À la fin de 2019, le CEA a annoncé l’arrêt du programme ASTRID d’étude et de construction d’un réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium. Une décision que l’ancien haut-commissaire à l’énergie atomique Yves Bréchet qualifia d’« ânerie historique ». Saisi par le député communiste André Chassaigne, le bureau de l’Assemblée nationale à confié à l’OPECST le soin d’évaluer la pertinence de cette décision. Il a rendu son rapport en juillet 2021 : ses réflexions sont édifiantes.
*Alain Tournebise est ingénieur.
Article paru dans le numéro 33 de progressistes (juillet-aout-septembre 2021)
UNE DÉCISION PRÉCIPITÉE SANS RÉELS ARGUMENTS
L’OPECST (Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques) dénonce d’abord l’absence de démocratie qui a présidé à une décision qui grève lourdement l’avenir : « C’est au travers d’un article de presse, paru le 29 août 2019, que la décision de ne pas poursuivre le projet ASTRID au-delà de 2019 avec la construction d’un réacteur prototype a été rendue publique. […] le CEA a proposé dans les mois suivants un nouveau programme de recherche révisé […]. Mais celui-ci n’a pas été présenté à la représentation nationale qui n’a pu en mesurer les conséquences en regard des dispositions législatives des lois de 2005 et 2006 à l’origine du lancement du projet ASTRID. »
Il souligne ensuite la faiblesse des justifications avancées et émet des doutes sur leur véracité : « […] chacun peut légitimement s’interroger sur les véritables raisons de cette décision. » Rappelons en effet que, lors de son audition au Sénat, François Jacq, administrateur général du CEA, avait expliqué qu’ASTRID était arrêté parce que « le prix de l’uranium est relativement bas. Et si son cours devait augmenter, des signes seraient annoncés des années à l’avance ». Ce raisonnement d’épicier avait alors suscité les réactions les plus vives de tous ceux qui estiment que les enjeux d’avenir de l’énergie et d’indépendance nationale méritaient mieux que cette approche mercantile. L’OPECST leur donne raison : «À elle seule, la question du prix de l’uranium, mise en avant, n’apparaît pas suffisante pour renoncer à un projet ayant de tels enjeux pour l’indépendance énergétique du pays et l’équilibre général de la filière […]. Une fois la construction du réacteur prototype ASTRID abandonnée, il serait impossible de réagir à temps à un changement imprévu du marché de l’uranium, puisqu’il faudrait d’abord relancer un cycle d’études d’une dizaine d’années […] avant de pouvoir construire une première unité sur une durée équivalente. »
Et l’Office de conclure : « L’hypo – thèse d’une remise en cause de la stratégie de fermeture du cycle du combustible suivi par la France depuis l’origine du programme nucléaire apparaît au moins aussi crédible que les explications avancées. »
UNE DÉCISION AUX CONSÉQUENCES GRAVES
L’essentiel du rapport de l’Office analyse ensuite les impacts que pourrait avoir cette décision. Un facteur de moindre attractivité vis-à-vis du monde étudiant, en France et à l’étranger. Le premier de ces impacts est « un accroc à l’image de l’industrie nucléaire française dans le monde » ; en effet :
« […] un risque réel existe qu’il devienne pour la France plus difficile de nouer de nouveaux partenariats internationaux en matière de recherche et développement. […] Ainsi le Japon, abandonné au milieu du gué sur le projet ASTRID, s’est déjà rapproché des États-Unis sur le projet de réacteur de recherche à neutrons rapides refroidi au sodium VTR. […] Ainsi, ce sont des projets américains qui pourraient bénéficier du savoir-faire et de l’investissement importants des anciens partenaires privilégiés de la France sur le projet ASTRID. Une telle évolution serait d’autant plus dommageable pour la recherche française que les partenariats internationaux vont prendre de plus en plus d’importance, en raison des coûts croissants de ces développements. Laisser planer un doute sur les intentions de la France quant au développement de sa filière nucléaire peut également avoir des conséquences sur la vente de réacteurs nucléaires à l’étranger. Un pays qui choisit un fournisseur sait qu’il dépendra de lui à très long terme. Toute interrogation sur la pérennité de l’engagement du fournisseur dans l’industrie nucléaire créée donc un légitime sujet d’inquiétude qui peut emporter une décision contraire. »
L’arrêt du programme ASTRID pourrait entraîner une perte assez rapide de l’acquis de soixante-dix années de recherche.
L’arrêt du programme ASTRID pourrait aussi entraîner une perte assez rapide de l’acquis de soixante-dix années de recherche. Ainsi que le relève l’OPECST : « Durant les quelque soixante-dix ans qui ont mené des premiers travaux à la fin du projet ASTRID à l’été 2019, les gouvernements et les responsables du CEA successifs ont toujours veillé à éviter une cassure dans la chaîne de transmission des compétences […]. Au cours des échanges entre les rapporteurs et les scientifiques et chercheurs, il est clairement apparu qu’en l’absence d’un projet cohérent prenant le relais il sera difficile de ne pas voir s’effilocher la maîtrise scientifique et technique de ces réacteurs, malgré les efforts réalisés et les moyens mis en oeuvre par le CEA. […] Quand bien même ce serait possible, les nombreux travaux de recherche et développement lancés ces dernières années avec des moyens importants, notamment aux États-Unis, en fédération de Russie et en Chine, permettront à ces pays de rattraper puis de dépasser rapidement les résultats obtenus dans le cadre du projet ASTRID. »
Au-delà des dangers qu’elle fait courir à l’avenir de notre pays, la remise en cause du projet ASTRID est un témoignage supplémentaire de la méthode Macron pour bafouer la démocratie
Les parlementaires soulignent aussi que cette décision entraînera une moindre attractivité vis-à-vis du monde étudiant, en France et à l’étranger. « Les échanges des rapporteurs avec les jeunes chercheurs du CEA à Cadarache ont confirmé que le manque d’attractivité de la recherche nucléaire française se traduit déjà par une réduction du nombre de candidatures de qualité et que cette difficulté pourrait se trouver renforcée par l’absence, après l’arrêt du projet ASTRID, d’un autre projet majeur en matière de nucléaire avancé. Tout comme vis-à-vis de potentiels partenaires étrangers, l’affichage d’une véritable stratégie de long terme cohérente en ma – tière de recherche sur le nucléaire avancé permettrait d’améliorer notablement l’attractivité de cette filière vis-à-vis des chercheurs. Elle contribuerait à rassurer, indépendamment des choix effectués en matière énergétique, l’ensemble du monde estudiantin sur la pérennité de la filière. » Enfin, pour les parlementaires : « Le risque sans doute le plus grave résultant de la fin du projet ASTRID […] concerne la remise en cause de la stratégie de fermeture du cycle définie par la France dès l’origine du nucléaire civil. En effet, sans perspective d’une réutilisation des matières énergétiques séparées dans le cycle du combustible […] la question d’une remise en cause du retraitement des combustibles usés à La Hague finira néces – sairement par se poser […]. La France se retrouverait alors dans une situation similaire à celle des États-Unis, où des milliers de tonnes de combustibles usés entreposés à sec sont répartis sur tout le territoire. »
Le 27 octobre 2021, lors d’une réunion publique à Rennes, Fabien Roussel déclara : « Moi président, je relancerai le projet ASTRID pour une énergie nucléaire décarbonée et qui produit très peu de déchets radioactifs. Faisons confiance à la science et aux chercheurs ! » Il est à ce jour le seul candidat à gauche à vouloir préserver et moderniserla filière nucléaire et à se positionner aussi clairement sur le dossier ASTRID. Il s’appuie notamment sur les rapports du GIEC considérant cette énergie bas carbone comme un des leviers pour décarboner le mix électrique et faire face à l’urgence climatique. En 2018, dans un rapport spécial, le GIEC avait mis en avant quatre scénarios énergétiques permettant de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. Ces scénarios présentaient une évolution de la production électronucléaire dans le monde qui allait du double au quintuple.
DIX PROPOSITIONS POUR RELANCER LA FILIÈRE
Au terme de cette analyse des dangers que recèle cette décision d’arrêt, les parlementaires de l’OPECST formulent dix propositions, toutes visant à rétablir une visibilité à long terme, à préserver l’avenir et à créer les conditions d’un véritable débat démocratique. Parmi elles : « Fonder une nouvelle stratégie de recherche sur le nucléaire avancé au travers d’un projet ou d’une proposition de loi programmatique permettant un large débat au sein du Parlement.
Réaffirmer le choix stratégique de la fermeture complète du cycle du combustible et du développement des nouveaux réacteurs de 4e génération indispensables à sa réalisation.
Présenter un plan de déploiement des réacteurs de 3e et 4egénération ainsi que de rénovation des installations du cycle permettant à l’ensemble des acteurs de la filière nucléaire de disposer d’une visibilité à long terme.
Les parlementaires soulignent aussi que cette décision entraînera une moindre attractivité vis-à-vis du monde étudiant, en France et à l’étranger.
Définir un plan de développement des compétences adapté aux disciplines clés, par le soutien à la formation des jeunes, notamment à l’université. En particulier, initier un programme de soutien à la formation et à la recherche nucléaire dans les universités. » Au-delà des dangers qu’elle fait courir à l’avenir de notre pays, la remise en cause du projet ASTRID est un témoignage supplémentaire de la méthode Macron pour bafouer la démocratie et tenter d’imposer des mesures qui relèvent surtout des concessions nécessaires à la tambouille électorale qui s’annonce. Mais, comme le souligne l’OPECST, « ni les instances consultatives ni les instances administratives ne peuvent, faute d’être porteuses d’une légitimité démocratique, prétendre se substituer à la démocratie représentative ou directe pour les décisions engageant l’avenir de la Nation. » Et cette fois c’est sa propre majorité qui le rappelle à Emmanuel Macron.
Une réflexion sur “Arrêt d’ASTRID : l’OPECST désavoue le gouvernement, Alain Tournebise*”