Vers un réchauffement climatique plus important que prévu d’après les dernières simulations

Par Jonathan Chenal, géodésien et doctorant en sciences du climat

Dans un article récente, le journal britannique The Guardian évoque la possibilité que le réchauffement climatique soit plus élevé qu’envisagé.

Sensibilité climatique

La métrique standard d’évaluation du réchauffement s’appelle la sensibilité climatique d’équilibre (ou sensibilité climatique) : c’est la température globale moyenne correspondant à un retour à l’équilibre après un doublement abrupt de la quantité de dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère. Alors que la concentration de CO2 à l’époque pré-industrielle était de l’ordre de 280 parties par millions (ppm), elle est aujourd’hui de 414 ppm. La sensibilité climatique est donc une température qui ne sera pas atteinte avant plusieurs siècles, à la fois parce que le doublement de la concentration de CO2 mettra un certain temps à être atteint, mais aussi parce que, le cas échéant, l’inertie du système climatique fait que, même en cas de stabilisation, la température continuera d’augmenter avant de se stabiliser.

La sensibilité climatique donne donc l’ordre de grandeur du réchauffement en cours, et est la métrique standard pour l’adaptation au changement climatique et l’anticipation de ses impacts. Si ce concept a été forgé par Arrhenius en 1986, la plage de valeurs possibles pour cette grandeur reste anormalement large : le dernier rapport du GIEC (2013) donne la même plage de valeur que le rapport Charney de 1979, à savoir de 1,5 à 4,5 degrés. Plus récemment, la dernière génération de modèles de climat participant au projet international CMIP6 donne des sensibilités plus élevées et avec une gamme de valeurs encore plus large : de 1,8 à 5,6 degrés. Si on examine les méthodes de calcul de la sensibilité climatique, il est frappant de constater que les modèles de climat en donnent les valeurs les plus hautes (supérieures à 2 degrés) et que les observations sur les dernières décennies en donnent les valeurs basses (inférieures à 4 degrés).

Le rôle important de la formation des nuages

Il apparaît donc assez clair que, si le réchauffement est indiscutable, son ampleur demeure une question encore non tranchée. Pour l’examiner, il faut revenir à la question fondamentale du bilan énergétique planétaire. Le climat trouve comme seule source d’énergie le rayonnement solaire ; à l’équilibre, la Terre renvoie vers l’espace la même quantité d’énergie que celle qu’elle reçoit. La différence entre les deux grandeurs s’appelle le déséquilibre énergétique planétaire. Il est par ailleurs égal au forçage radiatif lié aux agents forçants (les gaz à effet de serre qui réduisent la quantité de rayonnement infrarouge émis par la Terre vers l’espace, ou les aérosols qui, à l’inverse, contribuent à réfléchir le rayonnement incident), et à la réponse radiative de la Terre à ces forçages : la hausse de la température conduit à une élévation du rayonnement infrarouge émis par la surface, mais l’albédo diminue à cause de la fonte des glaces et calottes polaires, tandis, par exemple, que l’évaporation de vapeur d’eau (un autre gaz à effet de serre) augmente, avec des conséquences radiatives liées aux nuages demeurent encore complexes. Depuis plusieurs décennies, on estimait que la réponse radiative était proportionnelle à la température globale moyenne. Or il est apparu progressivement que des phénomènes radiatifs indépendants de la température globale moyenne avaient une influence suffisamment importante pour influer sur le bilan énergétique global ; ces phénomènes sont notamment liés à la variabilité de la formation de nuages bas dans les zones tropicales de l’est des bassins océaniques.

Une sensibilité climatique de 5 °C

C’est en en tenant compte que les modèles de climat évoqués dans l’article du Guardian mentionnent que la sensibilité climatique peut, de façon beaucoup plus crédible qu’auparavant, atteindre plus de 5 degrés ; parallèlement, les valeurs basses de la sensibilité climatiques, tant dans les modèles qu’avec les observations, sont progressivement écartées des valeurs envisageables. Pour valider de telles tendances, il faut disposer d’observations qui captent l’effet des nuages sur la température de surface et sur le déséquilibre énergétique planétaire. La convergence des estimations sur la sensibilité climatique permettra de calibrer au mieux la trajectoire des impacts du changement climatique, et des politiques publiques d’atténuation et d’adaptation du changement climatique. S’il se confirme que la sensibilité climatique excède 5 degrés, ce sont les conditions d’existence connues par l’humanité depuis le Néolithique qui en seraient radicalement rendues plus difficiles.

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