Plantes génétiquement modifiées: Bénéfices et risques pour l’environnement, Jean-Claude Pernollet*

En France et dans les pays industrialisés, en absence de famines récurrentes et d’avantages décisifs pour le citoyen-consommateur, la situation des plantes génétiquement modifiées (PGM) est complexe, en raison de la méconnaissance des progrès de leur culture due à son développement extraordinaire depuis vingt ans. En Europe, cette ignorance est entretenue par pusillanimité ou par idéologie.

*JEAN-CLAUDE PERNOLLET est directeur de recherche honoraire de l’INRA et membre de l’Académie d’agriculture de France.


Les prises de position à l’égard des plantes génétiquement modifiées (PGM) sont marquées le plus souvent par une volonté de réfuter les modèles socio-économiques productivistes en proférant des contre-vérités, lesquelles font leur chemin d’autant plus facilement que les populations urbaines ne connaissent plus l’agriculture (< 2% de la population) qu’à travers des images d’Épinal surannées, sans rapport avec une réalité agricole qui relève aujourd’hui des hautes technologies. Or la problématique mérite une approche non simplificatrice.

BILAN GLOBAL DE LA PRODUCTION DES PGM EN 2016
Chaque année, l’ISAAA (International Service for the Acquisition of Agribiotech Applications), organisation internationale sans but lucratif dotée notamment par la FAO (Food and Agriculture Organization of the United Nations), établit un bilan exhaustif de la culture des PGM sur la planète.

Les chiffres des récoltes 2016, vingt ans après les premières cultures autorisées, montrent que le développement de la culture des PGM, tant en Amérique du Nord et du Sud, qu’en Asie et en Afrique, mais très limité en Europe, est important. En 2016, plus de 18 millions d’agriculteurs (soit 30 fois le nombre d’agriculteurs français), dont 7,1 millions de Chinois et 7,7 millions d’Indiens, cultivent des PGM dans 26 pays regroupant 60 % de la population mondiale. Plus de 90 % d’entre eux, qui cultivent 54 % des surfaces de PGM, sont des agriculteurs à faible revenu travaillant de petites surfaces. En 2016, les cultures transgéniques occupaient 185 millions d’hectares, soit plus de 13,5 % de la surface agricole de la planète, en croissance constante (3 % par an en moyenne) ; ces surfaces ont été multipliées par 110 en vingt ans. L’Europe n’autorise que la culture de quelques rares PGM, mais seuls l’Espagne et le Portugal en cultivent significativement. Elle est cependant le deuxième importateur mondial de soja (95 % transgénique) pour alimenter ses animaux d’élevage.

L’utilisation massive des PGM en Amérique du Nord autant que du Sud depuis vingt ans fournit des données factuelles irréfutables sur leurs avantages et leurs inconvénients.

En 2016, plus de 18 millions d’agriculteurs dans le monde cultivent des plantes génétiquement modifiées.

CARACTÉRISTIQUES GÉNÉTIQUES DES PGM EN 2016
La grande majorité des caractères génétiques consistent encore en tolérance à un herbicide total (HT) et résistance à des familles d’insectes (RI ou Bt), traits les plus répandus parce que les premiers à avoir été autorisés sur des cultures majeures.

Mais sont cultivés ou se développent d’autres caractères génétiques : pour les améliorations agronomiques, ce sont tolérance à la sécheresse, résistance à la salinité et à l’anoxie, optimisation de l’absorption d’azote et du rendement photosynthétique, d’une part, et thérapie génique (résistance aux maladies virales et microbiennes) et résistance aux ravageurs, de l’autre ; pour l’amélioration des aliments à destination de l’être humain et des animaux domestiques, il s’agit de biofortification (vitamines A et C), enrichissement en protéines, en acides aminés indispensables, en acides gras insaturés, élimination de toxines cancérigènes, suppression du brunissement des fruits et tubercules, etc. Les PGM à intérêt non alimentaire, soit à haute valeur ajoutée comme le molecular pharming pour produire des médicaments et des anticorps thérapeutiques, soit à but agroindustriel, n’ont pas encore atteint des productions suffisantes pour en tenir compte dans les bilans globaux.

LES ESPÈCES TRANSGÉNIQUES CULTIVÉES
En 2012, quatre espèces de grande culture, le soja, le maïs, le cotonnier et le canola (colza de printemps canadien à faible taux d’acide érucique), représentaient 99 % des surfaces transgéniques cultivées, auxquelles il faut ajouter la luzerne, en plein développement. Leurs surfaces cumulées représentent, rappelons- le, plus de 10 fois l’ensemble de la surface arable française, toutes cultures confondues. Il est important de noter que, en 2016, 78% du soja, 64 % des cotonniers, 26 % du maïs et 24 % du colza de la planète sont trans géniques. Aux États-Unis, c’est la quasi-totalité (90 à 94 %) des cultures précitées qui sont génétiquement modifiés.

Cela dit, ces espèces de grande culture ne sont pas les seules espèces impliquées, car de nombreuses nouvelles espèces transgéniques sont désormais autorisées à la culture et à la commercialisation (hors Europe) : papayer résistant à un virus, betterave sucrière HT, prunier Honey Sweet résistant au virus de la sharka, courge, haricot résistant à un virus au Brésil, poivron résistant à un virus, aubergine Bt au Bengladesh, canne à sucre tolérante à la sécheresse en Indonésie, peuplier Bt en Chine ainsi que des cultures fruitières et maraîchères…

Et on attend pour bientôt des variétés de blé (1) et de riz (les céréales les plus cultivées de la planète) génétiquement modifiées, notamment grâce aux travaux chinois, leaders mondiaux en génomique, ainsi que des bananiers enrichis en vitamine A, eucalyptus, manioc résistant à plusieurs virus, oranger, pois chiche, pomme de terre, pommier et sorgho, etc.

90% de ceux qui cultivent des PGM sont des agriculteurs à faibles revenus, travaillant sur de petites exploitations familiales, et ils font vivre 65 millions de personnes.

LES PGM ET LE RISQUE ALIMENTAIRE
En matière d’alimentation, les hypothétiques risques qui pourraient être encourus sont dramatisés, alors qu’ils s’avèrent nuls en termes de santé humaine ou animale, ce qui est attesté par un recul de vingt ans sur 2 milliards de consommateurs, et faibles et contournables pour l’environnement, même si la vigilance est de rigueur. Depuis vingt ans, en plus des tests d’homologation très rigoureux des agences nationales, des milliers de milliards de repas à base de PGM autorisées ont été consommés dans le monde sans révéler le moindre problème sanitaire. Et c’est la même situation chez les animaux d’élevage, dont des dizaines de milliards ont été nourris toute leur vie avec des PGM (la France importe massivement du soja transgénique) sans que les éleveurs ni les vétérinaires aient mis en évidence l’apparition de maladies imputables à l’aliment.

Mais la commercialisation est lente en raison de la rigueur, de la lourdeur et du coût des dossiers d’homologation (de l’ordre de 100 millions d’euros pour un ensemble de variétés), les PGM faisant l’objet d’une stricte surveillance. Ces coûts considérables sont responsables de la concentration des industries semencières au détriment des petites firmes. Quant à la rigueur, on peut comprendre à quel point elle est extrême si l’on pense que, soumis aux mêmes règles que les PGM, nombres d’aliments très courants ne seraient pas acceptés : ni les kiwis, ni le pain, ni les arachides, ni le lait ne passeraient les tests de toxicité et d’allergénicité.

LES PGM ET LES RISQUES ENVIRONNEMENTAUX
La réduction de l’usage des pesticides est manifeste avec les plantes Bt, attestée par de nombreuses études. Cette approche permet de maintenir la biodiversité sauvage et de protéger notamment les insectes auxiliaires, puisqu’au lieu d’être disséminée dans l’environnement, empoisonnant toute la faune alentour, la toxine est produite à l’intérieur de la plante et n’est par conséquent active que sur ses ravageurs. La transgénèse peut permettre d’éviter la disparition de certaines espèces du fait du développement de maladies (ç’a été le cas du papayer de Hawaii ou du prunier, ravagé par la sharka, en Europe centrale). 

Cependant il ne faut pas oublier que résistances et contournements sont parmi les plus efficaces des moteurs de l’évolution. Ainsi, la généralisation des caractères tels que la tolérance à un herbicide ou la résistance à des insectes appelle une vigilance particulière, car ils peuvent modifier les pratiques culturales et les équilibres environnementaux, d’autant que la conduite en mono culture exacerbe ces risques.

Comme pour les plantes conventionnelles, l’utilisation répétée d’un seul herbicide peut conduire à l’apparition accélérée de mauvaises herbes résistantes ; les insectes ravageurs peuvent, par divers mécanismes, devenir résistants à la toxine produite par une plante génétiquement modifiée avec le gène de cette toxine; l’éventuelle diffusion d’un gène de résistance à la sécheresse vers des plantes de l’environnement pourrait modifier l’équilibre des populations sauvages. Mais il est possible d’éviter les résistances par diffusion d’un avertissement pour que soient modifiées certaines pratiques culturales (supprimer la monoculture, inciter à la diversification phytopharmaceutique), ou encore par utilisation de zones refuges pour limiter la pression de sélection sur les insectes ravageurs (et éventuellement une solution biotechnologique en équipant la plante receveuse de plusieurs toxines insecticides distinctes). Il convient de remarquer qu’une plante transgénique créée pour améliorer une propriété nutritionnelle est neutre en termes de risques environnementaux, de même que celles rendues résistantes à des virus pathogènes qui compromettent les récoltes.

L’autre question relève de la potentielle dissémination des transgènes. Le risque de dissémination par transgénèse horizontale (c’est-à-dire entre espèces différentes) n’est pas observable à une échelle de temps humaine si ces espèces ne peuvent s’hybrider (absence de transfert constaté aux bactéries du sol ; pas de transfert constaté aux cultures conventionnelles). En revanche, ce risque est lié à l’existence dans l’environnement d’espèces végétales apparentées interfertiles : c’est le cas en Europe pour le colza et la betterave ; à l’opposé, le maïs n’a pas de partenaire dans la flore européenne, donc ne peut se croiser avec une plante sauvage de ce continent.

Comme pour l’alimentation, les risques environnementaux sont donc à considérer pour chaque espèce, pour chaque trait génétique, et les décisions sont à prendre au cas par cas.

On reproche souvent aux PGM de restreindre la biodiversité cultivée. Il y a là une grave confusion entre événement transgénique et variété. À un caractère transgénique correspondent de multiples variétés, car l’agriculteur demande des variétés adaptées à un contexte agroclimatique et économique donné. L’approche PGM apporte rapidement des traits génétiques ayant des effets intéressants, mais qui ne sauraient dispenser de créer des variétés par sélection conventionnelle, laquelle concerne un fonds génétique, et pas seulement un transgène. Ainsi, aux États-Unis, en 2012, il y avait déjà plus de 4300 variétés de maïs transgéniques MON810.

Ouvrage issu de la réflexion du groupe de travail de l’Académie d’agriculture de France.

QUI CULTIVE LES PGM ET POURQUOI
L’examen de la répartition des surfaces cultivées en PGM montre que ces cultures sont largement partagées dans le monde entre pays industrialisés et pays en développement, entre agriculture familiale et systèmes de grandes cultures industrielles. Depuis 2011, les pays émergents sont passés en tête des surfaces cultivées en PGM (54 % en 2016). En outre, 90 % des agriculteurs qui les cultivent sont des agriculteurs à faibles revenus travaillant sur de petites exploitations familiales, et ils font vivre 65 millions de personnes. On est loin de l’agriculture industrielle systématiquement associée aux PGM par leurs opposants : la culture des PGM n’est pas liée à un modèle agricole unique.

Les effets positifs des PGM expliquent leur expansion. Les agriculteurs qui adoptent les PGM ne reviennent pas en arrière pour plusieurs raisons : diminution de la pénibilité du travail (travail sans labour), accroissement de la protection sanitaire (épandages réduits de produits phytosanitaires), stabilité accrue de la production et amélioration sensible des rendements, accroissement et régularité des revenus. Concrètement, la culture des PGM aboutit à la réduction annuelle des émissions de CO2 de 23 millions de tonnes, à l’économie de près de 500 millions de kilogrammes de produits phytosanitaires, à l’économie de plus de 100 millions d’hectares de terres et à 68 % d’augmentation moyenne des revenus des agriculteurs des pays en développement.

Comparée aux autres causes de décès, la malnutrition est responsable de 9 millions de morts chaque année selon l’OMS, soit plus que la somme de toutes les autres causes majeures de mortalité confondues (sida, tuberculose, diabète, accidents de la route, paludisme). Même si la faim décline dans le monde (taux de sous-alimentation en 1990 : 19 %; en 2015 : 11 %), le nombre d’êtres humains en sous-nutrition démontre que l’amélioration génétique des plantes, comme l’intensification, est indispensable à l’alimentation humaine.

Dans ces conditions, peut-on imaginer échapper au productivisme ?

D’autant que l’avenir doit relever le défi de l’alimentation d’une population en croissance : pour nourrir une population de plus de 9 milliards d’habitants en 2050, il va être nécessaire d’augmenter la production agricole de 70 %, selon la FAO, sans guère augmenter les surfaces cultivées (et sans prendre en compte les productions agricoles autres qu’alimentaires) et avec moins d’eau, moins d’engrais et moins de pesticides, dans des conditions de changement climatique global. Aucun moyen ne peut être écarté pour relever ces défis cruciaux pour l’avenir de l’humanité. Bien que la transgénèse ne soit pas une panacée, elle mérite d’être évaluée dans une approche de type coûts/bénéfices, prenant en compte les différents contextes sociaux, écologiques et économiques, en évitant toute instrumentalisation idéologique.

Pour avancer dans ce débat, il est indispensable que le public puisse bénéficier d’informations loyales et fiables, fondées sur l’expérience de l’usage des PGM et des avancées scientifiques, et que soient dénoncées les contre-vérités et inexactitudes propagées par certains groupes de pression (2).

(1) On peut s’étonner qu’une plante d’une telle importance n’ait pas encore été l’objet de transgénèse ; c’est la complexité de son génome (c’est une plante hexaploïde) et de son étude qui a été jusqu’à présent le facteur limitant.
(2) Ces réflexions sont issues d’un groupe de travail de l’Académie d’agriculture de France (rapport sur les plantes génétiquement modifiées, 2013 : http://www.academieagriculture.fr/academie/groupes-de-travail/plantes-genetiquement-modifiees), lesquelles ont été publiées dans un ouvrage collectif : J.-Cl. Pernollet (coord.), Plantes
génétiquement modifiées, menace ou espoir ?, Quæ, 2015.

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