Dans les pas de l’école soviétique d’échecs: L’oeuvre et l’héritage de Mikhaïl Moïsseïevitch Botvinnik, le fondateur de l’école soviétique d’échecs.
Taylan Coskun est membre du comité de rédaction de Progressistes
Article paru dans le numéro 33 de progressistes (juillet-aout-septembre 2021)
« Toutes sortes de gens jouent aux échecs, certains plus activement, d’autres plus passivement ; mais on ne trouve jamais de joueurs complètement “passifs” parmi les maîtres soviétiques. » Mikhaïl Botvinnik
Mikhaïl Moïsseïevitch Botvinnik, né en 1911 est mort en 1995 à Moscou. Sa vie contient la courte histoire de l’URSS. Il a été membre du Parti communiste. Cinq fois champion d’URSS. Il est devenu champion du monde en 1948, titre qu’il a perdu en 1963, contre Tigran Petrosian.
Surnommé le Patriarche, ce joueur à la ténacité légendaire a un score positif contre tous les champions du monde d’Emanuel Lasker, deuxième champion du monde à Anatoli Karpov le douzième. FINI DE RIGOLER Selon Botvinnik, avant l’école soviétique, les échecs n’étaient qu’un jeu d’enfant ou d’adulte en manque de sensations ou d’argent. Avec lui, fini de rigoler, de bluffer, de faire semblant, de jouer des parties pour s’amuser au bar autour d’un bock de bière. Pour le Patriarche, les échecs sont une affaire sérieuse, un art, une science, un sport de haut niveau, dont l’essence est la recherche de la beauté logique ; ce n’est donc pas un passe-temps pour dilettantes mais une incessante quête de vérité et de créativité. On s’y prépare avec application et méthode. On y voue sa vie et son âme. On défend sur un plateau de 64 cases l’honneur de la patrie du socialisme. Pour le fondateur de l’école soviétique, la fierté du travail bien fait et la ténacité de celui qui ne s’avoue jamais vaincu caractérisent le joueur d’échecs, modèle de l’homme nouveau.
LE TRAVAIL EST UN TALENT
Le Patriarche a été le premier à mettre en place une méthode de préparation pour les joueurs qui cherchent l’excellence. Son programme, qui a été utilisé par les plus grands joueurs, implique une hygiène de vie parfaite, de l’activité physique et un travail d’analyse approfondie du jeu dans toutes ses phases. En bon marxiste, il pense que le premier des talents n’est pas d’avoir des facilités innées mais la capacité de travailler pour se donner les moyens d’atteindre l’objectif qu’on se fixe.

Le Patriarche analysait avec précision ses futurs adversaires : leur caractère, la force et la faiblesse de leur jeu et mettait au point la stratégie spécifique à appliquer contre chacun. Ses jugements étaient concis, directs et profonds, à l’image de son jeu que certains comparaient à l’avancée d’un bulldozer. Il était très critique sur son propre jeu. Il analysait en détail et objectivement les parties des adversaires et les siennes propres, notamment celles qu’il avait perdues pour s’améliorer.
Il était célèbre pour ses préparations d’ouvertures très précises. Un de ses secondants lui a dit un jour qu’avec cette façon de s’entraîner il mettait ses adversaires dans l’état d’esprit de loups en raid contre lui, l’homme à abattre, tant il était valorisant de survivre à une préparation du Patriarche. Sa conception scientifique a influencé en profondeur l’histoire du jeu en URSS et dans le monde.
L’ORDINATEUR COMME DÉFI
Il était ingénieur et a beaucoup travaillé à un algorithme jouant aux échecs aussi bien que les humains, voire mieux. Il disait que cela arrivera un jour et qu’il faudra à ce moment que les joueurs humains reviennent aux échecs « sérieux» pour relever ce nouveau défi.
Vers la fin de sa vie, après la chute de l’URSS, le Patriarche participait à une conférence sur l’organisation de la Fédération russe des échecs. Un des responsables explique à la tribune que « tout est désormais une affaire d’argent, y compris les échecs. Même si, ajoute-t-il, cela peut heurter M. Botvinnik ». Un silence s’installe; tout le monde regarde le Patriarche, qui répond calmement : « Mais non. Continuez, jeune homme, ça m’amuse. » Telle était la loi du Patriarche : la recherche de la vérité, de l’honneur et de l’accomplissement de buts élevés par-dessus la petitesse d’une conception qui voit dans ce jeu de plateau un moyen de faire de l’argent. Un bel exemple d’intégrité, de rigueur et de dévouement par les temps que nous vivons.
Une réflexion sur “La loi du Patriarche, Taylan Coskun*”