Le climat est un des facteurs fondamentaux du développement de nos sociétés, ne serait-ce que pour la production alimentaire. Les financiers s’y sont donc intéressés depuis longtemps. Cet intérêt prend actuellement une nouvelle ampleur.
*Jean-Claude Cheinet est membre de la commission écologie du PCF.
« Si le climat était une banque, vous l’auriez déjà sauvé ! » Hugo Chavez
L’intérêt pour le climat est d’abord venu de ce que les récoltes en dépendaient. Financiers et négociants ont spéculé jadis sur les stocks de blé, puis ont pesé pour adapter les semences aux prévisions de production obtenues depuis les satellites, puis ont développé des systèmes d’assurance sur les aléas des récoltes. Que faisaient en amont les États et les institutions internationales ?
L’ONU ÉCARTÉE ?
L’ONU a alerté depuis plus d’un quart de siècle sur le réchauffement climatique et ses conséquences ; elle a suscité des conférences internationales et la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Celui-ci confirme le réchauffement climatique en cours, et ne cesse, de rapport en rapport, de revoir à la hausse les prévisions d’élévation des températures de notre atmosphère et de clamer l’urgence d’agir. Or l’ONU n’est pas parvenue à faire en sorte que des mesures efficaces soient prises par les États qui privilégient leurs égoïsmes nationaux. Dans nos sociétés capitalistes, les forces dominantes et les firmes minorent la chose et tentent d’en tirer profit en inventant des « produits verts » qui « n’attaquent pas la couche d’ozone » ou qui sont « bons pour ma planète ». Manière de verdir le capitalisme et de trouver de nouveaux créneaux marchands.
Si les États sont ou faibles ou sans volonté devant les milieux financiers et les lobbys, ne peut-on pas s’appuyer sur l’« économie », c’est-à-dire sur les entreprises ?
LE MARCHÉ DU CLIMAT ET LA DÉMISSION DES ÉTATS
Paradoxalement, c’est ONU elle-même qui a ouvert cette voie en proposant dans le Protocole de Kyoto (1997), en convergence avec la Banque mondiale et l’OCDE, d’encourager les efforts à moins polluer par le recours au marché et aux milieux financiers. On met en place un système de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (GES), autrement dit de droits d’usage à polluer : 2 milliards de tonnes d’émissions de GES (CO2 essentiellement) sont réparties gratuitement entre 12 000 sites industriels ; les pays « vertueux » aux industries moins polluantes épargnent une partie des quotas et peuvent les revendre aux pollueurs, à charge pour celui qui rejette plus d’acheter un complément de droits (environ 4 €/t) à ceux qui polluent moins. C’est un marché financier qui s’ouvre, avec une Bourse du carbone à côté des titres financiers et des assurances.
Parallèlement, l’ultralibéralisme des gouvernants pousse à la privatisation des biens communs que sont l’eau, les forêts et sites naturels, l’énergie, afin que les firmes en tirent profit. Mais la gestion durable de ces biens en devient plus difficile, car elle se heurte aux choix différents des différents acteurs (distribution de l’électricité, gestion des barrages privatisés, etc.). Abandonnant leurs politiques de normes et de maîtrise de secteurs vitaux, les États, au nom de la concurrence, cèdent au premier lobby venu (comme l’écotaxe, qui disparaît devant les transporteurs routiers, ou comme l’aide tarifaire au développement du photovoltaïque et de l’éolien, qui profite à quelques firmes, ou bien les exonérations de la taxe carbone pour les industriels au nom de la compétitivité…).
Le système engendre de lui-même le gaspillage, car pour vendre plus il suffit de programmer l’obsolescence des produits industriels : usure, réparation impossible, pièces détachées introuvables, tout est bon pour vendre un produit neuf… et fabriquer ainsi des déchets tout en rejetant des polluants dans l’eau et l’air.
LA FINANCE EST ARRIVÉE…
La finance a un intérêt renouvelé pour le climat. Firmes et banques se saisissent de technologies nouvelles et non abouties ; leur exploitation est un filon pour elles, d’autant que s’y ajoutent souvent aides « incitatives » et exemptions fiscales décidées par les États au nom de la compétitivité ou de la lutte contre le réchauffement climatique. Ces institutions créent des filiales afin de ne pas apparaître en première ligne, mais fournissent des capitaux pour ces nouvelles techniques (énergie éolienne ou photovoltaïque, géo-ingénierie, etc.) et se positionnent pour en contrôler le développement. Bien plus, les États à la recherche d’une action sur le climat – qu’ils s’interdisent au nom de ce même libéralisme – s’engagent pour garantir les profits de ces firmes. Foin d’un changement de système, le climat est source de profit ! Il suffirait donc de faire appel au privé, à l’intérêt individuel, de culpabiliser les mauvais citoyens qui ne trient pas bien, ne covoiturent pas, n’achètent pas des « produits verts ». Plus besoin de remettre en cause les logiques du capitalisme, les États aident, exemptent, et les citoyens paient soit comme contribuables, soit comme consommateurs.
Les gouvernants y voient l’avantage supplémentaire de pouvoir réduire les dépenses de recherche fondamentale : les firmes se chargent d’exploiter les connaissances acquises et des techniques connues.
Les conséquences du réchauffement climatique ont un coût dont le rapport Stern a établi une première approche. Les sommes en jeu sont énormes (75 milliards de dollars assurés pour l’ouragan Katrina en 2005, 2 milliards d’euros pour la canicule en France en 2003, et le nombre de cataclysmes naturels a doublé en trente ans…), et les assureurs du secteur développent un système de réassurances où les sommes dégagées sont placées en titres financiers, les cat bonds. Ces titres sont « notés » par les agences de notation et échangés en Bourse (Bourse Catex au New Jersey ou de Chicago…). Bien plus, des États émettent des cat bonds souverains, et certains de ces « dérivés climatiques » portent sur les risques de dépassement de paramètres climatiques (la pluie en millimètres, le froid en degrés Celsius, la sécheresse…) ou de disparition de telle ou telle espèce jugée utile par celui qui s’assure… Jointe à la Bourse du CO2, l’approche libérale a débouché sur des subprimes de l’environnement.
Plus de vingt ans de cette expérience ont conduit à des chiffres records d’émission de CO2 en 2013 et 2014.
UN ÉCHEC PATENT
L’approche libérale conduit à une gestion dangereuse. Les zones contenant des minerais, terres rares ou pétrole deviennent facilement des zones de guerre, avec des ravages humains et écologiques considérables. Fragmentés en micro-États ou en grandes régions, avec des dirigeants corrompus, les États, que ce soit en Europe ou sur d’autres continents (Afrique, Moyen-Orient…), ne peuvent résister aux injonctions des multinationales.
Même des États plutôt solides composent avec les intérêts des firmes ; le mouvement de refus de l’exploitation des gaz de schistes et des oléoducs correspondants ne décourage pas leurs manœuvres pour contourner quelques règlements, souvent avec succès.
Gestion aussi à effets pervers. Le marché européen des droits carbone s’est effondré du fait de la crise, du développement des services (peu polluants) et des délocalisations industrielles vers les pays du Sud. À tel point qu’en Europe il peut être plus avantageux d’acheter des droits à polluer que de recourir ou même de maintenir des procédés plus propres. Et pour « sortir du nucléaire » (dans un but plus politicien qu’écologique), le gouvernement allemand s’appuie sur cette opportunité, relance le thermique à charbon… et pollue plus que vingt ans en arrière.
Les cat bonds du Mexique ont été émis avec des critères de déclenchement si nombreux que, sur 200 événements climatiques, ils n’ont été déclenchés que 3 fois. Et sont-ils soutenables sur le long terme ? Le changement climatique étant global, ils sont susceptibles de s’effondrer comme les subprimes… et ils ne restent en définitive qu’une manière de répartir après coup le coût des dégâts, mais ne sont en rien une action de prévention.
Enfin, réduire l’action des États au seul soutien au privé montre que les politiques publiques sont sans prise sur le réel et décrédibilise leurs auteurs.
UN RETOUR DES ÉTATS ET DE L’ONU ?
La COP 20 de Lima, tenue récemment, semble amorcer un rééquilibrage encore bien ambigu ; elle a été précédée d’une déclaration Chine États-Unis et de pressions de Ban Ki-Moon, secrétaire général de l’ONU. La déclaration adoptée in extremis évoque les contributions nationales des différents États, mais elles sont à définir par les États eux-mêmes et ne sont pas contraignantes, car liées à différents indicateurs parmi lesquels les États peuvent choisir ; quant à la dette climatique des États capitalistes industrialisés envers le Sud ou le financement du « fonds vert » pour aider la transition du Sud, rien n’est fixé.
La démarche amorce cependant une construction liant les États, mais elle reste dans le cadre libéral ; seule la mobilisation citoyenne peut faire bouger les lignes.
Il faut oser supprimer les avantages fiscaux accordés aux firmes (par exemple les subventions aux firmes exploitant les énergies fossiles), imposer une vraie taxe carbone et une taxe sur les transactions financières… Le rôle des États est ainsi de rompre avec les logiques libérales mortifères pour l’environnement et le climat, de casser le pouvoir des financiers dans ce domaine et d’oser revenir à une réglementation contraignante sur des procédés moins polluants, sur la qualité, l’innocuité et la durabilité des produits. Les États doivent reconquérir leur rôle traditionnel d’organisation de la vie sociale dans le sens de l’intérêt général. Ce faisant, l’ONU et ses institutions liées retrouveront leur rôle de coordination des efforts planétaires et une action continue plus forte que celle de conférences épisodiques.
Il reste quelques mois avant la COP 21, conférence de Paris en fin 2015, pour que grandisse la conscience du saut qualitatif que nous demande la lutte pour sauver le climat ; celui-ci n’est pas une banque, et seuls les peuples pourront amener les États à mettre en place les mesures contraignantes et d’organisation de la vie sociale qui sont nécessaires. Évidemment, ils reculent, car ce sont les logiques capitalistes qu’il faut renverser.