel éducatif. Cela permettra d’éviter que les jeunes aient Internet pour principale source d’informations sans avoir été au préalable formés à avoir un esprit critique lors de leurs recherches. Il y a un enseignement de l’utilisation du numérique nécessaire pour distinguer un site scientifique d’un site complotiste obscurantiste.
Progressistes : La question énergétique est l’un des sujets sur lesquels circulent de nombreuses fausses informations. Quelle place donner à la science dans ce débat et dans les mobilisations des jeunes pour le climat ?
L.D. : Il faut sortir du dogmatisme sur ces questions. Il faut absolument aller voir ce que disent les scientifiques et ce qui se fait ailleurs. Il faut remettre la science au cœur de ces débats. Que nous disent les scientifiques, et notamment celles et ceux qui ont participé aux travaux du GIEC ? Que pour lutter contre le réchauffement climatique il faut augmenter la part de l’électrique, mais que cela ne suffit pas. Il faut que la production électrique soit la plus décarbonée possible. Pour cela, il y a deux sources d’énergie pilotables qui répondent aux besoins de la population et à l’exigence écologique : l’hydraulique et le nucléaire. Nous déplorons aujourd’hui la surenchère à gauche sur la sortie la plus rapide du nucléaire, sans réflexion sur les conséquences climatiques. La comparaison avec les pays qui mettent en œuvre cette sortie devrait nous éclairer : en Allemagne, la production de GES par mégawattheure est largement supérieure à celle de la France ; la Belgique, qui essaie de sortir du nucléaire, augmente dans le même temps son empreinte carbone et est contrainte de nous acheter de l’énergie nucléaire. Il y a donc une double problématique sur la production énergétique : limiter les gaz à effet de serre et répondre aux enjeux de souveraineté. Il s’y ajoute un enjeu social, le nucléaire présentant l’avantage non négligeable d’être une énergie peu chère. Or nous avons, nous, le projet de concilier lutte contre le changement climatique et lutte contre la précarité énergétique.
Lorsque nous revendiquons une jeunesse mieux formée nous pensons aussi culture scientifique et technique.
Chez les jeunes, le mouvement Youth for Climate France, qui se revendique structurant dans les mobilisations pour le climat, n’a pas de position tranchée sur le sujet du nucléaire, qui est pourtant fondamental dans la transition énergétique. Il faut donc participer à ses mobilisations avec nos revendications pour inciter les jeunes à se questionner. Ce d’autant qu’il n’y a aujourd’hui pas de mot d’ordre ni de chemin politique clairs et que, en cette absence, les mobilisations s’essoufflent : les lycéens ont besoin de voir l’intérêt de manquer une journée de cours pour aller en manifestation. Nous avons donc la responsabilité d’aller dans ces manifestations avec nos revendications, mais sans dogmatisme. Je pense qu’une bonne partie des jeunes pourrait se retrouver dans nos revendications. D’ailleurs, nous avons des collectifs locaux de Jeunes pour le climat qui ont décidé d’adhérer au MJCF car nous étions la seule organisation à poser des revendications claires, ce fut notamment le cas dans le Nord et dans les Ardennes.
Une réflexion sur “Conquérir un statut social pour les jeunes, entretien avec Léon Deffontaines”