Nous assistons à un tournant dans notre perception des grandes crises environnementales. Ce qui naguère était perçu comme de lointaines menaces, le réchauffement climatique, la pénurie des ressources, les pollutions globales affectant notre écosystème, commence à se faire sentir concrètement au quotidien. Désormais, faudra-t-il s’y habituer ? Chaque année à venir sera désignée par la presse scientifique comme l’année la plus chaude jamais mesurée dans l’histoire de l’humanité, et verra son lot de feux de forêt toujours plus impressionnant, semant incrédulité et sidération dans de vastes zones de la planète. Sans surprise, les prix agricoles iront de sommets en sommets du fait des pertes de rendement entraînées par le réchauffement climatique. Plus globalement, ce sont toutes les matières premières qui seront touchées (leur pénurie annoncée) ; on pense naturellement aux hydrocarbures, gaz et pétrole, dont dépendent très fortement nos sociétés et dont la production est amenée à décliner. C’est ce déclin qui est responsable de la flambée des prix de l’énergie, il n’y a en effet plus assez de pétrole et de gaz pour tout le monde. Et c’est aussi le cas des principaux métaux stratégiques, en premier lieu du cuivre, qui suit une tendance similaire et dont la production, pour suivre la demande, devrait connaître une évolution quasi exponentielle, ce qui est impossible selon nombre de géologues. En outre, une ressource aussi « banale » que le bois est aujourd’hui en tension, tellement la demande mondiale est grandissante. Et pour cause : il faut bien faire face à l’aspiration légitime au développement de milliards d’êtres humains en Asie et en Afrique, ainsi qu’à la croissance démographique encore bien réelle.
Ces conséquences visibles et directes vécues par les citoyens – des étés caniculaires qui deviennent la norme, aux usines à l’arrêt faute de matières premières – rebattent les cartes dans les débats politiques. Beaucoup reviennent à la raison sur le nucléaire, par exemple, pour des questions évidentes d’indépendance énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique, mais aussi sur la nécessaire réindustrialisation de notre pays et la transformation en profondeur de nos habitats ou encore sur l’électrification massive de nos transports. On doit en effet maintenant résoudre des problèmes bien concrets, en tenant compte de leurs réalités trivialement physiques et de leurs ordres de grandeur. La crise est là pour nous le rappeler : chacun des graves problèmes évoqués ne laisse plus beaucoup de place ni de temps pour la démagogie ou le dilettantisme. Il faudra au contraire beaucoup d’intelligence, de persévérance et de savoir-faire pour y faire face : des ingénieurs, des ouvriers, des techniciens et des chercheurs, tous formés. À l’image de la crise de la covid-19, qui nous a rappelé que le personnel médical, le système hospitalier et la production de médicaments sont vitaux pour notre société.
Les forces politiques de gauche devraient anticiper ce changement dans l’opinion, ce retour en grâce de la réalité, et renouer avec une ambition de progrès, avancer des propositions réalistes nourries par des expertises scientifiques sérieuses et élaborées en collaboration avec les acteurs du monde du travail.
Bien sûr il s’agira aussi de dépasser le capitalisme, car tous ces problèmes, autant de vrais défis, ne pourront être résolus sans une vaste planification de long terme, sans renforcer les services publics, sans redéfinir les critères de financement des banques et les nouveaux pouvoirs à attribuer aux salariés dans les entreprises, salariés dont il faudra sécuriser effectivement leurs parcours professionnels pour qu’ils puissent se former aux nouveaux métiers. Mais, insistons sur ce point : relever le défi politique que constitue le dépassement du capitalisme est une condition nécessaire, mais loin d’être suffisante; l’effort industriel et scientifique sans précédent à fournir reste entier et est en soi une difficulté à part entière, qu’on ne saurait sous-estimer si on ne veut pas aller au-devant de graves déconvenues. Dans le débat présidentiel sur tous ces sujets, c’est la démarche du candidat du PCF, Fabien Roussel, qui retient notre attention : il est un des rares à gauche à renouer avec le respect de l’expertise scientifique et l’écoute du monde du travail. Gageons qu’il annonce par cette démarche une période politique nouvelle!
Article paru dans le numéro 33 de progressistes (juillet-aout-septembre 2021)
Une réflexion sur “Crises environnementales : un défi politique, industriel et scientifique, Amar Bellal*”