Présents partout dans nos ordinateurs et autres appareils, les logiciels libres s’inscrivent dans une logique de partage et de coopération, à l’inverse des logiciels propriétaires. Face aux mastodontes privés, ils offrent une autre pratique possible de l’informatique.
*Georges VINCENTS est enseignant de mathématique et d’informatique en IUT.
QUELQUES DÉFINITIONS
Un logiciel libre est un logiciel dont le code est public et publié, ce qui veut dire que, avec quelques connaissances en informatique, tout un chacun peut voir comment ce logiciel est fait et savoir ce qu’il fait. Par opposition, un logiciel commercial (on dit plutôt « logiciel propriétaire ») est protégé par des brevets et fonctionne de façon opaque : qui sait ce que fait Windows lors d’une « mise à jour » ?
Pour mémoire, l’affaire des moteurs Diesel truqués n’avait rien à voir avec les moteurs Diesel mais tout à voir avec les logiciels de contrôle, qui faisaient discrètement un travail de dissimulation sans que personne puisse s’en apercevoir, puisque ces logiciels sont des logiciels propriétaires!
De même, si Facebook ou Google peuvent récupérer et vendre des données sur leurs utilisateurs, c’est parce que les logiciels utilisés ne sont pas des logiciels libres.
Les logiciels libres peuvent être gratuits (et ils le sont très fréquemment), ils peuvent aussi ne pas l’être. La confusion vient de l’anglais où free veut aussi bien dire « libre » que « gratuit ».
En conséquence immédiate de la définition, un logiciel « libre » peut en toute légalité être utilisé, étudié, modifié, reproduit, offert à ses voisins ou amis… L’idée forte est que le savoir ne s’amenuise pas quand on le partage, au contraire. Un peu comme lorsque votre voisin vous demande l’heure, vous pouvez la lui donner et vous l’aurez encore, ou lorsqu’un enseignant apprend à ses élèves le théorème de Pythagore, ce théorème ne disparaît pas de ses propres connaissances !
La plupart des utilisateurs utilisent sans le savoir des logiciels libres : Firefox, Thunderbird, VLC sont des logiciels libres… et il y en a des centaines qui couvrent à peu près tous les domaines.
UN PEU D’HISTOIRE
Deux noms sont attachés à l’histoire des logiciels libres : Richard Stallman et Linus Torvalds.

Richard Stallman est un chercheur états-unien qui, pour les besoins de son travail, a été obligé de modifier le programme qui commandait une imprimante. Hélas ! ce programme était protégé par des brevets, et il a donc dû le réécrire entièrement. Le temps perdu le poussa à se poser des questions sur ces logiciels propriétaires et à se lancer dans un projet important, appelé GNU. Il s’agissait de décrire et créer tout un ensemble de logiciels pouvant communiquer entre eux et destinés à assurer le fonctionnement complet d’un ordinateur. Son projet aboutit en 1983.

Linus Torvalds, né en 1969, est un informaticien finlandais qui, dans le cadre de ses études, écrivit le noyau d’un système permettant la communication des logiciels avec les périphériques (clavier, écran, disques, souris…) reliés à un ordinateur. Ce noyau a été publié comme logiciel libre sous le nom de Linux (clin d’œil à Linus et à Unix, le système professionnel des gros ordinateurs).
L’ensemble GNU-Linux forme donc un système complet qui a le même rôle que les différents Windows ou MacOS…à la différence près que c’est un système libre et gratuit.
ÉVOLUTION
Les premières versions de GNU-Linux, en 1994, étaient un peu délicates d’emploi, plutôt réservées à des utilisateurs avertis. Or très vite la communauté des utilisateurs en a fait un système facile à utiliser et facile à gérer grâce à des interfaces graphiques qui permettent à la plupart des utilisateurs de cliquer sur des boutons pour effectuer toutes les tâches… Aujourd’hui, GNU-Linux ressemble énormément aux systèmes commerciaux tout en étant libre et gratuit ; et pour s’adapter aux goûts de chacun il en existe plusieurs versions, dont la plus utilisée est Ubuntu.

Il est intéressant de noter que la totalité des « box », qu’elles soient Free, Orange, Bouygues, SFR ou autres, utilisent Linux comme système de base et que plus de 90 % des serveurs internet utilisent aussi Linux !
LES FORMATS LIBRES
Lorsqu’on utilise un traitement de texte, un tableur, un éditeur musical ou un programme de dessin, les fichiers produits sont enregistrés sous ce qu’on appelle un format. Pour un traitement de texte, par exemple, cela veut dire que les ordres du genre « écris en italique » ou « fais une liste à puces » ne sont pas enregistrés de la même façon suivant qu’on utilise MS-Word, MS-Works, MacWrite ou Writer, pour n’en citer que quelques-uns. Le contenu du fichier enregistré pour un même texte n’est pas le même suivant le traitement de texte qui l’a créé.
Cela présente un sérieux inconvénient : si on change de traitement de texte, rien ne dit qu’on pourra récupérer le texte déjà écrit avec l’ancien traitement de texte. Si de plus le format est secret et protégé par des brevets, il est possible que des informations non souhaitées soient intégrées au fichier enregistré… comme cela s’est déjà produit avec WordPerfect (seul traitement de texte utilisé par la justice française)1.
L’intérêt des formats libres apparaît alors : en cas de changement de logiciel, on pourra toujours récupérer les documents déjà créés, et le statut des formats libres, publics et publiés, garantit qu’il ne peut y avoir dans le document que les informations prévues et souhaitées par l’auteur.
ENJEU POLITIQUE
En France, il existe des instruments légaux qui devraient empêcher les pratiques commerciales qui imposent des logiciels commerciaux. Ainsi : « Il est interdit de refuser à un consommateur la vente d’un produit ou la prestation d’un service, sauf motif légitime, et aussi de subordonner la vente d’un produit à l’achat d’une quantité imposée ou à l’achat concomitant d’un autre produit ou d’un autre service ainsi que de subordonner la prestation d’un service à celle d’un autre service ou à l’achat d’un produit dès lors que cette subordination constitue une pratique commerciale déloyale au sens de l’article L. 120-1. » (Art. L. 122.1 du Code de la consommation.)
« Les pratiques commerciales déloyales sont interdites. Une pratique commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service. Le caractère déloyal d’une pratique commerciale visant une catégorie particulière de consommateurs ou un groupe de consommateurs vulnérables en raison d’une infirmité mentale ou physique, ou de l’âge, ou d’une certaine crédulité, s’apprécie au regard de la capacité « moyenne » de discernement de la catégorie ou du groupe. » (Art.120.1 du Code de la consommation.)
Dès lors, comment expliquer qu’il soit pratiquement impossible d’acheter un ordinateur « nu » – c’est-à-dire sans Windows ou autre logiciel déjà implanté – dans les magasins traditionnels, comme Auchan, Boulanger, Carrefour, Darty-FNAC, etc ? Et comment expliquer que nos gouvernements successifs signent des contrats pharaoniques avec Microsoft (Éducation Nationale, Ministère des Armées…) au lieu de favoriser le développement des logiciels libres, beaucoup moins coûteux pour les utilisateurs et plus sûrs?
Des organisations se battent pour obtenir le respect de la loi comme l’April2 ou l’AFUL3, mais leurs moyens sont trop faibles par rapport à ceux des multinationales Microsoft, Apple, Google et consorts. L’utilisation de logiciels libres dans l’enseignement supérieur donnerait aux étudiants des outils et des sujets d’étude qui permettraient un réinvestissement de leurs travaux.
Un exemple remarquable est xcas, logiciel de calcul formel créé à l’université Joseph-Fourier de Grenoble4, logiciel qui certes ne concurrence pas les plus grands comme Maple ou Mathematica – qui coûtent très cher – mais qui, s’il était soutenu financièrement par l’État, pourrait rivaliser avec eux et éviterait aux universités de payer des licences qui grèvent leurs budgets.
La force des logiciels libres, c’est le partage des savoirs, ce partage sur lequel reposent l’encyclopédie Wikipedia, le logiciel de cartographie OpenStreetMap, le lecteur de vidéo VLC ou l’enregistreur Audacity, très utilisé par les créateurs de livres audio. Il est étonnant de voir combien de personnes utilisent ces logiciels sans se poser la question de leur origine.

ALORS, QUE FAIRE ?
La presse d’information courante nous apprend presque quotidiennement que des fichiers de clients « fuient », que des données sont collectées par Google ou Facebook et vendues à des publicitaires ou à des officines politiques… et chaque fois ce sont des dizaines de milliers de personnes qui sont touchées.
Depuis l’affaire Snowden, on sait que les grands organismes d’espionnage (la NSA en particulier) ont toute latitude pour espionner et ficher la population mondiale.
Comment réagir ? D’abord, il faut faire l’effort d’essayer les logiciels libres. Pour la gestion des photos, il y a digiKam, qui peut très bien remplacer des logiciels propriétaires. Pour la retouche des photos, il y a bien sûr PhotoShop, mais Gimp – qui est libre – fait aussi bien ! Pour les recherches sur Internet, il vaut mieux utiliser un moteur de recherche plus éthique que Google, Qwant par exemple.
Reste à passer à un système libre, c’est-à-dire à une des versions de GNU-Linux.Là, pour un néophyte seul, ce n’est pas très simple puisqu’il est quasi impossible de trouver un vendeur qui dispose de ce matériel. Cela dit, il existe de nombreux groupes d’utilisateurs5 qui sont prêts à aider, à former et à informer, et plusieurs sites très réactifs proposent de l’aide aux débutants et aux moins débutants6.
Enfin, il suffit souvent de demander dans son entourage si quelqu’un utilise Linux et de solliciter son l’aide pour démarrer. Une fois le premier pas franchi, l’utilisation est facile et sans risque, plus facile même que celle d’un ordinateur sous Windows.
Enfin, il serait souhaitable que chaque nouveau convaincu explique autour de lui ce qui vient d’être dit, qu’il (ou elle) montre que ce n’est pas compliqué, que « ça marche bien », que ça facilite la vie, que ça rend plus libre, plus indépendant, moins soumis aux virus et aux publicités… et que ça fait faire des économies !
1. Pour information, on pourra lire http://www.chambet.com/publications/fuite-infos/.
2. https://april.org/
3. https://aful.org/
4. http://www-fourier.ujf-grenoble.fr/~parisse/
5. Le site https://aful.org/gul/liste propose une importante liste de ces groupes.
6. Parmi ces sites : https://forum.ubuntu-fr.org/
Bonjour,
Article intéressant sur un sujet pas facile du tout à vulgariser. Je relève tout de même quelques erreurs et des biais d’appréciation liés à une reprise acritique de discours militants :
« Richard Stallman est un chercheur états-unien qui, pour les besoins de son travail, a été obligé de modifier le programme qui commandait une imprimante. Hélas ! ce programme était protégé par des brevets, et il a donc dû le réécrire entièrement. »
Un logiciel propriétaire n’est pas (forcément) protégé par des brevets mais par le droit d’auteur (ou son équivalent anglo-saxon le copyright). Ce sont deux choses très différentes : les brevets relèvent de la propriété industrielle, tandis que le droit d’auteur relève de la propriété littéraire et artistique. Les logiciels relèvent juridiquement de la seconde catégorie, même si cela paraît contre-intuitif (et qu’il existe aussi des « brevets logiciels » dont la validité en droit français et européen est très controversée).
En tout état de cause, c’est contre la fermeture des logiciels à l’aide du copyright que s’est constitué le mouvement du logiciel libre. La distinction est d’autant plus importante que le monopole d’exploitation conféré par un brevet s’éteint au bout de vingt ans, alors que le droit d’auteur dure potentiellement 70 ans.
« Le temps perdu le poussa à se poser des questions sur ces logiciels propriétaires et à se lancer dans un projet important, appelé GNU. […] Son projet aboutit en 1983. »
Le projet GNU n’est aujourd’hui toujours pas « abouti », au sens où son développement serait terminé. En réalité, le projet a *débuté* en 1983 :
https://www.gnu.org/gnu/initial-announcement.fr.html
« Des organisations se battent pour obtenir le respect de la loi comme l’April2 ou l’AFUL3, mais leurs moyens sont trop faibles par rapport à ceux des multinationales Microsoft, Apple, Google et consorts. »
Des tribunaux ont statué sur le sujet, et ils ont conclu à plusieurs reprises que la loi était respectée par Microsoft et consorts. Par exemple la Cour de Cassation :
https://www.cnetfrance.fr/news/la-vente-liee-de-windows-validee-par-la-cour-de-cassation-39775965.htm
ou bien la CJUE :
https://www.silicon.fr/vente-liee-os-pc-pas-illegale-europe-156909.html
Peut-être que la loi mérite d’être modifiée, mais il paraît audacieux de prétendre qu’elle ne serait pas respectée à l’heure actuelle, sauf à se prétendre meilleur juriste que la Cour de Cassation et la CJUE réunies.
Il faut aussi souligner qu’au-delà de cet argument juridique assez fragile, des offres grand public sans Windows existent et ont existé, et même des offres avec une distribution GNU/Linux installée. Elles ont toujours eu un faible succès, signe que le problème n’est pas essentiellement juridique mais tient aussi aux attentes et habitudes des utilisateurs.
« Et comment expliquer que nos gouvernements successifs signent des contrats pharaoniques avec Microsoft (Éducation Nationale, Ministère des Armées…) au lieu de favoriser le développement des logiciels libres, beaucoup moins coûteux pour les utilisateurs et plus sûrs? »
Les logiciels libres n’ont pas de raison a priori d’être « plus sûrs ». Certains logiciels libres très utilisés ont été de véritables passoires sur le plan de la sécurité informatique (on pense, dans les années 2000, à sendmail ou PHP). La sécurité d’un système informatique est largement une question de méthodologie et de priorité donnée à telle ou telle préoccupation dans le développement et la maintenance du logiciel. De plus, le problème du financement des logiciels libres peut rejaillir sur leur sécurité : OpenSSL, une brique logicielle libre essentielle pour la sécurité des systèmes informatiques, a longtemps été tellement sous-financée qu’elle a accumulé une dette technique qui a donné lieu à de multiples failles.
Enfin, sur la dernière partie de l’article, consacrée à la constitution par Google et Facebook d’énormes fichiers de données personnelles : il faut rappeler que ces entreprises sont de gros utilisateurs et contributeurs de logiciels libres. Là aussi, la réalité n’est pas en accord avec les simplismes militants : contrairement à ce que prétendent certains, logiciel libre n’est pas synonyme de maîtrise des données personnelles. Rester maître de ses données personnelles relève en réalité d’une *hygiène numérique* qui implique d’être conscient du fonctionnement de l’Internet et attentif aux services et outils que l’on utilise, aux paramétrages qu’ils proposent, et au modèle économique de leur exploitant.