Sans les sciences, pas de visibilitĂ© sur lâampleur, les causes et lâĂ©volution du rĂ©chauffement climatique. Ces connaissance se construisent grĂące Ă des chercheurs et des laboratoires, dont le coĂ»t doit ĂȘtre assumĂ© et les budgets pĂ©rennisĂ©s.
*Anne Mesliand est responsable de la commission Enseignement supérieur Recherche du PCF .
En ce qui concerne le climat et la prise de conscience du dĂ©rĂšglement climatique, tout a commencĂ© grĂące Ă la science. Et ce depuis longtemps, puisque la problĂ©matique de lâeffet de serre est posĂ©e dĂšs 1845 par le Français Jacques Joseph Ebelmen ; puis, vers 1860, le physicien irlandais John Tyndall donne sa forme moderne Ă cette question. Les travaux du SuĂ©dois Svante August Arrhenius, prix Nobel de chimie en 1903, montrent le rĂŽle essentiel de lâeffet de serre dans les changements climatiques.
Si on ne peut retracer ici toutes les Ă©tapes des recherches sur le climat, il faut souligner le rĂŽle crucial des scientifiques dans la mise en Ă©vidence du risque que reprĂ©sente le changement climatique. Ce sont eux qui ont alertĂ© les politiques. Ainsi, lors de la premiĂšre ConfĂ©rence mondiale sur le climat, Ă GenĂšve en 1979, la communautĂ© scientifique met en garde les gouvernements contre les changements climatiques dâorigine anthropique.

Les scientifiques participeront ensuite Ă toutes les confĂ©rences internationales. Le GIEC est créé en 1988. Ce groupe dâexperts prĂ©sente un mode dâorganisation et de travail qui en fait un modĂšle de coopĂ©ration scientifique et dâinteraction avec les pouvoirs publics. Ses rapports â le 5e est paru en novembre 2014 â constituent souvent la base des dĂ©bats politiques et sociĂ©taux que nous vivons (ils sont disponibles en ligne, en de nombreuses langues). Notons toutefois une contradiction profonde entre les discours officiels et les politiques menĂ©es : alors que lâurgence climatique apparaĂźt de plus en plus clairement, les moyens des laboratoires de climatologie ne cessent de se rĂ©duire. Le CEA et le CNRS voient ainsi leurs crĂ©dits baisser, et en particulier ceux allouĂ©s aux laboratoires en climatologie, qui pour la plupart appartiennent Ă ces Ă©tablissements. Lorsque le transfert dâun joueur de football coĂ»te plus cher que le budget annuel dâun laboratoire, il sâagit bien dâune question politique.
Jean Jouzel, du GIEC, le souligne : « La France doit maintenir une recherche scientifique de trĂšs haut niveau sur les sciences du climat »1 . Visiblement, notre gouvernement ne suit pasâŠ
TOUS LES DOMAINES SCIENTIFIQUES SONT CONCERNĂS
De maniÚre générale, une recherche scientifique forte et de haut niveau est nécessaire pour traiter des enjeux du réchauffement.
Et tous les domaines scientifiques sont concernĂ©s. En effet, la question du climat amĂšne Ă se prĂ©occuper de beaucoup dâautres questions qui sâenchaĂźnent ; celles de la faune et de la flore affectĂ©es par les changements climatiques, par exemple⊠Aussi, la comprĂ©hension des changements climatiques nĂ©cessite de pouvoir faire de la biologie, de la gĂ©ologie, de la botanique et de la zoologie, de la chimie, de lâĂ©cologie, de la palĂ©ontologie, et de la physique, des mathĂ©matiques, de lâinformatiqueâŠ, et mĂȘme de la sociologie, de lâĂ©conomie et de lâhistoire.
Les changements climatiques obligent Ă©galement Ă sâoccuper de questions sociĂ©tales. ValĂ©rie Masson Delmotte2 lâindique en ces termes : « Nous ne pouvons plus sĂ©parer la question du climat des autres enjeux sociĂ©taux. Elle sâinscrit dans une problĂ©matique beaucoup plus large, celle du triptyque Ă©cologie-Ă©conomie-social du dĂ©veloppement durable. » Les migrations en donnent un aperçu. Toute la sociĂ©tĂ© est concernĂ©e, donc Ă©galement les sciences humaines et sociales. « On ne peut plus parler de sciences sans parler de la sociĂ©tĂ©, de lâhomme, de lâaction Ă©conomique. Et de lâhistoire, car en Afrique les populations subissent toujours les pollutions hĂ©ritĂ©es du colonialisme. »3.
UNE RECHERCHE FONDAMENTALE…
Il est par ailleurs utile de rappeler dans ce contexte quâon ne peut assigner Ă la recherche un « but » dĂ©fini par avance. Les dĂ©couvertes, les avancĂ©es scientifiques ne se font pas ainsi : on ne « trouve » pas sur ordre. La recherche ne peut ĂȘtre pensĂ©e de maniĂšre utilitariste mais, au contraire, dans une vision globale de la science et du processus des connaissances. Cette dĂ©marche implique des coopĂ©rations entre disciplines et entre organismes de recherche, ainsi quâau plan international comme le dĂ©montre le travail du GIEC. Câest lĂ le contraire de la concurrence fondĂ©e sur lâexigence de rentabilitĂ© que les politiques libĂ©rales veulent assigner comme mĂ©thode et finalitĂ© Ă la recherche scientifique. La compĂ©titivitĂ© nâest pas compatible avec lâexercice de la recherche.
… ET DES BUDGETS PĂRENNES !
Pour que la recherche puisse correctement se dĂ©velopper, il faut donc des budgets pĂ©rennes, des chercheurs non prĂ©caires et de la dĂ©mocratie. DĂ©mocratie pour la communautĂ© scientifique, qui doit ĂȘtre maĂźtresse de ses choix et pouvoir se faire entendre ; dĂ©mocratie citoyenne aussi, afin de promouvoir des dĂ©cisions conformes Ă lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, au rebours de celles qui favorisent les profits des multinationales. Par ailleurs, les observations et Ă©valuations sur lesquelles se fondent les dĂ©cisions doivent relever dâune maĂźtrise publique.
LâindĂ©pendance intellectuelle des travailleurs scientifiques doit aussi ĂȘtre assurĂ©e. On connaĂźt le poids des lobbies, lâĂ©nergie et les moyens quâils dĂ©ploient en particulier lorsquâil sâagit du climat, naguĂšre pour nier lâexistence du rĂ©chauffement climatique, aujourdâhui pour nier la responsabilitĂ© de lâhomme en la matiĂšre. Câest au prix dâune recherche publique de qualitĂ© quâon pourra vĂ©ritablement rĂ©pondre aux dĂ©fis du rĂ©chauffement. De mĂȘme, les observations et Ă©valuations sur lesquelles se fondent les dĂ©cisions doivent relever dâune maĂźtrise publique, ce qui Ă lâheure actuelle nâest pas toujours le cas. La coopĂ©ration internationale et le transfert de connaissances et de technologies vers les pays du Sud sont absolument incontournables si lâon veut atteindre les objectifs des diffĂ©rents protocoles internationaux, et plus globalement de rĂ©aliser un dĂ©veloppement mondial solidaire et durable.
En juillet, plus de 2 000 scientifiques ont participĂ© Ă Paris au colloque «Notre avenir commun sous le changement climatique ». « Câest une maniĂšre pour nous, les scientifiques, dâapporter notre contribution Ă la ConfĂ©rence sur le climat », indique Jean Jouzel, un des organisateurs.
En septembre, la FĂȘte de lâHumanitĂ© a lancĂ© un appel pressant pour la rĂ©ussite de la COP21, pour en faire une grande affaire populaire. « Il serait criminel de continuer Ă tergiverser et faire primer les intĂ©rĂȘts du capital et la course au profit sur le devenir de la planĂšte », disait Pierre Laurent. Câest bien de la convergence, de la rencontre de ces deux mouvements, celui de la science et celui du mouvement populaire, de la discussion entre chercheurs et citoyens, que pourront advenir les changements, dont aussi bien la connaissance scientifique que lâexpĂ©rience sociale et les aspirations humaines montrent lâurgente nĂ©cessitĂ©.
1. Les défis du CEA, sept. 2013, no 182.
2. Paléo-climatologue et co-auteur du 5e rapport du GIEC.
3. Amadou Thierno Gaye, ancien responsable du GIEC pour lâAfrique, lâHumanitĂ©, 16 sept. 2015.
LE GIEC
Ouvert Ă tous les membres de lâOrganisation des Nations unies et de lâOrganisation mĂ©tĂ©orologique mondiale (OMM), le Groupe intergouvernemental dâexperts sur lâĂ©volution du climat compte aujourdâhui 195 pays membres. Sa mission est de rassembler, dâĂ©valuer et de synthĂ©tiser lâinformation scientifique disponible dans le monde entier. Il nâest donc pas un organisme de recherche mais un lieu dâexpertise. Des milliers de scientifiques du monde entier contribuent aux travaux du GIEC sur une base volontaire, en tant quâauteurs, collaborateurs et examinateurs. Aucun dâeux nâest rĂ©munĂ©rĂ© par le GIEC. Il prend ses grandes dĂ©cisions lors dâassemblĂ©es plĂ©niĂšres auxquelles participent les reprĂ©sentants des gouvernements. Les travaux du groupe dâexperts sont par consĂ©quent susceptibles dâorienter les politiques sans pour autant prĂ©coniser des choix prĂ©cis.
Jean Jouzel, climatologue, vice-prĂ©sident du groupe scientifique du GIEC : « Lâune des caractĂ©ristiques du GIEC est le mode dâĂ©laboration de ses rapports : ils sont rĂ©digĂ©s au cours dâun processus dont la phase intensive dure environ deux ans. Ă chaque Ă©tape, les textes sont soumis Ă lâextĂ©rieur (communautĂ© scientifique, experts gouvernementaux). En 2013, nous avons ainsi reçu 54 517 commentaires sur les travaux du groupe 1. Les auteurs doivent prendre en compte tous ces commentaires et, dans le cas contraire, sâen expliquer. MĂȘme soumis Ă lâapprobation des gouvernements, le rapport nâĂ©chappe pas aux scientifiques. Ce processus donne au rapport du GIEC sa visibilitĂ© et permet aux dĂ©cideurs de se lâapproprier. MalgrĂ© sa complexitĂ©, je crois Ă la vertu et Ă la force de lâexpertise collective. »