Une crise devenue sujet d’actualité pour l’opinion publique… Pour les chercheurs dans ce domaine, l’alerte est lancée depuis plus de deux décennies. Les scientifiques s’inquiètent, car le dérèglement climatique bouleverse les équilibres des écosystèmes, menaçant la biodiversité actuelle.
Par Alain Pagano, chercheur en écologie et enseignant à l’université d’Angers
Article paru dans le numéro 34-35 de progressistes (octobre 2021-mars 2022)
Cette crise se caractérise par de nombreuses extinctions d’espèces, et à une vitesse très rapide. À tel point que nombre de chercheurs parlent de la sixième crise d’extinction, rappelant ainsi les cinq crises précédentes d’extinction qu’a vécues la planète, dont la plus souvent évoquée est celle qui a vu la disparition des dinosaures, et la plus sérieuse aussi : elle a, estime-t-on, fait disparaître plus de 90 % des espèces qui vivaient à cette époque-là.
Alors, pourquoi ces extinctions ? Pourquoi ces crises ? Comme souvent en matière d’écologie, les causes sont multiples et la plupart du temps liées. Dans le cas des cinq premières crises d’extinction, elles sont liées à des bouleversements « naturels » survenus sur la planète ; mais dans le cas de la crise actuelle les conséquences de l’activité humaine sont pointées du doigt.
On considère en effet que les atteintes à la biodiversité sont dues à l’effet des cinq facteurs directs de pression : les changements d’usage des terres (par exemple la déforestation), la surexploitation des ressources (comme la surpêche), les pollutions, les espèces exotiques envahissantes qui perturbent les équilibres écologiques et, enfin, le changement climatique.
Le changement climatique n’affecte en effet pas que les humains ; d’une manière plus globale, il affecte les écosystèmes. La hausse du niveau de la mer contribue à la destruction des habitats côtiers, et donc des espèces qui les occupent. La hausse des températures contribue à la mort des récifs coralliens (on parle alors, pudiquement, de « blanchiment »). Or les coraux sont à la base de réseaux trophiques, ce qu’on appelait naguère « chaînes alimentaires » : ils servent d’habitat à de nombreuses espèces qui y trouvent leur alimentation, et ces espèces disparaissent avec eux. C’est ce qu’on appelle les effets cascades : l’extinction d’une espèce peut entraîner celle d’autres espèces. On comprend dès lors que le changement climatique est un facteur aggravant de la disparition d’espèces.
Le CO2, gaz à effet de serre important, émis par les humains et qui contribue au changement climatique peut être absorbé par les océans. Cela peut apparaître comme une bonne nouvelle du point de vue du climat. Hélas ! cette importante capacité d’absorption n’est pas suffisante eu égard aux quantités, ce qui contribue à l’acidification des océans. Ce dernier élément pourrait menacer fortement la biodiversité marine. En effet, l’acide dissout le calcaire qui constitue la coquille des coquillages, ce qui pourrait provoquer leur disparition… avec tous les bouleversements en termes de ressources alimentaires que cela pourra générer pour des poissons, des crabes…, et donc pour nos propres ressources alimentaires. Voilà un autre exemple d’effet cascade.
Le dérèglement climatique modifie aussi la rythmicité des précipitations, provoquant en tel ou tel endroit des sécheresses mortelles pour les espèces aquatiques et/ou terrestres. La fonte des glaces menace les équilibres écosystémiques des espèces polaires, et donc leur survie, comme l’ont documenté des films sur l’ours polaire, cas emblématique bien que exemple isolé.
La hausse des températures modifie la phénologie (le calendrier biologique) d’un certain nombre d’espèces : les oiseaux migrateurs peuvent arriver plus tôt, la végétation repartir plus précocement – et en même temps souffrir plus fortement des épisodes de gels tardifs. Le problème de cette modification est que toutes les espèces ne changent pas de manière synchronisée, d’où des problèmes potentiels de ressources alimentaires entre plantes, herbivores et prédateurs…, et donc de la mortalité.
Le réchauffement climatique a des effets plus inattendus sur la biodiversité. En effet, a été mis au jour un phénomène qui concerne certaines espèces de reptiles pour lesquelles la température influe sur la détermination du sexe. Ainsi, des œufs de tortue incubés à des températures plus élevées vont donner naissance à une descendance 100 % femelle. Dans une variation climatique normale, il y a des années froides et des années chaudes, ce qui a pour conséquence une proportion équilibrée des deux sexes. On comprend le problème pour les reptiles si toutes les années sont chaudes : il manquera de partenaires sexuels mâles pour perpétuer l’espèce. Le changement de température consécutif à l’impact météoritique de l’ère secondaire est d’ailleurs l’une des hypothèses invoquées dans la disparition des dinosaures. Cette référence permet de mesurer l’impact potentiel que pourrait avoir la disparition des reptiles à détermination sexuelle dépendante de la température.
Voilà d’autres exemples des risques d’extinction que pourraient subir les espèces en lien avec le changement climatique. Celui-ci est donc une menace directe pour de nombreuses espèces et une menace indirecte pour de nombreuses autres, par effet cascade.
Les effets négatifs seront d’autant plus amples que le réchauffement sera important. Si nous réussissons à plafonner le réchauffement à + 1,5 °C, valeur recommandée par le GIEC, la biodiversité souffrira. Mais il convient de savoir que si nous passons à + 2 °C, soit 0,5 °C de plus, la mortalité de certains groupes d’espèces pourrait doubler ! Pour un demi-degré ! Un demi-degré, un petit pas (qui nous paraît faiblement ressenti) pour l’homme, un grand pas pour la mortalité (des espèces).
Je termine cet article en disant qu’il serait présomptueux de considérer que l’humain est hors de danger dans cette crise de la biodiversité. C’est une des raisons qui doit nous motiver à dénoncer les marchands de désespoir qui disent, faussement, qu’il est trop tard pour agir contre le réchauffement climatique. Il faut dire au contraire qu’il est encore temps d’agir, qu’il existe des solutions, et faire percevoir ces solutions.
À nous tous de mobiliser pour une écologie des solutions.
