Énergies marines renouvelables (EMR), Philippe Lepage*

Les énergies renouvelables entre mythes et réalité… Qu’en est-il du gisement d’énergie des courants et des vents en mers ?

*Philippe Lepage est ingénieur

L’EMR hydrolienne

Une hydrolienne est une sorte d’éolienne subaquatique dont les pales sont mises en mouvement par les courants marins. Les machines les plus puissantes ont vocation à être immergées par 30 à 40 m de fond dans des zones à forts courants (supérieurs à 4 ou 5 nœuds, ou 7 à 10 km/h). À la différence des vents, les courants marins sont prévisibles à long terme : courant de marée sinusoïdale, amplitude connue et variables dues à l’influence de la Lune. Lors du retournement de ce courant, les hydroliennes ne produisent pas d’énergie tant que la force du courant n’atteint pas à nouveau 2,5 nœuds (près de 4,6 km/h) : elles passent à pleine puissance au-delà de 4 nœuds (près de 7,4 km/h).

Une hydrolienne du parc de Paimpol-Bréhat en mai 2016, abandonnée depuis cette date. Faible production, coûts de
maintenance consécutifs à la corrosion marine (sel, algues, coquillages), rareté des sites compatibles avec les activités marines humaines (pêche, navigation, etc.), contraintes environnementales ont eu raison de cette filière
Les acteurs de l'hydrolien
MCT, à Belfast, pour des hydroliennes d’estuaires. OpenHydro-Naval Group, qui a développé deux hydroliennes sur le parc démonstrateur d’EDF de Paimpol-Bréhat, en baie de Saint-Brieuc; elles ont été sorties de l’eau en 2017. Alstom Hydro, qui a acquis la société Tidal Generation Ltd. en 2013. Sabella, une PME bretonne fondé à Quimper en 2008, a immergé en juin 2015 une hydrolienne au large de l’île d’Ouessant (Finistère). C’est la seule à produire de l’électricité en France à l’heure actuelle. Il existe d’autres acteurs en Europe, SIMEC Atlantis, HydroQuest ou Scotrenewables Tidal Power.

Le bilan annuel global d’une hydrolienne, exprimé en heures de fonctionnement à pleine puissance, est de l’ordre de 4 000 à 5 000 h, soit de 11 à 14 h par jour. Le facteur de charge [1]Facteur de charge : rapport entre le nombre d’heures de fonctionnement en équivalent pleine puissance et le nombre d’heures de fonctionnement théorique dans l’année (8760 heures). des hydroliennes atteint donc 46 à 57 %, à comparer aux 30 à 35 % moyens de l’éolien offshore.

La récupération de l’énergie hydraulique existe depuis longtemps : barrages hydrauliques, STEP (stations de transfert d’énergie par pompage) ou usines marémotrices. Le gisement d’énergie des courants marins qui pourrait être exploité partout dans le monde est immense, on parle de 100 à 150 GW entre l’hydrolien fluvial, estuarien et marin…

En France, l’enthousiasme de mai 2016 après plusieurs mois d’essais des équipes de Naval Énergies (ex-DCNS) et sa filiale OpenHydro annonçait le déploiement de futures hydroliennes françaises dans différents endroits du monde. L’intérêt économique des hydroliennes ne pouvait être évalué qu’après un retour d’expérience sur une période suffisante… qui a déjà pris fin! Les coûts de maintenance consécutifs à la corrosion marine (sel, algues, coquillages), la rareté des sites compatibles avec les activités marines humaines (pêche, navigation, etc.), les contraintes environnementales semblent avoir eu raison de cette filière.

Comment expliquer ce fiasco ? L’implacable loi du marché – l’absence de demande pour des hydroliennes, insuffisamment soutenues par l’État malgré l’aide de la Banque publique d’investissement – les a enterrées (englouties plutôt). Pourtant, des commandes fermes avaient été signées par le Canada, le Japon et la France, qui prévoyait l’installation de 100 à 150 MW d’ici à 2028. L’usine de Cherbourg a donc fermé, à peine un mois après son inauguration, sans avoir produit une seule turbine.

EMR éolienne offshore

Une éolienne offshore est très similaire à une éolienne terrestre (le terme anglais offshore signifie littéralement « hors côtes », par opposition aux éoliennes terrestres, ou onshore) : elle fonctionne selon le même principe que les modèles terrestres traditionnels dont elle est issue. Elle doit être très robuste pour pouvoir résister aux conditions marines difficiles et à un facteur de charge beaucoup plus important que pour les éoliennes terrestres du fait des vents plus réguliers et plus soutenus. Le vent fait tourner des pales, généralement trois, celles-ci entraînent un générateur qui transforme l’énergie mécanique en énergie électrique, suivant le principe de la dynamo : l’énergie cinétique du vent est transformée en électricité. Les éoliennes sont aussi appelées « aérogénérateurs ».

La principale différence entre un modèle marin et un modèle terrestre tient à la profondeur du lieu d’implantation de la ferme éolienne. En Atlantique ou en mer du Nord, les côtes sont généralement en pente douce, ce qui autorise une implantation fixe, de type jacket (socle en acier posé au fond) ou monopieu). Ces fondations permettent la fixation dans le sol (monopieu) ou l’ancrage au fond de la mer (jacket) dans les zones où la profondeur ne dépasse pas 40 m. En Méditerranée et partout où les côtes sont abruptes et profondes, le choix se portera sur un nouveau type de fondations flottantes (en phase d’essai). Les projets farshore (« loin au large ») sont prévus, ils seront dotés de ces fondations flottantes aujourd’hui en phase de conception et dont un pilote fonctionne au large du Croisic (démonstrateur floatgen[2]Floatgen : https://www.ideoloffshore.com/fr/demonstrateur-floatgen ).

Les éoliennes offshore sont le plus souvent rassemblées dans un « parc éolien », ou « ferme éolienne », qui comporte jusqu’à 75 éoliennes de 8 MW de puissance unitaire, soit 600 MW de puissance totale installée, comme pour Dunkerque, le dernier monopieu français et le plus important à ce jour. À fin 2017, la profondeur moyenne des parcs éoliens en mer dans les eaux européennes était de 27,5 m, et en moyenne ils sont situés à 41 km des côtes. La technologie de l’éolien offshore a largement bénéficié des avancées technologiques récentes de l’éolien terrestre. C’est une des énergies renouvelables les plus matures, et à puissance égale une éolienne offshore peut produire jusqu’à 2 fois plus d’électricité qu’une éolienne terrestre.

Critique des coûts et subventions

L’éolien offshore est désormais une filière mature, mais faire croire qu’en France elle peut remplacer la totalité du parc de production électrique relève de l’utopie, comme cela a maintes fois été expliqué.

Les fortes réductions de coûts ces dernières années sont liées à la concentration des acteurs : les petits ont disparu, ceux qui étaient déjà dans la course se sont renforcés. Les économies d’échelle sont réalisées par la construction en Asie, sous licence, et les implantations européennes ne sont que des usines « clé à molette », d’assemblage. En France, le premier appel d’offres eut lieu en 2011, lançant le début de la filière, largement conditionné par les subventions attribuées aux porteurs de projets garantissant un prix de rachat dépassant parfois 200 €/MWh pendant vingt ans ! Ces subventions ont été financées par la CSPE (contribution au service public de l’électricité), remplacée en 2016 par la TICFE (taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité), prélèvement fiscal sur la facture d’électricité en France crée en 2000, et s’élèvent à environ 8,4 Md€ aujourd’hui pour l’ensemble des énergies subventionnées. (Il est à noter que la CSPE a fait un bond de 650 % entre 2002 et 2019 !)

Le seul effet bénéfique du retard pris par les parcs éoliens français – aujourd’hui aucune éolienne offshore, excepté le prototype au large du Croisic, n’est reliée au réseau de transport RTE – est qu’il a permis au gouvernement de renégocier les tarifs de rachat 40 % moins cher… Lors de l’attribution du dernier parc français de Dunkerque, en 2019, le montant de rachat garanti a été de 44 €/MWh, soit très près du tarif de ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique) : 42 €/MWh.

Présentation technique

Une éolienne offshore fonctionne à partir d’un vent de 2 Beaufort (environ 10 km/h, soit 3 m/s); elle atteint sa vitesse de croisière à 6 Beaufort (45 km/h, 12 m/s), mais elle doit être arrêtée à 11 Beaufort (110 km/h, 30 m/s). Selon WindEurope, les facteurs de charge des parcs éoliens offshore en Europe sont compris entre 29 % et 48 %. La taille des machines a considérablement évolué, et aujourd’hui nous avons affaire à de véritables monstres! Ces évolutions de leur taille ne sont pas sans poser des défis technologiques lors des phases de construction et de pose, et aussi pour les réseaux énergétiques. Ces sources de production sont intermittentes ou non pilotables, et la puissance totale du parc descend parfois à 4 % de la capacité installée, avec des variations qui peuvent être rapides. Par conséquent, en l’absence d’un foisonnement suffisant de ces installations de renouvelables, il faut prévoir des alternatives aux pénuries qui interviennent par périodes soit de grands froids, soit de canicule ou lorsque l’ensemble de l’Europe de l’Ouest est affecté par des anticyclones durant plusieurs semaines, qui conduisent à des productions faibles ou quasi inexistantes. Il faut alors mobiliser des sources de production « pilotables » hydraulique, nucléaire, centrales à gaz, fioul ou charbon, et évidemment le prix de l’électricité offshore en euros par mégawattheure n’a alors plus rien à voir avec celui évoqué par ses promoteurs…

Maturité technique et économique

Le premier parc éolien offshore français (Saint-Nazaire) est seulement en train de naître après de multiples recours administratifs et devrait être achevé d’ici à 2022. L’usine GEE Renewable (ex-Alstom), qui assemble les ma – chines, est implantée depuis 2014 dans l’estuaire de la Loire et n’emploie pour l’essentiel que des intérimaires, car les carnets de commandes sont très variables. Les bases littorales pour effectuer la maintenance et construire certains composants, comme les pales ou les jackets, sont en cours de création et de mutualisation pour l’ensemble des projets français. Il reste cependant à transformer l’essai en une véritable industrie, ce qui est encore loin d’être le cas…

Plan de raccordement du parc éolien de Saint-Nazaire.

Le foisonnement de la production d’électricité éolienne, en France comme dans le reste de l’Europe d’ailleurs, est et restera encore longtemps un mythe des énergies renouvelables « coûte que coûte » propagé par les affairistes du vent, des libéraux, des politiciens peu soucieux des deniers publics et dénués d’une vision à long terme. Nous devrions tirer les enseignements des erreurs commises par nos voisins, mais cela n’en prend pas le chemin… L’Allemagne, par exemple, a investi dans les ENR 30 Md€ pendant les dix dernières années, soit 300 M€, elle a mis un terme à sa production nucléaire, produit l’essentiel de l’électricité à partir de charbon et est loin d’être autonome.

Les constructeurs et leurs parts de marché
MHI Vestas (Danemark), 20 %; Goldwind (Chine), 14 % Siemens Wind Power (Allemagne), qui a fusionné avec Gamesa (Espagne) en avril 2017, 12,5 % GEE (États-Unis), qui a absorbé Alstom (France), 10 % Envision (Chine), 8,5 %.
Les opérateurs
Le danois Ørsted (ex-Dong Energy) est le leader mondial de l’éolien en mer, l’allemand RWE (ex-E.ON Climate and Renewables), le suédois Vattenfall sont les principaux opérateurs de parcs éoliens offshore dans le monde.

Les Danois ont massivement investi via des subventions publiques dans l’éolien, dont ils sont devenus les leaders, mais lorsque leur énergie est excédentaire et sature le réseau ils l’exportent vers l’Allemagne et la Norvège à un coût marginal nul. A contrario, en période d’anticyclone, ils importent de leurs réseaux à un coût très élevé, puisque c’est de l’électricité de pointe ! L’Espagne a installé 20 GW d’éolien, mais elle a dû également installer 15 GW de centrales à gaz pour contrecarrer l’intermittence… En conclusion, il faut sortir du dogme et des décisions prises à la hâte pour faire plaisir à une opinion conquise par le « verdissement » et utiliser la plus efficiente solution au coût le mieux maîtrisé. Le calcul du coût doit être complet du puits à la roue, il permettra ainsi de redynamiser notre industrie.

Les renouvelables ne se valent pas toutes : on doit comprendre ce que l’on fait et pourquoi, car les investissements sont démentiels et il faut bien que quelqu’un paie la facture. Dit autrement, il y a un énorme besoin de pédagogie à transmettre à nos concitoyens, au-delà de tout parti pris. Il faut réfléchir à un mix énergétique raisonné et raisonnable, et revenir à une maîtrise publique et citoyenne pour éviter les erreurs et les dérives des vingt dernières années.

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Une réflexion sur “Énergies marines renouvelables (EMR), Philippe Lepage*

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