Dorian Mellot
Le site d’UPM Chappelle Darblay est une papeterie qui recycle le papier, notamment pour produire du papier journal. Le site emploie 228 salariés à Grand-Couronne près de Rouen. En septembre 2019, la mise en vente du site a été annoncée aux représentants du personnel dans le cadre de la stratégie financière du groupe finlandais propriétaire de l’usine alors même qu’il s’agit d’un site industriel stratégique, notamment pour mener la transition écologique. Une machine avait déjà été arrêtée en 2015 et conduit à la suppression d’environ 150 emplois, cette fois-ci la direction du groupe s’attaque à la liquidation de toute l’usine.
Un site industriel victime d’une stratégie financière
La crise du coronavirus a porté un coup dur à l’industrie papetière du fait du passage massif au télétravail et les abonnements aux journaux en ligne plutôt qu’en version papier. Mais face à cela il existe une hausse de la demande de papier, notamment pour les emballages et les produits à base de cellulose (biocarburants, production d’énergie, isolants thermiques, dans l’agroalimentaire, etc.).
Cela a accentué un phénomène plus structurel lié au développement du numérique et à la baisse des ventes de journaux papiers. Cela a notamment conduit à une hausse du prix d’achat du papier de 80% en 7 ans alors que le prix de vente stagne du fait de la concurrence. Le site pâtit également de la faillite du distributeur de presse Presstalis. C’est là un enjeu global qui montre la nécessité d’associer les différents secteurs de la filière papier afin de pouvoir planifier les besoins et les investissements nécessaires dans ce domaine.
Mais ce dont souffre essentiellement le site, c’est de la stratégie financière d’UPM. Le groupe ne tient pas à céder l’entreprise à un futur concurrent cependant qu’il prétend avoir contacté plus de 200 repreneurs potentiels. Rien d’étonnant pour un groupe qui en 2014 supprimait 160 emplois dans les Vosges en fermant une papeterie et qui avait alors saboté ses machines pour les revendre en pièces et non en entier afin d’éviter de « la retrouver ailleurs, et que sa production revienne en France inonder le marché » selon les mots du directeur.
Avec la fermeture de ce site, le groupe UPM se débarrasse de 228 salariés en France, mais met en péril un millier d’emplois indirects. Le centre de tri de l’agglomération de Rouen a, par exemple, déjà dû s’adapter. Pour le vice-président exécutif d’UPM, Winfrid Schaur, cette fermeture est ainsi justifiée :
« La demande de papier graphique en Europe est en baisse structurelle depuis plus de dix ans. Les plans annoncés sont une étape nécessaire pour assurer une production rentable sur les derniers actifs. » Autrement dit il s’agit de restaurer au sein du groupe une meilleure rentabilité de son capital malgré la demande croissante de papier recyclé.
Ce que nous dit ce dirigeant, c’est bien qu’il recherche un meilleur taux de profit sur le capital qu’il conserve, quitte à détruire du capital (fermeture d’une usine et licenciement collectif) même s’il dégage du profit, pour que le capital restant en dégage en encore plus. Dans une telle optique, on comprend bien que le groupe UPM n’a trouvé aucune offre de reprise « sérieuse » et qu’il n’en trouvera certainement pas.
Des solutions existent pourtant pour maintenir cette activité stratégique. Ainsi une commission industrielle a été composée en réunissant les acteurs concernés afin de valoriser le potentiel du site et faire émerger de nouvelles offres que celles rejetées par UPM. Un projet de Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) – qui regrouperaient les entreprises du recyclage, les éditeurs de presse, les fournisseurs de papier recyclé, les collectivités et les personnels – est également envisagé afin de préserver le site faute de repreneur.
Un enjeu pour la transition environnementale
La filière du recyclage a un rôle majeur à jouer dans le cadre de la transition environnementale. D’après l’ADEME, le taux de recyclage est passé de 46,7% en 2012 à 58,6% en 2018, pour une prévision de 68% à l’horizon 2022. Pour le papier plus précisément, ce sont 67% de matières recyclées qui occupent près de 12.000 salariés en France d’après Copacel.
Le recyclage du papier permet d’économiser 12 térawatt-heure, c’est-à-dire l’équivalent de la consommation d’énergie d’une ville comme Lille. Le recyclage du papier consomme en effet moins d’énergie que la fabrication du papier à partir du bois dont l’extraction de la cellulose qui sert de base à la fabrication de la pâte à papier nécessite des procédés plus énergivores. Il faut ainsi moins d’eau et les procédés de production dégagent environ 20 milliards de tonnes équivalent CO² en moins chaque année.
En ce qui concerne le site UPM Chapelle Darblay ce sont ainsi 350000 tonnes de papiers recyclés chaque année pour être à nouveau transformés en pâte à papier et produire du papier 100% recyclé. Celui-ci est destiné pour 30% au marché français pour le représente et 50% de la consommation française de papier journal. C’est donc un site essentiel pour permettre d’assurer une production de papier entièrement recyclé pour le pays.
Le site dispose enfin d’un emplacement stratégique. Proche de Rouen, l’usine Chapelle Darblay est raccordée à différents modes de transport pour ses produits et son approvisionnement, notamment le ferroviaire et le fluvial, qui représentent un enjeu central pour diminuer les émissions de CO² liées au transport. Jusque dans sa consommation d’énergie l’usine est avancée puisqu’elle est alimentée par une chaudière à bois à micro-cogénération qui est plus écologique d’une chaudière classique.