Dans l’article présentant Mikaïl Botvinnik nous évoquions une de ses réactions à la fin de sa vie : comme un conférencier expliquait que les échecs étaient devenus, n’en déplaise au Patriarche, un jeu dominé par l’argent, devant la sidération de l’assistance, la réponse du grand maître fut, comme souvent, inattendue : « Continuez jeune homme, ça m’amuse ! »
*Taylan Coskun est membre du comité de rédaction de Progressistes.
Un grand cirque médiatique secoue le monde des échecs depuis le 6 septembre 2022, date à laquelle Magnus Carlsen a brusquement quitté le tournoi de Sinquefield, après avoir renoncé, en juillet, à défendre son titre de champion du monde. Par un tweet savamment rédigé, il a laissé planer un doute sur le fait que le jeune joueur états-unien Hans Niemann (dix-neuf ans), qui venait de le battre devant l’échiquier et dans un style brillant, aurait pu tricher en bénéficiant par quelques moyens aussi sophistiqués qu’obscurs de l’aide d’un ordinateur.

LE COUP DU « QUI PERD GAGNE »
Trait aux Noirs. Trouvez le trop brillant coup joué par Hans Niemann, un coup qui semble tout droit sorti d’un ordinateur et qui a lui permis de battre Carlsen sur l’échiquier et a offert à ce dernier l’opportunité de gagner aux affaires !
Depuis, l’affaire fait les choux gras de la presse et divise le monde échiquéen en deux camps. Carlsen a distillé les accusations de triche par des interventions de super grands maîtres qui le soutiennent, comme l’États-Unien Hikaru Nakamura.
Il a enfin publié une lettre adressée à la « chère communauté échiquéenne » dans laquelle il a précisé ses accusations. Il s’appuie manifestement sur les rapports de Chess.com, la plus grande plate-forme de jeu en ligne, qui a constaté plusieurs cas de triche par assistance numérique de la part de Niemann dans des tournois organisés en ligne, pour certains dotés de prix en dollars. Dans sa correspondance avec Chess.com, rendue publique par la plate-forme, le jeune joueur a reconnu d’ailleurs avoir triché. Mais ces éléments qui datent de quelque temps ne sont devenus publics qu’à la suite de l’acte d’accusation de Carlsen. Dans cette affaire, un aspect semble échapper aux commentateurs, même les plus avisés. Un élément de contexte indispensable qui peut éclairer non seulement le comportement de Carlsen à cette occasion, mais aussi sa décision de renoncer à défendre son titre mondial et sa volonté d’être le premier joueur de l’histoire à dépasser la barre des 2 900 points Elo. En effet, Carlsen est en négociation avec Chess.com depuis un peu plus d’un an pour « céder » à cette plate-forme sa société Play Magnus pour 80 millions de dollars. Le cours de son groupe, coté en Bourse, a perdu en un an la moitié de sa valeur. Une OPA « amicale » a été officiellement lancée le 24 août dernier par Chess.com. Cette opération, qui devait prendre quatre à six semaines à l’heure où ces lignes sont rédigées, n’est toujours pas finalisée.
Face à cette ténébreuse affaire, en bon communiste, le Patriarche aurait pu poser quelques questions et émettre une hypothèse : À qui profite ce scandale qui intervient en plein milieu des négociations entre les deux groupes et révélant les triches réalisées sur la plate-forme de Chess.com ? À la plate-forme acheteuses en situation de force et qui doit maintenant s’expliquer sur sa fiabilité ou à Magnus Carlsen qui est vendeur d’un groupe affaibli et qui est à l’initiative de l’affaire ?
Le champion français Maxime Vachier-La grave le dit : « La triche est une menace existentielle pour les échecs », parce qu’elle repousse les investisseurs et refroidit les joueurs, notamment ceux qui se sont convertis en grand nombre au jeu en ligne à cause de la pandémie et à la série inspirante le Jeu de la Dame. À qui profiterait cette désaffection dans cette négociation ? À Chess.com dont la survie dépend de celle du jeu ou à Magnus Carlsen qui a renoncé à défendre son titre en déclarant en juillet : « Je ne suis pas motivé pour jouer un autre match. Je sens simplement que je n’ai pas grand-chose à gagner de plus » ?
Ces questions permettent donc d’émettre une hypothèse : derrière l’affaire de la triche, il y a peut-être une affaire de gros sous. Derrière le jeu, il y a peut-être un méta-jeu dont les conséquences peuvent être fatales aux échecs. Qu’il ait triché ou pas, Hans Niemann n’est peut-être qu’un pion sur l’échiquier de Magnus Carlsen, qui joue peut-être à un autre jeu, le « qui perd gagne » : perdre aux échecs pour gagner dans les affaires. En bon joueur, il procède à quelques sacrifices pour prendre l’initiative. Et, de surcroît, si l’opération réussit on parlera de lui comme le dernier « vrai » champion du monde d’un jeu en perdition. Les champions qui viendront après lui seront tous soupçonnés d’être potentiellement des tricheurs.
Il n’est pas interdit de penser d’ailleurs que ce que Magnus Carlsen gagnera dans les affaires il l’investira ailleurs que dans le secteur des échecs qu’il aura ainsi contribué à ruiner. Peut-être le Patriarche aurait vu un intérêt dans cette ruine pour sortir les échecs de la domination de l’argent et des logiques capitalistes ! Et il aurait dit de nouveau : « Continuez jeune homme ça m’amuse ! »
Une réflexion sur “De la triche et de son usage : qui perd gagne ! Taylan Coskun*”