AprĂšs la chasse, lâagriculture est la plus ancienne activitĂ© humaine. Au cours des millĂ©naires, elle a structurĂ© la vie de nos ancĂȘtres, remodelĂ© les paysages et modifiĂ© lâĂ©cosystĂšme. Aujourdâhui, le rĂ©chauffement climatique lui pose de nouveaux problĂšmes.Â
*Michel Griffon est chercheur agronome et Ă©conomiste, ancien directeur scientifique du CIRAD (Centre de coopĂ©ration en recherche agronomique pour le dĂ©veloppement), directeur de lâAgence nationale de la recherche.
LA PLUS VIEILLE ACTIVITĂ HUMAINE ET SIX « RĂVOLUTIONS »Â
Lâagriculture a plus de 12 000 ans ! En France, elle ne reprĂ©sente plus que 3 % de lâemploi. Mais lâimportance en est tout autre : prĂšs de 1 emploi sur 5 se situe dans le domaine qui, au-delĂ de lâagriculture, englobe toute lâactivitĂ© liĂ©e Ă lâagroalimentaire ; câest un secteur Ă gros volume dâexportation, auquel on a donnĂ© le nom de « bioĂ©conomieÂč » ; dans le monde, 1 personne sur 2 dĂ©pend de ce secteur. Lâagriculture sâinscrit dans un cadre large, celui de lâutilisation des Ă©cosystĂšmes pour se nourrir, se vĂȘtir, se loger, se chauffer et se soigner, et toutes les transformations affĂ©rentes de produits primaires. Six rĂ©volutions techniques se sont enchaĂźnĂ©es Ă travers lâhistoire. Les sociĂ©tĂ©s humaines ont dâabord Ă©tĂ© des sociĂ©tĂ©s de chasseurs-cueilleurs vivant de techniques de chasse au gros gibier et qui ont Ă©tendu leur territoire Ă trĂšs longue distance. Aujourdâhui, les populations de chasseurs-cueilleurs ont presque disparu.Â

(Ăgypte ancienne).
La premiĂšre rĂ©volution a Ă©tĂ© celle de lâagriculture, principalement en MĂ©sopotamie. La gĂ©nĂ©tique a permis aprĂšs plusieurs millĂ©naires dâinvestissement de simplifier lâalimentation humaine autour dâun petit nombre de plantes. Lâirrigation reste la pratique la plus efficace pour accroĂźtre les rendements. Le dĂ©frichage par le feu reste le moyen principal dâextension des surfaces cultivĂ©es dans les rĂ©gions tropicales. Une grande partie de lâagriculture des pays pauvres reste fondĂ©e sur une technologie manuelle nĂ©olithique faisant suite Ă la dĂ©forestation.Â
La deuxiĂšme est la rĂ©volution antique, fondĂ©e sur lâaraire et la traction attelĂ©e de maniĂšre Ă prĂ©parer les sols pour les semis plus efficacement quâavec un bĂąton fouisseur. Câest encore aujourdâhui la pratique de la majoritĂ© des agricultures pauvres du monde.
La troisiĂšme est mĂ©diĂ©vale et repose sur la charrue attelĂ©e, capable dâĂ©liminer la strate des herbes qui sâĂ©tait dĂ©veloppĂ©e avec le temps en remplacement de la forĂȘt et qui concurrençait dangereusement les cĂ©rĂ©ales cultivĂ©es.Â
La quatriĂšme est la rĂ©volution fourragĂšre. Le labour demandait beaucoup dâĂ©nergie de la part des animaux (bĆufs et chevaux), donc beaucoup dâalimentation Ă©nergĂ©tique et dâespace productif destinĂ© Ă ces animaux de traction, ce qui entrait en concurrence avec lâalimentation humaine. La culture des lĂ©gumineuses a permis Ă la fois de fournir des nutriments aux sols et dâaccroĂźtre le rendement des fourrages, et partant de diminuer lâespace consacrĂ© Ă lâalimentation des animaux.Â
La cinquiĂšme est la mĂ©canisation, dâabord animale puis couplĂ©e aux tracteurs. La longue durĂ©e du travail agricole devenant une limitation Ă la production, la mĂ©canisation a levĂ© ce verrou (semis, binage, fauchage). Lorsque le pĂ©trole a remplacĂ© les animaux, il a Ă©tĂ© possible de rĂ©cupĂ©rer la surface destinĂ©e Ă alimenter les animaux de traction. La motorisation sâest dâabord dĂ©veloppĂ©e dans les pays ayant de trĂšs grandes exploitations.Â
La sixiĂšme est la « rĂ©volution verte », qui est apparue Ă partir des annĂ©es 1930 dans les pays techniquement avancĂ©s. Elle combine les variĂ©tĂ©s sĂ©lectionnĂ©es, les engrais chimiques, les produits phytosanitaires et la motorisation. Les hausses de rendement ont Ă©tĂ© importantes.Â
Les diffĂ©rentes techniques qui caractĂ©risent ces rĂ©volutions sont encore utilisĂ©es, en fonction du degrĂ© de richesse des agricultures. Ce qui fait que se cĂŽtoient dans le mĂȘme monde, dans une gamme Ă©tendue, de trĂšs petites exploitations peu productives utilisant des technologies nĂ©olithiques, ou antiques, ou mĂ©diĂ©vales… jusquâĂ celles Ă haute productivitĂ©.Â
LâAGRICULTURE ET LA PAUVRETĂÂ

En parallĂšle sâest dĂ©roulĂ©e une histoire Ă©conomique marquĂ©e par deux progressions : le passage de la propriĂ©tĂ© commune Ă la propriĂ©tĂ© privĂ©e du sol et la progression gĂ©ographique de lâĂ©conomie de marchĂ© jusquâĂ la mondialisation dâaujourdâhui. Entre le XVIe et le XIXe siĂšcle, lâexcĂ©dent dĂ©mographique de lâEurope sâest dĂ©versĂ© sur les AmĂ©riques, lâAfrique du Nord et du Sud et lâAustralie, crĂ©ant des colonies oĂč se sont constituĂ©es de trĂšs grandes exploitations au dĂ©triment des droits des autochtones. Aujourdâhui, ces trĂšs grandes exploitations hĂ©ritiĂšres de la colonisation sont celles qui ont les niveaux de productivitĂ© les plus Ă©levĂ©s Ă coĂ»ts de production les plus bas (BrĂ©sil, Argentine, Ătats-Unis…), et donc les plus compĂ©titives ; elles concurrencent les exploitations de productivitĂ© beaucoup moins Ă©levĂ©e. Cela incite les pays aux agricultures non compĂ©titives Ă importer des aliments venant des pays aux agricultures compĂ©titives, ce qui aboutit Ă maintenir dans la marginalitĂ© les petites unitĂ©s agricoles locales.Â
Selon les projections des Nations unies sur lâĂ©volution dĂ©mographique, la population mondiale devrait atteindre un effectif de 9,7 milliards dâhabitants en 2050, et peut-ĂȘtre 11 milliards avant 2100, avec la plus forte croissance en Afrique subsaharienne. Ce continent va donc voir sa densitĂ© de population augmenter fortement, ce qui pourrait provoquer des migrations internes et internationales plus importantes quâaujourdâhui. Le dĂ©veloppement Ă©conomique en cours crĂ©e des emplois, et la mondialisation devrait permettre de dĂ©localiser dâautres emplois au bĂ©nĂ©fice de lâAfrique, oĂč les salaires sont bas. Il reste que les emplois dĂ©localisĂ©s seront vraisemblablement de plus en plus productifs, ce qui pourrait en limiter le nombre. Se pose ainsi une sĂ©rie de questions : Quelles activitĂ©s Ă©conomiques permettront de faire vivre une population qui pourrait atteindre plus de 3 milliards dâhabitants dans ce continent ? Lâagriculture devra-t-elle accueillir cette population ? Quelles en seraient les consĂ©quences ?
LA DĂTĂRIORATION DE LA BIOSPHĂRE
Lâagriculture et les Ă©cocultures actuelles exploitent la biosphĂšre en la transformant, ce qui est le cas depuis quelque12 000 ans. Cette exploitation a provoquĂ© des dĂ©tĂ©riorations : la dĂ©forestation et ses consĂ©quences en matiĂšre dâĂ©rosion, dĂ©jĂ dĂ©noncĂ©es par Platon, existent depuis que les populations orientales ont pĂ©nĂ©trĂ© en Europe ; la perte de biodiversitĂ© va de pair avec lâextension de la monoculture dans presque toutes les grandes plaines ; lâutilisation intensive de lâeau crĂ©e des pĂ©nuries rĂ©gionales et entraĂźne la salinisation des sols ; la surutilisation des sols rĂ©duit leur fertilitĂ© ; la gĂ©nĂ©ralisation du labour amplifie les Ă©missions de gaz Ă effet de serre et provoque une dĂ©gradation de la structure ; la gĂ©nĂ©ralisation des insecticides, fongicides et herbicides crĂ©e des problĂšmes de santĂ© publique, tout comme la surutilisation dâantibiotiques dans lâĂ©levage… Lâaccumulation des dĂ©gradations de la biosphĂšre tout entiĂšre devient une prĂ©occupation grave pour le futur des sociĂ©tĂ©s. Ă tel point que la planĂšte devrait ĂȘtre tellement transformĂ©e que lâon considĂšre de plus en plus que nous sommes entrĂ©s dans une nouvelle Ăšre gĂ©ologique : lâanthropocĂšne, en raison de la marque de lâhomme.Â
Âč Terme inventĂ© par la Commission europĂ©enne pour englober lâensemble des activitĂ©s liĂ©es au domaine vivant : agriculture, Ă©levage, aquaculture et pĂȘche, forĂȘt et foresterie, industries de transformation, production alimentaire, Ă©nergĂ©tique et de matĂ©riaux.