Autoroute ferroviaire Lille-Bayonne vue depuis Tarnos : l’envers du décor, Lise Toussaint*

L’Autoroute ferroviaire Atlantique semble être un projet écologique, soucieux du développement du rail et de la réduction du CO2. Mais derrière la façade, se cache une autre réalité. 

*Lise Toussaint est membre du comité de rédaction de Progressistes.

GENÈSE DU PROJET : GRENELLE I

En 2009, la loi Grenelle I fixe parmi ses objectifs la mise en place d’un réseau d’autoroutes ferroviaires à haute fréquence comme alternative aux transports routiers de longue distance. Le principe d’une autoroute ferroviaire est de prendre des remorques de camions – parfois même leur cabine – à un point A et de les décharger à un point B, sans arrêt intermédiaire. En cela, elle n’est pas compatible avec le système intermodal universel et international, avec conteneurs ou combinés adaptables aux trains, poids lourds, cargos, etc.

Le système d’autoroute ferroviaire interdit d’aller chercher les marchandises directement dans une entreprise sans passer par le transport de poids lourd qui, seul, fera la liaison jusqu’au point A de l’autoroute ferroviaire. Il en sera de même du point B à la destination du camion. Adieu, donc, intermodalité, transport de proximité et wagons isolés.
Malgré cela, le projet de construction de l’un des deux terminaux de transbordement dans la ville de Tarnos (12 260 hab.), dans le sud des Landes, avait de quoi faire rêver.

La création de deux autoroutes ferroviaires, dont l’Atlantique entre Lille (Dourges) et Bayonne ( Tarnos), est annoncée par le gouvernement le 18 septembre 2013 ; l’État mettra en place une concession de dix-sept ans (deux ans de travaux et quinze ans d’exploitation), au terme de laquelle il deviendra propriétaire de la plate-forme. Les premiers trains de 750 m (80 camions/jour) devraient effectuer deux allers-retours quotidiens (ARQ) à partir de janvier 2016 pour augmenter le trafic et faire circuler jusqu’à 480 camions/jour sur des trains de 1050 m en 2024.

C’est un projet de 400 Md’investissements (dont 100 Mpour les wagons Modalohr).

DES CAPITAUX INTÉRESSÉS

Le choix de Tarnos a été préconisé par Philippe Essig, ancien président de la SNCF, chargé par le gouvernement en 2008-2009 d’une mission de réflexion sur le fret ferroviaire. Il dirige aussi la société Modalohr, qui possède le monopole de la construction des wagons (400 000 l’unité) utilisés par les autoroutes ferroviaires. Et Modalohr détient 10 % du capital de Lorry-Rail, filiale privée de la SNCF choisie par l’État comme concessionnaire du projet car elle été la seule société à répondre à l’appel à projets lancé par l’État. Cette entreprise propose alors un emplacement sur des terrains de sa filiale SETRADA, située à Tarnos et dont l’activité semble s’essouffler (plutôt que le Centre européen de fret de Mouguerre, où la région et l’État ont massivement investi).

Mais, à travers le territoire français, plusieurs centaines de gares de fret ont été fermées, 60 % des filiales que la SNCF a rachetées sont à vocation routière et le fret sur rails est passé de 20 à 10% de la part du transport en France. Le système d’autoroute ferroviaire s’inscrit dans cette logique. Il revient donc à entériner le camion comme moyen de transport principal. Et les choses sont claires : l’entretien des routes empruntées par ces camions sera à la charge du conseil départemental. De même, cet outil financé très majoritairement par l’État – mais entièrement aux mains du privé – participe à la casse du statut des cheminots et écarte sérieusement la mise en place d’une ambitieuse politique nationale des transports. Enfin, l’autoroute ferroviaire s’inscrit dans une logique de fonctionnement à flux tendu, de production éclatée favorisant le dumping social.

LEVÉE DE BOUCLIERS UNANIME CONTRE UN PROJET MAL PENSÉ

La Cour des comptes déclarait en 2012 : « Les autoroutes ferroviaires ne pourront être une opportunité pour le fret ferroviaire qu’à la condition de démontrer leur capacité à fonctionner à terme sans aide financière publique récurrente. » L’État s’est effectivement engagé à compenser le déficit « éventuel » d’exploitation de la ligne (privatisation des profits, socialisation des pertes).

L’Autorité environnementale¹. pointe quant à elle tout un ensemble de lacunes, d’absences, voire de défaillances, tant sur les évaluations socio-économiques que sur les études d’impact environnemental². L’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) a également pris position à l’unanimité de ses membres contre le projet, pointant des risques de concurrence inéquitable, notamment vis-à-vis du transport par combiné, tirant l’alarme sur la disponibilité des sillons risquant de créer des conflits de circulation. En effet, si les trains de l’autoroute ferroviaire devaient s’arrêter (problème mécaniques ou autres) pendant leur trajet, il existe trop peu de voies de garage d’au moins 1 050 m pour que le train arrêté ne bloque pas l’ensemble de la voie.

Le Canard Enchaîné relevait également, le 22 juillet 2014, la nécessité de « raboter » près de 3 000 ouvrages d’art pour que les wagons transportant les camions puissent passer (les pneus dégonflés).

UN CONTRE-SENS ENVIRONNEMENTAL, INDUSTRIEL ET ÉCONOMIQUE

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Les wagons sont adaptables de manière universelle et internationale, ils sont conçus pour aller sur les trains, les cargos, les poids-lourds et aller directement chercher et amener les marchandises dans les usines ou commerces : c’est le système le plus intermodal possible.

Au plan local, la ville de Tarnos a pris position pour condamner ce projet, d’autant plus que l’installation du terminal à l’endroit précis prévu par Lorry-Rail serait une vraie catastrophe, tant sur le plan économique qu’environnemental.

Depuis la fermeture des Forges de l’Adour et la reconversion de la zone industrialo-portuaire de la commune, Tarnos, ville principale du port de Bayonne, ainsi que ses partenaires ont tout fait pour attirer les entreprises à fort potentiel de création d’emplois et de transformation, et pour développer le trafic. S’y ajoutent aujourd’hui des exigences en matière de respect de l’environnement et de la santé des riverains et des salariés. Immobiliser 10 ha pour des activités de transits ne nourrissant absolument pas les activités portuaires et ne créant que 75 emplois (chiffre revu à la baisse au fur et à mesure des réunions) fait bondir les élus tarnosiens. Du côté des entreprises locales, on apprécie moyennement l’arrivée et le départ de 400 camions supplémentaires par jour. L’entreprise d’aéronautique Turboméca (plus de 1 500 emplois sur site) est directement concernée par cette implantation qui lui fait face, tout comme le pôle territorial de coopération économique flambant neuf voisin (350 emplois). Et ce dans un contexte où la région Aquitaine travaille à un nouveau schéma d’aménagement ambitieux du port.

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Transport de camions uniquement : tue le fret feroviaire et au profit de la route (pollution, dégradation des voies).

De plus, il y aurait doublement du flux de camions, qui devront traverser 7 km de zone résidentielle pour rejoindre l’autoroute, dans une agglomération des plus attractives de France et dont les routes sont déjà saturées. Les trains de 1 km de long, pour rejoindre la plate-forme de chargement/déchargement, devront effectuer un certain nombre de manœuvres à basse vitesse entre Bayonne, Boucau et Tarnos. Cela signifiera des passages à niveau sur des axes stratégiques fermés pendant 10 à 15 min. Pour l’accès des ambulances, pompiers et autres urgences, la responsabilité est renvoyée… aux communes ! Le respect des normes environnementales est également oublié. Le site, dans une situation déjà non conforme aux prescriptions de l’État, est en bordure d’une zone particulièrement sensible en termes d’inondations (zone d’absorption des eaux pluviales avec une nappe phréatique à moins de 2 m sous le sol).

LA POPULATION ET LES ÉLUS LOCAUX MÉPRISÉS

Sur la forme, la situation est tout aussi lamentable. Le maire, communiste, de Tarnos a dû batailler ferme pour obtenir la tenue d’une réunion publique pour que Lorry-Rail vienne présenter son projet à la population, quelques jours avant la fermeture de l’enquête publique officielle (5 mai-5 juin 2014). Le contrat de concession, signé avant même le début de l’enquête publique entre Lorry-Rail et l’État, est encore inconnu. La commission d’enquête elle- même a reconnu en réunion publique ne pas y avoir eu accès. Mais, de façon surprenante, cette même commission a donné un avis favorable à tous les volets du projet, avec seulement quelques réserves. Parallèlement, le conseil communautaire et le schéma de cohérence territoriale (SCOT) se sont tous prononcés contre le projet. La CGT SNCF basque et des associations locales de défense de l’environnement se sont jointes à la réflexion et à la lutte.

Dans une ville où les habitants ont l’habitude d’être associés aux décisions municipales, y répondant nombreux, l’opacité des informations et le mépris auquel ils se sont heurtés a dépassé le choc culturel. Enfin, une association a été créée, regroupant des citoyens représentatifs de la diversité municipale. Plus de 420 personnes y ont adhéré. Les réunions et rassemblements organisés n’ont jamais regroupé moins de 350 personnes. Plus de 2 000 riverains ont signé une pétition.

Comme ailleurs, la difficulté de cette association sera de remporter son bras de fer sur le long terme. Depuis le début, le but de l’association (explicité dans sa dénomination : Contre le terminal de l’autoroute ferroviaire àTarnos[CTAFT])a été de partir de chiffres  – inquiétants par leurs conséquences sur Tarnos – pour élever le niveau de connaissances des citoyens sur la situation du transport ferroviaire en France.

En dépit du temps qui passe, il deviendra de plus en plus difficile pour les autorités d’endormir ou de manipuler ces gens debout : ils savent, ils sont déterminés, ils sont intellectuellement armés. La prochaine manche aura lieu au ministère des Transports, où le secrétaire d’État chargé des Transports du gouvernement Valls II, le Landais Alain Vidalies, a accepté à force de pression d’en recevoir une délégation. 


¹ Instance relevant de la législation européenne chargée des évaluations d’impacts environnementaux des grands projets.

² Concernant le volet socio- économique: carence dans la justification des hypothèses de trafic et de report modal route/fer; imprécisions sur les évaluations socio-économiques et leurs hypothèses. Concernant le volet environnemental: lacune importante dans l’étude d’impact qui ne présente pas d’évaluation des impacts du projet sur le plan des risques techno logiques; incomplétude de l’étude préliminaire acoustique; absence de justification du choix de ne pas traiter à la source les impacts acoustiques décrits; défaut d’identification des points noirs bruit issus du projet et du programme; omission de localisation des bâtiments sur lesquels le projet peut avoir des impacts et nontraitement des mesures d’évitement, de réduction et de compensation; manquement dans l’identification éventuelle des espèces protégées sur les extrémités du projet; défaillance dans les évaluations Natura 2000. Au vu de ces éléments, on en conclut que les études sont incomplètes. Ce qui s’avère très inquiétant pour un projet de cette dimension.

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