La forêt landaise, Christian Darriet*

La région Aquitaine est l’une des plus boisées de France. Sa forêt est même la plus vaste des forêts régionales : elle devance, dans l’ordre, les régions Rhône-Alpes (1,7 million d’hectares) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (1,5 million d’hectares). Facteur historique de la mise en valeur de la région, a-t-elle dépassé le stade de culture du pin ? Y a-t-il une filière bois qui soit à la hauteur ? 

*Christian DARRIET est militant pour la protection de la forêt.


La région Aquitaine historique – on rappelle que depuis le 1er janvier 2016, en application d’une réforme territoriale, elle a été intégrée à un ensemble administratif élargi à douze départements : la Nouvelle-Aquitaine – est constituée de cinq départements : Dordogne, Gironde, Landes, Lot-et-Garonne et Pyrénées- Atlantiques. Avec 1,8 million d’hectares de forêts, son taux de boisement s’élève à 43%, soit nettement au-dessus de la moyenne nationale (29%). La forêt aquitaine est essentiellement privée (1659000 ha, soit 92% de la forêt de la région). La part de la forêt publique (8%) est trois fois moins importante qu’au niveau national (25%). La forêt domaniale est très restreinte (38000 ha ± 6000 ha), la forêt publique étant essentiellement communale (112000 ha ± 6000 ha).
En Aquitaine, cinq segments principaux structurent l’ensemble des activités liées à la forêt et au bois: sylviculture et exploitation forestière, sciage et travail du bois, bois de construction, industrie du papier et du carton, et fabrication de meubles. Ils totalisent 87% de l’emploi total de la filière.

Originalité de la forêt landaise
Les Landes sont le département le plus boisé de France, avec un taux moyen de boisement de 67%; la forêt landaise s’étend sur 632300 ha, dont 70222 de forêts de feuillus, 465 389 de forêts de résineux et 5 300 de peupleraies. Le taux de boisement atteint même 72% au nord de l’Adour, avec un massif forestier résineux, dominé par le pin maritime : le département des Landes représente 60% du massif des Landes de Gascogne, premier massif européen (en superficie). Ce taux se maintient à 24% au sud de l’Adour, où prédominent les espèces feuillues, et notamment le chêne pédonculé.
Hormis cette suprématie spatiale, cette forêt présente quelques caractéristiques fortes : une quasi-monoculture du pin maritime (présent sur 87% des surfaces boisées), dont l’origine est presque exclusivement anthropique (les plantations datent de la seconde moitié du XIXe siècle) ; une propriété privée à 90%, mais dont 75% de la superficie appartient à moins de 20% des propriétaires: 20900 d’entre eux possèdent une propriété de plus de 1 ha, soit un total de 609400 ha. L’Office national des forêts gère 65000 ha: 25000 ha en forêt domaniale (essentiellement sur le cordon dunaire du littoral), 10 000 ha sur des terrains militaires et 30000 ha en forêt des collectivités (communes et département) relevant du régime forestier. Le tout représente un volume sur pied de 81600000 m3 en conifères et de 12000000 m3 en feuillus.
Si la forêt landaise revêt un incontestable intérêt économique, lié à la sylviculture, à l’exploitation et à la transformation des bois, soulignons que sa grande sensibilité aux incendies a entraîné le développement d’une politique active de prévention depuis plusieurs décennies. Mais elle a également un intérêt écologique, avec la préservation de certains secteurs liés au caractère historique des milieux humides de la lande (ripisylves, lacs côtiers, « courants » [exutoires des lacs et étangs], dunes côtières…), aujourd’hui intégrés dans le réseau Natura 2000. Avec un rythme d’exploitation de 10000 ha par an en moyenne, cette forêt est avant tout une forêt cultivée de production, avec 2709000 m3 en bois d’œuvre et 1458000 m3 en bois d’industrie de pin maritime récoltés en 2005 (soit 49 % du volume total exploité en Aquitaine, dont 2240000 m3 avec une certification environnementale). Ces volumes représentent au total 12% de la production française. À noter que l’exportation de bois (essentiellement vers l’Espagne), à hauteur de 587000 m3, représente 13,5% de la récolte totale.

La filière bois1
La quasi-monoculture du pin maritime a engendré une industrie de transformation locale du bois bien implantée. L’ensemble des entreprises forestières (sylviculture, exploitation forestière et première transformation) faisait travailler 6000 salariés permanents en 2005. La filière forêt-bois en Aquitaine emploie quelque 38 000 personnes; parmi elles, près d’un quart sont des indépendants. L’emploi est réparti sur l’ensemble du territoire : quatre communes sur cinq accueillent au moins un établissement de la filière. La sylviculture, l’exploitation forestière et le sciage contribuent particulièrement au maintien de l’activité en milieu rural. À l’inverse, l’industrie du papier, forte d’établissements de grande taille, est implantée essentiellement dans les communes urbaines. Le segment « bois construction » est un vivier d’emplois pour les jeunes: la moitié des salariés y ont moins de 31 ans. Le sciage et le travail du bois, secteur traditionnel, est le premier employeur de la filière. L’industrie de seconde transformation, bien structurée, appartient à de grands groupes internationaux : Egger, Smurfit, Gascogne, Finsa…, qui ont installé des unités de fabrication de pâte à papier et de panneaux. En incluant l’industrie du meuble, on recensait en 2004 pas moins de 112 entreprises totalisant un effectif de 4 200 salariés. Au total, l’industrie du bois, du papier et de l’ameublement est la première industrie landaise en nombre d’entreprises et en nombre de salariés.

La forêt landaise mal traitée
La forêt des landes a subi ces dernières années deux tempêtes: en 1999 la tempête Martin a abattu 32 millions de mètres cubes de bois et le 24 janvier 2009 la tempête Klaus en a abattu 45 millions de mètres cubes, soit au total 60% de la forêt des landes.
Les incendies constituent une menace permanente pour la forêt, sa faune et sa flore; c’est en moyenne en Aquitaine 2500 ha de forêt qui brûlent chaque année, souvent à cause d’imprudences, mais aussi du fait de pyromanes. L’incendie de 1949, le plus terrible des feux de forêt que la France ait connus, coûta la vie à 82 personnes (au Barp, en bordure de la nationale 10, se dresse un panneau sur lequel sont inscrits leurs noms) fit des centaines de blessés et détruisit 50000 ha de pins et de lande.

Faut-il craindre des panneaux photovoltaïques en forêt?
Les pouvoirs publics souhaitent, en Nouvelle-Aquitaine, multiplier par quatre la puissance installée pour passer de 1734 MW en 2016 à 6580 MW en 2023, au moment où les industriels du bois indiquent qu’ils manqueront de ressource.
Or le 7 juillet 2018 le feu s’est déclaré dans la ferme photovoltaïque de Sainte-Hélène (Médoc). Le feu a détruit 11 ha de broussailles à l’intérieur du site, les pompiers ne pouvant pas intervenir, les panneaux continuant de fonctionner. Le technicien le plus proche est arrivé 1 h 30 min après le début de l’incendie. Car, comme le déclara Bruno Lafon, président de l’Association régionale de DFCI (Défense de la forêt contre l’incendie), « les parcs photovoltaïques sont des installations industrielles qui se doivent de mettre en œuvre des mesures de prévention vis-à-vis du risque incendie et des dispositions organisationnelles, avec la désignation d’un technicien d’astreinte… » (Sud-Ouest du 13 juillet 2018). Là encore nous avons besoin d’un véritable service public.

Diversification des espèces?
Il existe d’autres essences dans le paysage des Landes. Il s’agit du chêne-liège, toujours présent.Une association, Le liège gascon, se bat pour relancer la production de liège. Malheureusement encore trop considéré comme un concurrent du pin maritime, le chêne-liège est systématiquement éliminé lors des débroussaillages et des coupes rases. Sa promotion en tant qu’allié du pin est à poursuivre, notamment dans les zones où la culture du pin maritime est remise en cause pour des raisons phytosanitaires ou en raison des difficultés d’exploitation dues au relief. Il y a d’autres essences qui peuvent accompagner le pin, notamment le chêne et le robinier, excellent pour les piquets de vigne et de clôture bois, car très résistant aux intempéries.

Pour l’économie de la forêt landaise, relancer la résine
Le gemmage (récolte de la résine du pin vivant) a été abandonné en 1990 ; depuis, la qualité des produits, qui doivent être importés, a diminué. Or il serait bien d’avoir une filière sûre et propre de production de résine. En effet, 250 des 30000 substances chimiques concernées par la directive européenne REACH, qui vise à la protection de la santé humaine, proviennent du gemmage que l’on ne pratique plus en France. Il reste que la composition exacte des produits importés est souvent mal connue et que des allergisants se trouvent parfois dans les flacons importés. Au total dans le monde la production de produits résineux (colophane, essence de térébenthine) serait de 2.220.000 t, dont 1 million à partir de la gemme. La production de gemme en Europe ne représente que 2 % de la production mondiale. La forêt landaise a sa place sur ce secteur. Les utilisations de produits à base de gemme sont multiples et touchent des usages de la vie courante des gens comme des secteurs de pointe à haute technologie. Au total, la colophane et l’essence de térébenthine extraites de la résine de pins entrent dans un éventail de plus de 250 produits de consommation courante de technologies de pointe. Citons les peintures, les laques, les encres, les vernis; les pneumatiques; le marquage routier ; les adhésifs ; le chewing- gum; les produits d’entretien ; la parfumerie ; les cosmétiques ; les industries médico-pharmaceutiques ; les instruments de musique à corde (sans la colophane sur les archets on ne sortirait aucun son d’un violon) et les accordéons; encollage pour la papeterie; certains sports (danse classique, pala, handball, escalade) ; des produits réfractaires soumis à de très hautes températures, etc. Pour l’anecdote, dans la région on utilise la colophane pour plumer les canards gras ou peler les cochons à la ferme. En 2012, un espoir raisonnable est permis avec le redémarrage de la récolte de gemme en Gironde sur deux parcelles de 50 ha au Porge et autant vers Captieux, grâce au travail de Claude Courau et d’anciens gemmeurs. Claude Courau a mis au point un système innovant de récolte de la résine en mécanisant le procédé et en remplaçant les traditionnels pots par des sacs plastiques fixés directement sur le tronc, permettant de récolter la résine en vase clos, sans contact avec l’extérieur. Ce qui permet d’avoir une résine de très grande qualité. La qualité du bois issu du pin gemmé va s’accroître sensiblement, ainsi que les revenus des sylviculteurs, qui pourront sécuriser leur exploitation en diversifiant les débouchés.

Pour une véritable politique forestière
Pour conclure, deux citations de personnalités qui abordent le rapport à la forêt sous des angles convergents, soulignant l’importance multiple de cette ressource et la nécessité d’une véritable politique forestière. La première est du député André Chassaigne. Si elle date du 13 novembre 2012, elle gardera toute son actualité tant que les choses ne changeront pas. « Les crédits affectés à la forêt baisseront de plus de 12% par rapport à 2012 ! Amputée chaque année de ses moyens financiers et humains, notre politique forestière est considérablement affaiblie. Cette situation est lourde de conséquences. D’une part, elle conduit à une exploitation non maîtrisée de nos forêts publiques, et plus globalement à une sous-valorisation d’une ressource forestière de qualité : ainsi la France, troisième forêt européenne, importe massivement du bois, des meubles et des planches, occasionnant un déficit inacceptable de 6 milliards d’euros de la balance commerciale dans ce secteur. Les fonctions écologiques de la forêt sont progressivement négligées, au profit d’intérêts privés de court terme. Répondre au défi de la valorisation des forêts françaises avec l’augmentation de la production de bois, c’est aussi anticiper sur les besoins en emplois pérennes et qualifiés. Il apparaît que ces besoins ne pourront pas être satisfaits tant que perdureront les conditions actuelles de travail en forêt. Nous avons notamment en mémoire les suicides de quatre forestiers de terrain à l’été 2011, et plus largement de vingt agents patrimoniaux de l’ONF en six ans. Mais il s’agit d’un problème plus vaste qui affecte, au-delà de l’ONF, l’ensemble des travailleurs forestiers au sens large: sylviculteurs, bûcherons, débardeurs, transporteurs de grumes et, en aval, les salariés des scieries. L’amélioration des conditions de travail en forêt et en scierie est un préalable absolument nécessaire au développement de la filière forêt-bois. » La seconde est extraite de Sous les grands pins, mon passé, mes espoirs, un ouvrage de Raymond Lagardère. Ce Landais, né en 1925, membre du Parti communiste, fut métayer-gemmeur, résistant, élu local pendant plus de quarante ans; syndicaliste, il présida le Cercle ouvrier pendant trente ans et fut secrétaire général de la Fédération de gemmeurs et métayers du Sud-Ouest de 1965 à 1990. « Tout le monde sait que le propriétaire forestier attend des revenus, que l’industriel veut des matières premières à moindre coût, que le travailleur veut recevoir de quoi vivre décemment, que le chasseur veut pouvoir traquer son gibier sans difficultés, que le chercheur de champignons veut se rendre là où ils poussent, que le randonneur tient à circuler à son aise. Mais tous ont besoin de la forêt pour vivre, respirer. C’est donc bien à l’écoute de tous et par des échanges que pourra se construire notre politique forestière novatrice… »

  1. Sources : Agreste 2001 et 2005, IFN 1999, INSEE 2006. Article créé le 25 avril 2008, mis à jour le 9 décembre 2015.

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