En France, il existe 650 sites Seveso seuil haut, et 7 millions de citoyens sont riverains de ces sites et exposés aux risques industriels ; en outre, le danger augmente pour les salariés présents dans les installations. Une loi de 2003 prétend en réduire ces risques. Faut-il éloigner les riverains, dont beaucoup sont d’anciens ou d’actuels salariés de ces entreprises, ou recréer des emplois pour renforcer la sécurité ? Et qui doit payer ?
*MICHEL LE CLER et SYLVESTRE PUECH sont des responsables de la Coordination nationale des associations riveraines des sites Seveso.
En réaction à l’émoi suscité par l’explosion de l’usine AZF en septembre 2001, la loi no 2003- 699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques, communément appelée loi Bachelot, été votée. Cette loi introduit les plans de prévention des risques technologiques (PPRT) qui visent « à améliorer la coexistence des sites industriels à hauts risques avec leurs riverains, en améliorant la protection de ces derniers tout en pérennisant les premiers ».
DES INTENTIONS AUX RÉALITÉS
À l’étude de danger, réalisée par le seul industriel, doivent désormais être adjointes par l’exploitant des propositions de travaux afin de réduire les risques à la source. Mais la notion de travaux « économiquement acceptables » ajoutée par le législateur vient limiter considérablement l’objectif de réduction des risques à la source, d’autant que cette limite est laissée à la seule appréciation de l’exploitant. Dès lors, de nombreuses options techniques sont écartées, sans discussion, au seul motif de leur coût. Pour éloigner les riverains du danger, l’ensemble aboutit alors à des mesures d’urbanisme imposées aux riverains, avec expulsion ou travaux à la clé. Il en résulte dans les faits un transfert des charges financières vers les riverains, les collectivités locales et l’État. Source de mécontentement, l’organisation des PPRT se met en place à pas feutrés. Il faut beaucoup de détermination et de pugnacité aux riverains pour obtenir les informations relatives aux dangers existants sur les sites Seveso seuil haut auxquels ils sont confrontés et autant de volonté pour intégrer les instances officielles tels les POA (Personnes et Organismes Associés), les CLIC (Comités Locaux d’Information et de Concertation), devenus CSS (Commissions de Suivi de Site). Il est d’ailleurs intéressant de constater que le « comité local d’information et de concertation » n’est plus qu’une « commission de suivi de site », nuance qui en dit long sur la volonté de transparence du législateur. À cette réalité s’ajoute la sous-représentativité des riverains dans ces différentes instances, ce qui tient au fait qu’ils ne disposent ni de temps institutionnel ni de moyens financiers pour assumer pleinement leur mandat de représentants des riverains.
ENSEMBLE POUR QUE LES INDUSTRIELS PRENNENT LEURS RESPONSABILITÉS
Face aux impacts des PPRT sur les populations des zones économiques riveraines des sites Seveso, les associations de défense des riverains de leur secteur ont constitué, le 12 février 2012, à Donges, la Coordination nationale des associations riveraines des sites Seveso, un outil qui leur permet d’échanger et d’agir collectivement. Tout en rappelant leur attachement à l’emploi et à son développement, qui ne peut pas se faire à n’importe quel prix, les participants déclarent l’industriel responsable des risques, demandent la création d’une réglementation l’obligeant à « réduire les risques à la source » et de ne pas laisser la primauté au principe « d’économiquement acceptable ». Dans le même temps, ils veulent multiplier les démarches auprès de tous les élus, quel que soit leur niveau de responsabilité, afin de les sensibiliser aux difficultés liées à la mise en place des PPRT. Conséquemment, ils réclament le gel de tous les PPRT et un moratoire sur leur mise en place. Plusieurs élus revendiquent une « mise à plat de la loi Bachelot », voire son abrogation. Or le discours a évolué étrangement pour se focaliser sur le seul financement de travaux de renforcement du bâti, que la Coordination considère toujours comme inadaptés, inefficaces et coûteux. Notons que le financement des mesures annoncées est principalement supporté par les collectivités territoriales et l’État (donc par le contribuable) et que l’industriel responsable des risques n’est concerné que pour un quart des dépenses ! La Coordination nationale des associations riveraines des sites Seveso s’interroge toujours sur les raisons de cette modification du discours. Est-ce pour se donner bonne conscience ? Y a-t-il volonté de faire oublier la responsabilité de l’industriel ? Les lobbies du pétrole sont-ils si influents au sein des différentes instances officielles, notamment au Parlement, pour empêcher toute inflexion gouvernementale? S’agit-il d’un manque de courage politique? La santé, la vie des riverains, leur sécurité, sont-elles considérées comme négligeables comparativement aux profits financiers espérés par les groupes industriels ? Il est singulier de remarquer que le système mis en place, hormis le fait qu’il contraint le riverain à se protéger de risques dont il n’est pas responsable et à prioriser des travaux lorsque ceux-ci dépassent 10 % de la valeur vénale du bien ou 20 000 €, revient de fait à dédouaner l’État et l’industriel de leurs responsabilités.
UN ENGAGEMENT POLITIQUE EN DEÇÀ DES ATTENTES
Il faut attendre l’engagement de plusieurs parlementaires du Front de gauche pour qu’un projet de résolution relative à un moratoire sur la mise en oeuvre des PPRT soit déposé sur le bureau des résolutions de l’Assemblée nationale le 12 septembre 2013, et du Sénat le 18 octobre 2013.Nous tenons à les en remercier. Ce texte sera présenté au Sénat le 11 décembre 2014 devant un parterre… d’une demi-douzaine de sénateurs. Pourtant, aucun parlementaire à ce jour ne peut affirmer « Je ne savais pas »: trop nombreuses sont les interventions écrites et orales des membres de la Coordination pour toutes les citer. Nous avons le sentiment profond que la sécurité des riverains impactés par un PPRT n’est pas le souci premier des élus. Le 15 juin 2016, à l’occasion d’une commission d’information organisée dans la salle du Développement durable à l’Assemblée nationale, cette tendance s’est malheureusement confirmée: la Coordination nationale souhaitait la mise en place d’« une mission d’information sur la loi Bachelot et les PPRT » afin d’entendre les réponses politiques aux inquiétudes et propositions émises par les riverains. Récemment (juillet 2016), un député des Pyrénées-Atlantiques a posé une question essentielle à la ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer. S’appuyant sur les arguments développés par la Coordination, il lui demande si les conditions de mise en oeuvre des PPRT pour les activités économiques riveraines des sites à risques visant à apporter des adaptations nécessaires à la loi de 2003, en application de l’ordonnance du 22 octobre 2015 et du projet de loi la ratifiant en février 2016, permettent de répondre aux attentes des riverains (les habitations sont soumises à des obligations dont sont dispensées les entreprises de la zone). Il ne peut y avoir deux lectures d’un même texte: des règles adaptables pour les activités économiques riveraines des sites Seveso, et contraignantes pour les habitants riverains de ces mêmes sites.
POUR PLUS D’ÉQUITÉ
En conclusion, la Coordination nationale et les associations qui la composent réaffirment la nécessité de réviser la loi Bachelot. Ensemble, elles considèrent que des adaptations législatives et réglementaires du dispositif restent possibles afin qu’il soit plus favorable aux riverains et plus respectueux de leurs exigences. Elles insistent également sur l’indispensable équité qui doit être la règle dans la mise en place des plans visant à assurer la sécurité des habitants. Enfin, elles souhaitent plus d’écoute de la part des élus politiques aux demandes et propositions formulées par les citoyens responsables.