Pourquoi le socialisme, Albert Einstein*

En mai 1949, Albert Einstein, peu connu pour son positionnement politique, signait un article paru dans le premier numĂ©ro du magazine de la gauche Ă©tats-unienne Monthly Review. Il expliquait pourquoi il choisissait le socialisme plutĂŽt que le capitalisme. Ce texte saisissant d’actualitĂ© fut partiellement publiĂ© dans l’HumanitĂ© le 15 aoĂ»t 2015. Nous offrons Ă  nos lecteurs sa traduction intĂ©grale.  

*Albert EINSTEIN, pĂšre des thĂ©ories de la RelativitĂ© Restreinte (1905) et de la RelativitĂ© GĂ©nĂ©rale (1915) -photo Ă  l’UniversitĂ© de Princeton en 1949.


Est-il convenable qu’un homme qui n’est pas versĂ© dans les questions Ă©conomiques et sociales exprime des opinions au sujet du socialisme ? Pour de multiples raisons, je crois que oui.

ConsidĂ©rons tout d’abord cette question du point de vue de la connaissance scientifique. Il peut apparaĂźtre qu’il n’y a pas de diffĂ©rences essentielles sur le plan de la mĂ©thodologie entre l’astronomie et les sciences Ă©conomiques : dans les deux domaines, les scientifiques cherchent Ă  dĂ©couvrir des lois adĂ©quates pour dĂ©crire un ensemble limitĂ© de phĂ©nomĂšnes afin de rendre les interconnections entre ces phĂ©nomĂšnes aussi comprĂ©hensibles que possible. Mais en rĂ©alitĂ© il existe bel et bien des diffĂ©rences mĂ©thodologiques.

La dĂ©couverte de lois gĂ©nĂ©rales dans le domaine de l’économie est rendue ardue par le fait que les phĂ©nomĂšnes Ă©conomiques observĂ©s sont souvent affectĂ©s par de multiples facteurs qui sont trĂšs difficiles Ă  Ă©valuer sĂ©parĂ©ment. En outre, l’expĂ©rience qui s’est accumulĂ©e depuis le dĂ©but de la pĂ©riode dite civilisĂ©e de l’histoire humaine – cela est bien connu – a Ă©tĂ© fortement influencĂ©e et limitĂ©e par des facteurs et des causes qui ne sont en aucune maniĂšre de nature exclusivement Ă©conomique. Par exemple, la plupart des grand États de l’histoire doivent leur existence Ă  des conquĂȘtes.

Les peuples conquĂ©rants se sont Ă©tablis, tant sur le plan lĂ©gal qu’économique, comme classes privilĂ©giĂ©es des pays conquis. Ils ont saisi Ă  leur profit le monopole de la propriĂ©tĂ© fonciĂšre et ont nommĂ© des prĂȘtres issus de leurs propres rangs. Ces prĂȘtres, par leur contrĂŽle de l’éducation, ont instaurĂ© une division de la sociĂ©tĂ© en classes comme une institution permanente et ont créé un systĂšme de valeurs selon lequel les gens, de maniĂšre largement inconsciente, Ă©taient dorĂ©navant guidĂ©s par leur comportement social.

Mais la tradition historique appartient, pour ainsi dire, aux temps passĂ©s ; nulle part nous n’avons rĂ©ellement dĂ©passĂ© ce que Thorstein Veblen a appelĂ© « la phase des prĂ©dateurs » du dĂ©veloppement humain. Les faits Ă©conomiques observables appartiennent Ă  cette phase, et mĂȘme les lois que nous pouvons en dĂ©river ne sont pas applicables Ă  d’autres phases.

Puisque le véritable objectif du socialisme est précisément de dépasser et avancer au-delà de la phase des prédateurs du développement humain, la science économique dans son état actuel ne peut nous éclairer que trÚs peu sur la société socialiste du futur.

DeuxiĂšmement, le socialisme est orientĂ© vers un objectif social et Ă©thique. La science, cependant, ne peut pas dĂ©finir des objectifs, et encore moins les instiller dans les ĂȘtres humains ; au mieux, elle peut fournir les moyens pour atteindre certains objectifs. Mais ces objectifs eux-mĂȘmes sont conçus par des personnalitĂ©s inspirĂ©es par des idĂ©aux Ă©thiques Ă©levĂ©s et – si ces objectifs ne sont pas mort-nĂ©s, mais bien vivants et vigoureux – sont adoptĂ©s et portĂ©s par cette multitude d’ĂȘtres humains qui, pour une part inconsciemment, dĂ©terminent la lente Ă©volution de la sociĂ©tĂ©.

Pour toutes ces raisons, nous devrions rester sur nos gardes et ne pas surestimer la science et les mĂ©thodes scientifiques quand il est question de problĂšmes humains ; nous ne devrions pas assumer que les experts sont les seuls qui ont le droit de s’exprimer sur les questions qui concernent l’organisation de la sociĂ©tĂ©.

D’innombrables voix ont affirmĂ© depuis pas mal de temps que la sociĂ©tĂ© humaine traverse une crise et que sa stabilitĂ© est gravement Ă©branlĂ©e. Il est typique d’une telle situation que les individus sentent de l’indiffĂ©rence ou mĂȘme de l’hostilitĂ© envers le groupe auquel ils appartiennent, qu’il soit petit ou grand.

Afin d’illustrer mon propos, permettez-moi de vous rapporter une expĂ©rience personnelle. J’ai rĂ©cemment discutĂ© avec un homme intelligent et de bonne volontĂ© de la menace d’une autre guerre, qui a mon avis mettrait sĂ©rieusement en danger l’existence mĂȘme de l’espĂšce humaine. Je lui ai fait remarquer que seule une organisation supranationale pouvait offrir une protection contre un tel danger. Sur quoi mon visiteur, trĂšs calme et dĂ©contractĂ©, me dit : « Pourquoi ĂȘtes vous si profondĂ©ment opposĂ© Ă  la disparition de la race humaine ? »

Je suis sĂ»r qu’il y a seulement un siĂšcle personne n’aurait tenu un tel discours sur un ton aussi lĂ©ger. C’est le propos d’un homme qui a en vain essayĂ© de se trouver un Ă©quilibre avec lui-mĂȘme et qui a plus ou moins perdu l’espoir d’y arriver. C’est l’expression d’une solitude douloureuse et d’une isolement dont tant de gens souffrent ces temps-ci. Quelle en est la cause ? Y a-t-il une issue ?

Il est simple de soulever de telles questions, mais difficile d’y donner des rĂ©ponses avec une certaine assurance. Je dois nĂ©anmoins l’essayer le mieux que je peux, bien que je sois trĂšs conscient du fait que nos sentiments et nos aspirations sont souvent contradictoires et obscurs et qu’ils ne peuvent pas ĂȘtre exprimĂ©s par des formules simples.

L’homme est Ă  la fois un ĂȘtre solitaire et un ĂȘtre social. Comme ĂȘtre solitaire, il cherche Ă  protĂ©ger sa propre existence et celle de ses proches, afin de satisfaire ses dĂ©sirs personnels et de dĂ©velopper ses capacitĂ©s innĂ©es. Comme ĂȘtre social, il recherche la reconnaissance et l’affection de ses frĂšres humains, pour partager leurs plaisirs, les rĂ©conforter dans leurs chagrins, et pour amĂ©liorer leurs conditions de vie. Seule l’existence de ces aspirations variĂ©es, qui entrent souvent en conflit les unes avec les autres, explique le caractĂšre particulier d’un homme, et leur combinaison spĂ©cifique dĂ©termine la mesure dans laquelle un individu peut atteindre un Ă©quilibre intĂ©rieur et peut contribuer au bien-ĂȘtre de la sociĂ©tĂ©. Il est tout Ă  fait possible que la force relative de ces aspirations soit, pour l’essentiel, donnĂ©e par hĂ©ritage. Mais la personnalitĂ© qui Ă©merge Ă  la fin est largement formĂ©e par l’environnement oĂč l’homme se trouve immergĂ© pendant son dĂ©veloppement, par la structure de la sociĂ©tĂ© dans laquelle il grandit, par les traditions de cette sociĂ©tĂ© et par le jugement que cette sociĂ©tĂ© porte sur certains comportements.

Pour l’ĂȘtre humain individuel, le concept abstrait de « sociĂ©tĂ© » se prĂ©sente comme la somme totale de ses relations directes et indirectes avec ses contemporains ainsi qu’avec toutes les gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes. Un individu est capable par lui-mĂȘme de penser, sentir, chercher et travailler; mais il dĂ©pend tellement de la sociĂ©tĂ© – dans son existence physique, intellectuelle, et Ă©motionnelle – qu’il est impossible de penser Ă  lui, ou de le comprendre, en dehors du cadre de la sociĂ©tĂ©.

C’est la « sociĂ©tĂ© » qui fournit Ă  l’homme sa nourriture, son habillement, son foyer, ses outils de travail, sa langue, ses formes de pensĂ©e, et en grande partie le contenu de sa pensĂ©e ; sa vie est rendue possible par le travail et les rĂ©alisations de millions de gens du passĂ© et du prĂ©sent, tous cachĂ©s derriĂšre ce petit mot de « sociĂ©tĂ© ».

Il est donc Ă©vident que la dĂ©pendance de l’individu par rapport Ă  la sociĂ©tĂ© est un fait de la nature qui ne peut ĂȘtre aboli – tout comme pour les fourmis et les abeilles. Cependant, pendant que la vie tout entiĂšre des fourmis et des abeilles est fixĂ©e jusqu’au moindre dĂ©tail par des instincts rigides et hĂ©rĂ©ditaires, les pratiques sociales et les interdĂ©pendances des ĂȘtres humains sont trĂšs variables et sujettes Ă  des changements. La mĂ©moire, la capacitĂ© de faire de nouvelles combinaisons, le don de la communication orale ont rendu possibles des dĂ©veloppements entre les ĂȘtres humains qui ne sont pas dictĂ©s par des nĂ©cessitĂ©s biologiques. De tels dĂ©veloppements se manifestent dans des traditions, des institutions et des organisations ; dans la littĂ©rature ; dans les rĂ©alisations scientifiques et d’ingĂ©nierie ; dans les Ɠuvres d’art. Cela explique comment il se peut que, dans un certain sens, l’homme peut influencer sa vie par son propre comportement, et que la pensĂ©e consciente et la volontĂ© peuvent jouer un rĂŽle dans ces processus.

L’homme acquiert Ă  la naissance, par hĂ©rĂ©ditĂ©, une constitution biologique que nous devons considĂ©rer fixĂ©e et inaltĂ©rable, y compris les pulsions naturelles qui sont caractĂ©ristique de l’espĂšce humaine. En outre, au cours de sa vie, il acquiert une constitution culturelle qu’il reçoit de la sociĂ©tĂ© par communication et par nombre d’autres formes d’influence. C’est cette constitution culturelle qui, au fil du temps, est sujette au changement et qui dĂ©termine dans une large mesure les relations entre l’individu et la sociĂ©tĂ©.

L’anthropologie moderne nous a enseignĂ©, par l’étude comparative de cultures dites primitives, que le comportement social des ĂȘtres humains peut varier grandement, selon les modĂšles culturels dominants et les types d’organisation prĂ©dominants dans la sociĂ©tĂ©. C’est lĂ -dessus que ceux qui cherchent Ă  amĂ©liorer le sort des humains doivent fonder leur espoir : les ĂȘtres humains ne sont pas condamnĂ©s par leur constitution Ă  s’annihiler les uns les autres, ni Ă  ĂȘtre Ă  la merci d’un sort cruel auto-infligĂ©.
Si nous nous demandons comment la structure de la sociĂ©tĂ© et les attitudes culturelles des ĂȘtres humains devraient ĂȘtre changĂ©s afin de rendre la vie humaine aussi satisfaisante que possible, nous devrions constamment ĂȘtre conscients du fait qu’il y a certaines conditions que nous sommes incapables de modifier. Comme nous l’avons mentionnĂ© plus haut, la nature biologique des humains ne peut pratiquement pas ĂȘtre changĂ©e.
Par ailleurs, les dĂ©veloppements technologiques et dĂ©mographiques des derniers siĂšcles ont crĂ©e des conditions qui vont durer. Pour des populations assez denses, pour qui certains biens sont indispensables Ă  la continuation de leur existence, une extrĂȘme division du travail et un appareil productif hautement centralisĂ© sont absolument nĂ©cessaires. L’époque – qui semble si idyllique en rĂ©trospective – oĂč des individus ou des groupes relativement petits pouvaient vivre en complĂšte autarcie est pour toujours rĂ©volue. Ce n’est qu’une lĂ©gĂšre exagĂ©ration que de dire que l’espĂšce humaine constitue Ă  prĂ©sent une communautĂ© de production et de consommation Ă  l’échelle planĂ©taire.

Je suis maintenant arrivĂ© au point oĂč je peux indiquer briĂšvement ce qui constitue pour moi l’essence de la crise de notre temps. Il s’agit du rapport entre l’individu et la sociĂ©tĂ©. L’individu est devenu plus conscient que jamais de sa dĂ©pendance Ă  la sociĂ©tĂ©. Mais il n’éprouve pas cette dĂ©pendance comme un bien positif, comme une attache organique, comme une force protectrice, mais plutĂŽt comme une menace pour ses droits naturels, ou mĂȘme pour son existence Ă©conomique. En outre, sa position sociale est telle que les tendances Ă©goĂŻstes de son ĂȘtre sont constamment mises en avant, tandis que ses tendances sociales qui, par nature, sont plus faibles, se dĂ©gradent progressivement. Tous les ĂȘtres humains, quelle que soit leur position sociale, souffrent de ce processus de dĂ©gradation. Prisonniers sans le savoir de leur propre Ă©goĂŻsme, ils se sentent en Ă©tat d’insĂ©curitĂ©, isolĂ©s et privĂ©s de la naĂŻve, simple et pure joie de vivre. L’Homme ne peut trouver de sens Ă  la vie, qui est brĂšve et pĂ©rilleuse, qu’en se dĂ©vouant Ă  la sociĂ©tĂ©.

L’anarchie Ă©conomique de la sociĂ©tĂ© capitaliste, telle qu’elle existe aujourd’hui, est, Ă  mon avis, la source rĂ©elle du mal. Nous voyons devant nous une immense sociĂ©tĂ© de producteurs dont les membres cherchent sans cesse Ă  se priver mutuellement du fruit de leur travail collectif – non pas par la force mais, en somme, conformĂ©ment aux rĂšgles lĂ©galement Ă©tablies. Sous ce rapport, il est important de se rendre compte que les moyens de la production – c’est-Ă - dire toute la capacitĂ© productive nĂ©cessaire pour produire les biens de consommation, ainsi que, par surcroĂźt, les biens en capital – pourraient lĂ©galement ĂȘtre, et sont mĂȘme pour la plus grande part, la propriĂ©tĂ© privĂ©e de certains individus. Pour des raisons de simplicitĂ©, je veux, dans la discussion qui va suivre, appeler « ouvriers » tous ceux qui n’ont point part Ă  la possession des moyens de production, bien que cela ne corresponde pas tout Ă  fait Ă  l’emploi ordinaire du terme. Le possesseur des moyens de production est en Ă©tat d’acheter la capacitĂ© de travail de l’ouvrier. En se servant des moyens de production, l’ouvrier produit de nouveaux biens qui deviennent la propriĂ©tĂ© du capitaliste. Le point essentiel dans ce processus est le rapport entre ce que l’ouvrier produit et ce qu’il reçoit comme salaire, les deux choses Ă©tant Ă©valuĂ©es en termes de valeur rĂ©elle.

Dans la mesure oĂč le contrat de travail est « libre », ce que l’ouvrier reçoit est dĂ©terminĂ© non pas par la valeur rĂ©elle des biens qu’il produit mais par le minimum de ses besoins et par le rapport entre le nombre d’ouvriers dont le capitaliste a besoin et le nombre d’ouvriers qui sont Ă  la recherche d’un emploi. Il faut comprendre que, mĂȘme en thĂ©orie, le salaire de l’ouvrier n’est pas dĂ©terminĂ© par la valeur de son produit.

Une nuĂ©e de journalistes attendant Albert et Elsa Einstein Ă  New York fin 1930, lors d’un sĂ©jour aux États-Unis.

Le capital privĂ© tend Ă  se concentrer en peu de mains, en partie Ă  cause de la compĂ©tition entre les capitalistes, en partie parce que le dĂ©veloppement technologique et la division croissante du travail encouragent la formation de plus grandes unitĂ©s de production aux dĂ©pens des plus petites. Le rĂ©sultat de ces dĂ©veloppements est une oligarchie de capitalistes dont la formidable puissance ne peut effectivement ĂȘtre refrĂ©nĂ©e, pas mĂȘme par une sociĂ©tĂ© qui a une organisation politique dĂ©mocratique. Cela est vrai, puisque les membres du corps lĂ©gislatif sont choisis par des partis politiques largement financĂ©s ou autrement influencĂ©s par les capitalistes privĂ©s qui, pour tous les buts pratiques, sĂ©parent le corps Ă©lectoral de la lĂ©gislature. La consĂ©quence en est que, dans les faits, les reprĂ©sentants du peuple ne protĂšgent pas suffisamment les intĂ©rĂȘts des moins privilĂ©giĂ©s. De plus, dans les conditions actuelles, les capitalistes contrĂŽlent inĂ©vitablement, d’une maniĂšre directe ou indirecte, les principales sources d’information (presse, radio, Ă©ducation). Il est ainsi extrĂȘmement difficile pour le citoyen, et dans la plupart des cas tout Ă  fait impossible, d’arriver Ă  des conclusions objectives et de faire un usage intelligent de ses droits politiques.

UNE « ARMÉE » DE CHÔMEURS

La situation dominante dans une Ă©conomie basĂ©e sur la propriĂ©tĂ© privĂ©e du capital est ainsi caractĂ©risĂ©e par deux principes importants : premiĂšrement, les moyens de production (le capital) sont en possession privĂ©e et les possesseurs en disposent comme ils le jugent convenable ; secondement, le contrat de travail est libre. Bien entendu, une sociĂ©tĂ© capitaliste pure dans ce sens n’existe pas. Il convient de noter en particulier que les ouvriers, aprĂšs de longues et Ăąpres luttes politiques, ont rĂ©ussi Ă  obtenir, pour certaines catĂ©gories d’entre eux, une meilleure forme de « contrat de travail libre ». Mais, prise dans son ensemble, l’économie d’aujourd’hui ne diffĂšre pas beaucoup du capitalisme « pur ». La production est faite en vue du profit, et non pour l’utilitĂ©.

Il n’y a pas moyen de prĂ©voir que tous ceux qui sont capables et dĂ©sireux de travailler pourront toujours trouver un emploi ; une « armĂ©e » de chĂŽmeurs existe dĂ©jĂ . L’ouvrier est constamment dans la crainte de perdre son emploi. Et puisque les chĂŽmeurs et les ouvriers mal payĂ©s sont de faibles consommateurs, la production des biens de consommation est restreinte et a pour consĂ©quences de grands inconvĂ©nients. Le progrĂšs techno logique a souvent pour rĂ©sultat un accroissement du nombre de chĂŽmeurs plutĂŽt qu’un allĂ©gement du travail pĂ©nible pour tous. L’aiguillon du profit en conjonction avec la compĂ©tition entre les capitalistes est responsable de l’instabilitĂ© dans l’accumulation et l’utilisation du capital qui amĂšne des dĂ©pressions Ă©conomiques de plus en plus graves. La compĂ©tition illimitĂ©e conduit Ă  un gaspillage considĂ©rable de travail et Ă  la mutilation de la conscience sociale des individus dont j’ai fait mention plus haut. Je considĂšre cette mutilation des individus comme le pire mal du capitalisme. Tout notre systĂšme d’éducation souffre de ce mal. Une attitude de compĂ©tition exagĂ©rĂ©e est inculquĂ©e Ă  l’étudiant, qui est dressĂ© Ă  idolĂątrer le succĂšs de l’acquisition comme une prĂ©paration Ă  sa carriĂšre future.

POUR LE SOCIALISME

Je suis convaincu qu’il n’y a qu’un seul moyen d’éliminer ces maux graves, Ă  savoir l’établissement d’une Ă©conomie socialiste, accompagnĂ©e d’un systĂšme d’éducation orientĂ© vers des buts sociaux. Dans une telle Ă©conomie, les moyens de production appartiendraient Ă  la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme et seraient utilisĂ©s d’une façon planifiĂ©e. Une Ă©conomie planifiĂ©e, qui adapte la production aux besoins de la sociĂ©tĂ©, distribuerait le travail Ă  faire entre tous ceux qui sont capables de travailler et garantirait les moyens d’existence Ă  chaque homme, Ă  chaque femme, Ă  chaque enfant. L’éducation de l’individu devrait favoriser le dĂ©veloppement de ses facultĂ©s innĂ©es et lui inculquer le sens de la responsabilitĂ© envers ses semblables, au lieu de la glorification du pouvoir et du succĂšs, comme cela se fait dans la sociĂ©tĂ© actuelle.

Il est cependant nĂ©cessaire de rappeler qu’une Ă©conomie planifiĂ©e n’est pas encore le socialisme. Une telle Ă©conomie pourrait ĂȘtre accompagnĂ©e d’un complet asservissement de l’individu. La rĂ©alisation du socialisme exige la solution de quelques problĂšmes sociopolitiques extrĂȘmement difficiles : Comment serait-il possible, en face d’une centralisation extrĂȘme du pouvoir politique et Ă©conomique, d’empĂȘcher la bureaucratie de devenir toute-puissante et prĂ©somptueuse ? Comment pourrait-on protĂ©ger les droits de l’individu et assurer un contrepoids dĂ©mocratique au pouvoir de la bureaucratie ?

La clarté au sujet des buts et des problÚmes du socialisme est de la plus grande importance à notre époque de transition. Puisque, dans les circonstances actuelles, la discussion libre et sans entrave de ces problÚmes a été soumise à un puissant tabou, je considÚre que la fondation de cette revue est un important service rendu au public.

 

2 réflexions sur “Pourquoi le socialisme, Albert Einstein*

  1. Mutilation des esprits des ouvriers dans la sociĂ©tĂ© capitaliste…..nous y sommes dĂ©jĂ  depuis quelques annĂ©es. Affaiblis par le matraquage mĂ©diatique dĂ» Ă  la pandĂ©mie du coronavirus, espĂ©rons que les plus humbles ne se tournent pas vers ce qu’ils pensent ĂȘtre le secours suprĂȘme, le nationalisme et ses funestes consĂ©quences….

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