Alors que les inégalités explosent dans le monde et que l’argent coule à flot pour soutenir et subventionner le pétrole, le Fonds vert de solidarité reste, lui, sous-doté. De plus, sur fond d’enjeux climatiques, toute une nouvelle géopolitique se dessine.
*LYDIA SAMARBAKHSH est membre de la coordination nationale du PCF. Elle est responsable du secteur international du Conseil national du PCF.
UN CONTEXTE D’INÉGALITÉS
À la veille du dernier Forum économique mondial de Davos (janvier 2015), l’ONG Oxfam publiait son rapport sur les inégalités, qui mérite d’être relu dans ces semaines qui nous séparent de la COP21. Car dans quel contexte s’inscrit cette conférence de l’ONU que la diplomatie française voulait aussi historique que celle de Kyoto ? Dans celui qui voit, selon les termes de l’ONG, « les inégalités économiques s’amplifier rapidement dans la plupart des pays. Les richesses du monde sont divisées en deux : près de la moitié est entre les mains des 1 % les plus riches, tandis que 99 % de la population mondiale se partagent l’autre moitié ». Par ailleurs, l’Observatoire des inégalités précise que 83 % des richesses accumulées dans le monde sont détenues par 8 % de la population mondiale. Les inégalités s’aggravent dans chaque pays, mais aussi entre pays et régions du monde, et même dans chaque région elle-même.
C’est le résultat de l’offensive néolibérale et de la financiarisation de l’économie qui ont donné les pleins pouvoirs à des consortiums qui ne représentent pas plus des intérêts nationaux que l’intérêt général. La dérégulation, l’expansion du libre-échange et la domination mondiale de la finance cherchent en outre à s’affranchir de toute souveraineté des États et des peuples dans une situation, résumée par le président bolivien Evo Morales, où « 15 multinationales contrôlent à elles seules, 50 % de la production mondiale des richesses. »
Si le dérèglement climatique affecte durement toutes les régions du monde, une étude du cabinet Maplecroft révèle qu’il sera plus dramatique pour 67 pays particulièrement vulnérables. Parmi ces 67 États, les 10 pays les plus exposés sont parmi les plus pauvres du monde.
Autrement dit, l’enjeu central de la COP21 est de parvenir à un accord global contraignant sur le plan juridique, mais aussi différencié, devant permettre d’inverser radicalement les transferts entre pays industrialisés et pays en développement au profit de ces derniers, en particulier en matière de transferts de connaissances et de technologies. À l’approche de la conférence, les chances sérieuses d’aboutir à un tel accord doté d’engagements effectifs et à la hauteur des enjeux diminuent. Les annonces de juillet et août 2015 sur les engagements de réduction des émissions de gaz à effets de serre jouent pour la plupart sur les années de référence et/ou les échéances. La part de responsabilité sociale et climatique des transnationales et entreprises tend à passer quant à elle au second plan.
Comme le soulignait Nicolas Hulot le 24 août 2015 : « La réussite de la COP21 est entre les mains des pays les plus riches. […] Si on ne sort pas de l’orthodoxie financière, comment voulez-vous répondre aux besoins d’adaptation et de développement des pays les plus vulnérables, qui payent les effets pervers de notre modèle de croissance ? »
La lutte contre le réchauffement climatique représente un défi mondial qui appelle des décisions et des engagements politiques fondés sur les principes d’équité, de justice et de solidarité.
AVANTAGE PÉTROLE

Or la conférence va se dérouler après une année de « guerre des prix du pétrole » engagée par l’Arabie saoudite, qui a provoqué en six mois un effondrement de 55 % des cours du baril, mettant en difficulté des économies nationales comme celle du Venezuela ou de la Russie ; et ce alors que, selon une étude de l’OCDE publiée le 21 septembre 2015, les énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) captent 500 milliards de dollars par an de subventions des États et gouvernements, États-Unis en tête. Ce sont les mêmes qui rechignent à abonder le Fonds vert pour le climat, mis en place par l’ONU pour réaliser les transferts de fonds des pays les plus riches vers les pays les plus vulnérables afin que ceux-ci s’adaptent au réchauffement climatique, visant 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 (il reste sous-doté à hauteur de 10 milliards depuis sa création). La conférence va aussi se dérouler après la récente découverte de gisements gaziers dans la Méditerranée, mais aussi l’accord sur le nucléaire civil iranien et la perspective de levée des sanctions, ainsi que la relance de la compétition pour le contrôle et l’exploitation des ressources pétrolières et gazières de l’Arctique.
LA DETTE CLIMATIQUE
Dans ce contexte, il est important de rappeler que la dette climatique n’est pas celle des pays émergents mais bien celle des pays les plus industrialisés et les plus riches. L’autre débiteur de cette dette est le secteur marchand, financier et industriel, en particulier les transnationales qui non seulement délocalisent les industries les plus polluantes vers les pays du Sud, saccagent les écosystèmes pour accroître leurs profits, empoisonnant au passage les populations, mais aussi empêchent le développement des pays émergents et la maîtrise de leurs ressources, foulant au passage les droits humains et sociaux. Contre cela surgissent des initiatives comme celle du président équatorien Rafael Correa, lorsqu’il propose la notion d’« émissions nettes évitées » visant à « récompenser » les pays non polluants. Il remet ainsi en cause une division mondiale du travail injuste, les injonctions de l’OMC ainsi que les obstacles juridiques et institutionnels mis aux transferts des connaissances et technologies dont ces pays ont besoin pour atténuer les effets du réchauffement, mais aussi pour se développer. Dans le même esprit, le président bolivien Evo Morales, reçoit en octobre 2015 le 2e Sommet des peuples sur le changement climatique et la défense de la vie, réunissant forces sociales, associatives, politiques porteuses d’alternatives aux logiques libérales et au système d’exploitation capitaliste. Cette dernière initiative cherche à dessiner les contours de nouveaux choix de civilisation : le bien-vivre en lieu et place de l’exploitation et de la domination.
GÉOPOLITIQUE SOUS FOND D’ENJEUX CLIMATIQUES
Du côté des grandes puissances, les attitudes différentes des États-Unis et de la Chine sont révélatrices des contradictions de ces pays, non seulement parce qu’ils ne sont pas au même niveau de développement, mais aussi parce que leur capacité de connivence est très limitée : ces deux États sont dans une « étrange relation » mêlant interdépendance économique et financière et rivalité, voire hostilité, stratégique. Ces ambiguïtés sont soulignées par la déclaration du président chinois Xi Jinping dès son arrivée en visite officielle aux États-Unis le 22 septembre 2015 : « La Chine et les États-Unis devraient clairement indiquer les intentions stratégiques de l’une et de l’autre, promouvoir la coopération gagnant-gagnant, régler leurs différends de façon correcte, chercher efficacement davantage de terrain commun, et renforcer les échanges entre les peuples. »
D’autre part, les États-Unis et la Chine ne partagent pas la même vision du monde ni de leurs rôles au plan international. Les États-Unis d’un côté demeurent soucieux de préserver leur leadership sur un monde qu’ils veulent unipolaire, tandis que la Chine mise à plein sur le multilatéralisme qui lui « sert de plate-forme » pour remplir ses objectifs dans un monde qu’elle voit multipolaire.
Au sein du G77 + Chine, cette dernière affiche des ambitions et une démarche qui ne sont pas celles des États-Unis: « Nous soulignons que nos principales priorités sont de promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et équitable, de créer davantage de possibilités, pour tous, de réduire les inégalités, d’améliorer les conditions de vie de base, d’encourager un développement social équitable pour tous et de promouvoir une gestion intégrée et durable des ressources naturelles et des écosystèmes, en faveur, notamment, d’un développement économique, social et humain qui tienne compte de la protection, de la régénération, de la restauration et de la capacité d’adaptation des écosystèmes face aux nouveaux problèmes qui se font jour » (déclaration du Sommet des chefs d’État et de gouvernement du G77 + Chine, juin 2014, Bolivie).
Bien que la Chine entende poursuivre son développement pour relever aussi le défi de la résorption des inégalités chez elle, elle entreprend en même temps – poussée par une opinion publique nationale qui en souffre et se mobilise – de s’attaquer aux graves conséquences sur la santé du taux de pollution dans le pays, en cherchant à diversifier ses modes de production énergétique. Les autorités ont accéléré les fermetures d’usines polluantes – malgré des conséquences sociales lourdes –, ou encore la création d’un parc photovoltaïque dans le désert de Gobi qui, en six ans, la place au 2e rang mondial, après l’Allemagne, pour la production d’électricité solaire. Ces différences d’approches n’ont pas empêché Chinois et États-Uniens d’annoncer fin 2014 et en 2015, à l’occasion du Sommet de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation), des objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre insuffisants, tant en termes d’ambitions que d’échéances. Si les grandes puissances industrialisées avaient mis autant de volonté et déployé autant d’efforts à atteindre, malgré leurs imperfections, les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) définis par l’ONU qu’à déréguler, à exploiter les ressources et richesses nationales des pays en développement, à marchandiser les biens universels et à développer le libre-échange, la question du réchauffement climatique se poserait dans des termes bien différents.
LA BATAILLE POUR L’ÉGALITÉ
La lutte contre le réchauffement climatique passe par une bataille pour l’égalité. Elle suppose des solutions écologiques novatrices centrées sur la satisfaction des besoins humains et sociaux, comme la garantie du droit universel à l’énergie, sur le développement; mais aussi des solutions solidaires qui apportent plus de soutien à ceux qui en ont le plus besoin et qui mettent à contribution ceux qui ont le plus de moyens ; des solutions, enfin, qui remettent en cause les logiques dominantes et les modèles de développement, de croissance et de production capitalistes. Les dirigeants capitalistes savent que le cœur de l’affrontement est sur ce terrain. La prise de conscience progresse sur le fait que la lutte contre le réchauffement climatique et pour une transition écologique et énergé- tique globale est indissociable de l’exigence d’un développement humain et social. Elle peut ne pas déboucher à la COP21, mais rendez-vous est pris avec l’histoire.