par Clément Chabanne
L’UGICT CGT a présenté ce 5 mai les résultats d’une enquête statistique inédite, à laquelle plus de 34 000 travailleurs et travailleuses ont répondu, qui permet au syndicat de porter des revendications en prise directe avec la réalité de l’ensemble des salariés. A travers 100 questions, les salariés ont fourni la matière première à une analyse menées par les statisticiens syndiqués de la DARES et de la DREES.
Des protections faibles ou inexistantes pour les salariés sur site
La situation actuelle des salariés en France se divise en gros en quatre quarts : le maintien du travail sur site (27%), le télétravail (25%), le chômage partiel (25%) et d’autres situations telles que des congés ou arrêts maladies (23%). C’était déjà connu. L’enquête de la CGT va bien plus loin et révèle le dessous de ces grandes catégories et le vécu des salariés. Sur site, nous retrouvons une majorité d’employés et d’ouvriers (61%), souvent en contact avec le public ou avec de nombreux collègues. Ils sont donc soumis à plus de facteurs de risques. Les facteurs de risques sont encore pus présents dans les métiers majoritairement occupés par des femmes. Face à ces facteurs de risques, les mesures de sécurité ont été perçues par les salariés comme largement insuffisantes. Que ce soit sur la mise à disposition de masques et de gants, sur les mesures de distance physique ou pour les alternatives aux transports en commun, une proportion énorme de salariés s’est sentie en danger et mal protégée. Les salariés sur site étaient pourtant 13 % à être des personnes vulnérables et 26 % à cohabiter avec des personnes vulnérables. Outre les mesures de protection au travail, de nombreux cas auraient pu être évités. Parmi les salariés qui continuent à travailler sur site, 30 % ne considèrent pas que leur activité est essentielle, et 10 % auraient pu l’effectuer en télétravail. Face à cette situation, les morts de travailleurs apparaissent comme des crimes du gouvernement et du patronat.
Des conditions de télétravail dégradées et favorables aux risques psycho-sociaux
Concernant les 25 % de salariés en télétravail, ils ont subis des conditions très dégradées et une charge de travail beaucoup plus importante. Pour un tiers d’entre eux, le matériel nécessaire n’a pas été fourni par l’employeur, 80 % n’ont pas droit à la déconnexion et 97 % n’ont pas un poste de travail ergonomique, ce qui n’est certainement pas pour rien dans le fait que la moitié de ces travailleurs se plaint de douleurs physiques. Pour un quart d’entre eux, le poste de travail n’est pas calme et isolé. Là aussi, les inégalités femmes-hommes se font jour, puisque les femmes sont majoritaires dans le tiers de salariés en télétravail qui doivent en même temps garder les enfants. La fermeture des écoles s’est traduite par une augmentation de plus de 4h des tâches domestiques pour 43 % des femmes. Les femmes en télétravail ont également subi une augmentation plus forte de la charge de travail que les hommes (36 % contre 29%). Cette augmentation massive de la charge de travail a également largement concerné les métiers de l’encadrement (40%). Tout cela participe à un environnement de travail qui augmente les risques psychosociaux : 35 % des télétravailleurs souffrent d’une anxiété inhabituelle.
Des salariés, un encadrement et des élus du personnel qui ont conscience des risques
Ces conditions constatées par les salariés sur le terrain sont confirmées par la majorité des cadres ayant répondu à l’enquête. 55 % d’entre eux considèrent que la poursuite de l’activité de leur entreprise en présentiel constitue un risque de contamination pour les salariés et la population. 30 % affirment que les activités en présentiel auraient pu être plus limitées et que s’ils avaient eu un droit d’alerte, de refus et de proposition alternative relatif à la situation sanitaire ou aux normes professionnelles, ils l’auraient exercé dès le début de la crise !
Dans un autre registre, l’enquête met en avant le rôle fondamental des élus et représentants du personnel pour la protection des salariés, malgré le peu de moyens à leur disposition. Elle appelle donc à renforcer leur pouvoir, ainsi qu’à conquérir des droits d’alerte et de propositions pour l’ensemble des travailleurs.
Les salariés ont déjà payé la crise
Toute l’enquête le révèle, la poursuite du travail, que ce soit sur site ou en télétravail s’est faite aux dépends de la santé des salariés. Si certains salariés étaient effectivement indispensable, la continuation du travail pour les autres ne répondait qu’à des exigences de rentabilité. Et pour la majorité des salariés qui ont continué le travail, les mesures de protection ont été insuffisantes. Le monde du travail a donc déjà commencé à payer la crise. C’est d’autant plus vrai que les attaques se sont multipliées. 55 % des cadres ont perdu des jours de RTT pendant la crise sanitaire, 57 % des salariés en chômage partiel ont perdu des revenus. Un tiers des salariés du privé considère que leur emploi est menacé. Le monde du travail a largement payé sa part de la crise !
Des propositions pour un déconfinement qui assure la sécurité de toutes et tous
L’enquête syndicale aboutit évidemment à la formulation de revendications qui correspondent aux intérêts des salariés, et pour lesquels l’affrontement avec le patronat sera souvent inévitable. Selon l’enquête, il faut imposer dès maintenant des négociations sur le télétravail dans toutes les entreprises qui y ont recours, pour garantir la prise en charge des frais de matériel et de connexion par l’employeur, mais aussi assurer le droit à la déconnexion, la fin de l’utilisation du télétravail pour imposer des charges de travail supplémentaires. Il s’agit également de prévenir les violences domestiques, puisque preuve est faite que le télétravail les a fait augmenter. Tous les parents d’enfants de moins de 16 ans doivent obtenir un arrêt de travail, y compris les parents en télétravail.
Il est également avancé la revendication d’un droit d’alerte suspensif, d’information et d’alternative pour l’encadrement, ainsi que le renforcement des moyens des IRP et des syndicats. L’encadrement est aujourd’hui invité à gérer la pénurie et à faire reprendre le travail sans moyens pour mettre en place les mesures de sécurité. L’enquête révèle les insuffisances de moyens pour mettre en place le « protéger/tester/isoler » vanté par le Premier Ministre, la bataille va devoir être menée pour poser l’obtention de ces moyens comme préalable au déconfinement.
Enfin, l’UGICT note avec raison que la situation actuelle impose des mesures immédiates comme l’abandon des réformes du chômage et des retraites.
Pour que cette enquête serve de base à un projet politique alternatif
Dans la période, tout projet politique qui ne partirait pas de la réalité du monde du travail serait idéaliste et inefficace. La lutte pour la protection des salariés et toutes les revendications syndicales doit donc être le point de départ de toutes les propositions politiques. C’est parce qu’un tiers de salariés du privé a peur de perdre son emploi qu’il faut renforcer la Sécurité Sociale, créer une branche dédiée à la formation des travailleurs dans la Sécurité Sociale. C’est parce que tous les travailleurs ont constaté l’incapacité du capital à organiser une filière industrielle du matériel médical et du médicament que nous devons porter l’exigence d’un grand pôle public géré démocratiquement et répondant aux besoins. C’est parce que les critères de rentabilité ont montré leur dangerosité pour les salariés que nous devons engager la bataille pour la prise de pouvoir démocratique dans les entreprises et la gestion en fonction d’autres objectifs. Tout notre projet de renversement de la société capitaliste et d’imposition d’un nouveau modèle économique et social plonge ces racines dans cette conscience des salariés.
pour télécharger le document complet de l’enquête cliquez ici