Le 6e rapport du groupe de travail II sur les vulnérabilités et l’adaptation alerte une nouvelle fois sur les graves conséquences du changement climatique. L’occasion de faire le point sur les principales conclusions.
Par Serge Vidal, ancien ingénieur-chercheur à EDF, est membre du comité de rédaction de Progressistes.
Article paru dans le numéro 34-35 de progressistes (octobre 2021-mars 2022)
DES EFFETS DÉJÀ CONSTATÉS
Les experts de ce groupe évaluent le niveau d’atteintes à l’environnement et aux sociétés humaines déjà provoquées par l’évolution du climat (+ 1,09 °C par rapport à 1850-1900)1 et induisent ce qu’il adviendra si la température mondiale moyenne dépasse + 1,5 °C. Ils constatent que chaque demi-degré supplémentaire aggrave les conséquences en fonction de la vulnérabilité des écosystèmes et des sociétés humaines ainsi que de l’anticipation, ou non, de l’adaptation à cette évolution. Bref, la dégradation de la biodiversité, les dommages et la transformation d’écosystèmes sont déjà intervenus en raison du réchauffement passé, et les risques s’intensifieront à chaque nouvelle augmentation.
D’ores est déjà, la moitié des espèces recensées dans le monde se sont déplacées vers les pôles ou vers des altitudes plus élevées. D’autres impacts deviennent irréversibles, tels que les changements hydrologiques induits par le retrait des glaciers et l’atteinte aux écosystèmes arctiques du fait du dégel du pergélisol. Le réchauffement et l’acidification des océans ont eu des effets négatifs sur la production alimentaire issue de la conchyliculture et de la pêche.
Les événements météorologiques extrêmes ont exposé des millions de personnes à une insécurité alimentaire aiguë et réduit la sécurité de leur accès à l’eau. Cela a augmenté la malnutrition pour certains peuples autochtones, de petits producteurs alimentaires et des ménages à faible revenu. À moyen terme, un niveau de + 2 °C ou plus aggraverait la malnutrition en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud, en Amérique centrale et en Amérique du Sud et dans les petites îles.
L’augmentation des extrêmes météorologiques a entraîné la mortalité des arbres liée à la sècheresse, les superficies brûlées par les incendies de forêt, ou encore l’acidification des océans, des impacts irréversibles pour les coraux, l’élévation du niveau de la mer, la diminution régionale de précipitations.
Les systèmes de transport, d’eau, d’assainissement et d’énergie ont eu des pertes économiques et des interruptions de services.
Dans toutes les régions, les épisodes de chaleur accablante ont entraîné une mortalité et une morbidité humaines supplémentaires. La fréquence des maladies d’origine alimentaire et hydrique liées au climat a augmenté. Des maladies animales et humaines, y compris des zoonoses, font leur apparition dans de nouvelles régions. Certains problèmes de santé mentale sont associés à l’augmentation des températures. Une exposition accrue à la fumée de feux
de forêt, à la poussière et aux aéroallergènes est associée à une détresse cardio-vasculaire et respiratoire sensible au climat.

ANALYSE DES RISQUES CLÉS
Ont été identifiés 127 risques clés (RKR en anglais) et rapprochés des 17 objectifs du développement durable (ODD) définis par l’ONU. Leurs impacts évalués à moyen et à long terme sont annoncés comme plusieurs fois plus élevés que ceux actuellement observés.
Cette analyse aboutit à cinq motifs de préoccupation (désignés par le sigle anglais RFC) :
RFC1. Les systèmes naturels et humains géographiquement délimités avec un endémisme élevé (récifs coralliens, Arctique et peuples autochtones, glaciers de montagne et points chauds de la biodiversité).
RFC2. Les événements météorologiques extrêmes avec impacts sur la santé humaine, les moyens de subsistance, les actifs et les écosystèmes (vagues de chaleur, fortes pluies, sècheresse et incendies de forêt associés, inondations côtières).
RFC3. Les impacts qui affectent de manière disproportionnée certains groupes en raison des aléas physiques, de leur exposition ou encore de leur vulnérabilité.
RFC4. Les impacts mondiaux, tels que les dommages monétaires, les vies affectées, les espèces perdues ou la dégradation des écosystèmes.
RFC5. Les événements singuliers à grande échelle, brusques et parfois irréversibles, tels que la désintégration de la calotte glaciaire ou le ralentissement de la circulation thermohaline (océanique).

Comme on peut le voir sur le graphique ci-après, les impacts de la montée des températures autour de 1,5 °C sont déjà élevés pour les zones fragiles (RFC1) et le deviendraient autour de + 2 °C vis-à-vis des événements extrêmes (RFC2), et à partir de + 3 °C pour les disparités régionales (RFC3), les effets mondiaux (RFC4) et les basculements (RFC5). À + 5 °C de température, tous les motifs de préoccupation (RFC) se trouvent en zone de risque très élevé(2).

Ce groupe d’experts analyse les stratégies d’adaptation adoptées pour que les systèmes naturels et humains puissent faire face aux modifications climatiques, et étudie les limites de ces actions. Si ces experts considèrent qu’il est encore temps pour réduire l’impact du changement climatique, voire pour rendre le monde résilient, par l’atténuation des émissions et l’adaptation, ils indiquent que la « fenêtre d’opportunité se rétrécit rapidement »(3).
DE GROS IMPACTS PRÉVUS
Selon les experts, 3 à 14 % des espèces évaluées4 seront probablement confrontées à un risque très élevé d’extinction à des niveaux de réchauffement de 1,5 °C, augmentant jusqu’à 3 à 18 % pour + 2 °C, 3 à 29 % pour + 3 °C, 3 à 39 % pour + 4 °C et 3 à 48 % pour + 5 °C.
D’ici à 2100, la valeur des actifs mondiaux dans les plaines inondables côtières devrait se situer entre 79 000 et 127 000 milliards de dollars de 2011, dans la plage de température + 1,8 à + 3,3 °C, passant à entre 8,8 et 14,2 billions pour la plage + 3 °C à + 6,2 °C.
L’évolution de la population dans les villes de faible altitude et dans les petites îles conduira à ceci qu’environ un milliard de personnes seront menacées par les aléas climatiques spécifiques aux côtes. La population potentiellement exposée à une inondation côtière centenaire devrait augmenter d’environ 20 % si le niveau de la mer augmente de 0,15 m par rapport à 2020 ; cette population double avec + 0,75 m et triple avec + 1,40 m, ce sans changement de population ni adaptation supplémentaire.
Avec un réchauffement climatique de 4 °C, environ 10 % de la superficie terrestre mondiale devrait faire face à des débits fluviaux extrêmes, hauts et bas, avec des implications pour l’utilisation de l’eau.
À des niveaux de réchauffement progressifs, des migrations involontaires à partir de régions à forte exposition et à faible capacité d’adaptation se produiraient. L’adaptation réduit les déplacements liés au climat et les migrations involontaires.
DES EFFETS INÉGALEMENT RÉPARTIS
Les crises humanitaires interviennent quand les aléas climatiques interagissent avec des situations de vulnérabilité élevée. Il y a de fortes disparités géographiques dans l’impact du changement climatique ainsi que pour ce qui est des adaptations mises en œuvre. Les régions confrontées à de fortes contraintes de développement sont les plus vulnérables, et les écarts d’adaptation les plus importants concernent les populations à faible revenu. A contrario, les gains les plus importants en matière de bien-être pour l’humanité peuvent être obtenus en donnant la priorité des financements à la sécurisation des résidents à faible revenu et marginalisés, y compris les personnes vivant dans des établissements informels.
La perte d’écosystèmes a des effets en cascade et à long terme sur les communautés locales qui en dépendent pour leurs besoins fondamentaux. Les points chauds mondiaux de forte vulnérabilité se trouvent en Afrique de l’Ouest, centrale et de l’Est, en Asie du Sud, en Amérique centrale et du Sud, dans les petits États insulaires et dans l’Arctique. La vulnérabilité est plus élevée dans les endroits de pauvreté, connaissant des problèmes de gouvernance et un accès limité aux services et ressources de base, pâtissant de conflits et comptant beaucoup sur des moyens de subsistance sensibles au climat.
Entre 2010 et 2020, la mortalité humaine due aux inondations, aux sècheresses et aux tempêtes a été 15 fois plus élevée dans les régions très vulnérables.
La vulnérabilité des écosystèmes et des populations diffère considérablement d’une région à l’autre, en raison de modèles de développement socioéconomique, de l’utilisation non durable des océans et des terres, des inégalités au sein des populations, de la marginalisation. Environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes très vulnérables au changement climatique.
Le groupe d’experts note que « les filets de sécurité sociale qui soutiennent l’adaptation au changement climatique ont d’importants co-avantages avec les objectifs de développement tels que l’éducation, la réduction de la pauvreté, l’inclusion des femmes et la sécurité alimentaire ».
VULNÉRABILITÉ
Le groupe d’experts note que les facteurs non climatiques sont les principaux moteurs des conflits violents intraétatiques existants et estiment que ces conflits et, séparément, les schémas migratoires seront à court terme davantage motivés par les conditions socioéconomiques et la gouvernance que par le changement climatique. Toutefois, les conditions climatiques extrêmes ont des impacts socioéconomiques au-delà des frontières nationales par le biais des chaînes d’approvisionnement, des marchés et des flux de ressources naturelles, avec des risques transfrontaliers croissants dans les secteurs de l’eau, de l’énergie et de l’alimentation. Il en va de même pour la redistribution des ressources halieutiques.

DES ACTIONS PARFOIS MAL CALIBRÉES
La restauration des forêts naturelles et des tourbières ainsi que l’amélioration de la durabilité des forêts contribuent à la résilience des stocks et des puits de carbone. Toutefois, le groupe constate aussi des effets négatifs de certaines mesures d’atténuation lorsqu’elles sont mal mises en œuvre, comme le boisement des prairies, des savanes et des tourbières et les cultures bioénergétiques à grande échelle.
L’utilisation non durable des ressources naturelles, la fragmentation des habitats et les dommages causés aux écosystèmes par les polluants augmentent la vulnérabilité des écosystèmes. Idem pour l’expansion agricole non durable, due en partie à des régimes alimentaires déséquilibrés, qui conduit notamment à une concurrence pour les terres et/ou les ressources en eau.
PLANIFIER ET FINANCER
Dans tous les cas, une planification de l’adaptation sur le long terme est indispensable. Sa mise en œuvre peut nécessiter d’importants investissements initiaux en ressources humaines, financières et technologiques. Le développement résilient au climat ne sera rendu possible que par une coopération internationale accrue, y compris pour l’accès au financement, en particulier pour les régions vulnérables.
La prise de conscience publique et politique croissante des impacts et des risques climatiques a conduit au moins 170 pays à inclure l’adaptation dans leurs politiques climatiques et leurs processus de planification. Mais le compte n’y est toujours pas.
1. Établi par le groupe de travail 1, dont le rapport a été publié en août 2021.
2. Cinq scénarios socioéconomiques partagés (SSP1-1.9 ; SSP1-2.6 ; SSP2-4.5 ; SSP3-7.0 ; SSP5-8.5) ont été définis par le groupe de travail 1 à partir des niveaux d’émission de gaz à effet de serre.
3. Un rapport du groupe de travail 3 sur les stratégies d’atténuation a été publié en avril 2022.
4. Plusieurs dizaines de milliers d’espèces évaluées.
Une réflexion sur “Que retenir du rapport du groupe de travail 2 du GIEC ?”