INDUSTRIE ET ÉNERGIES NOUVELLES RENOUVELABLES, FABRICE ANGEI*

Produire les indispensables appareils pouvant capter l’énergie du soleil et du vent impose de développer une vraie filière industrielle qui manque à la France, avec un effort soutenu pour la formation. Industrie et écologie vont ici de pair. 

*Fabrice Angei est membre du bureau confédéral de la CGT.

Par transition énergétique on entend le passage d’un système énergétique qui repose essentiellement sur l’utilisation des énergies fossiles, épuisables et émettrices de gaz à effet de serre (pétrole, gaz, charbon) à un bouquet énergétique donnant la part belle aux énergies renouvelables et à l’efficacité énergétique. Cette transition répond à la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique. Dans cette lutte, l’Union européenne s’est fixé l’objectif de réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre et d’accroître de 20 % l’efficacité énergétique ainsi que la part des énergies renouvelables d’ici à 2020.

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Que ce soit dans le domaine du solaire thermique et photovoltaïque, de la rénovation ́des logements, de la fabrication et installation de pompes à chaleur, de systemes ̀de ventilation, de chauffage… la transition energétique est un ́véritable gisement ́d’emplois.

On ne peut penser transition énergétique et énergies renouvelables sans poser le préalable de l’accès pour tous à l’énergie. Sur la planète, 2 milliards d’êtres humains n’ont pas accès à l’électricité et ne disposent que de moyens rudimentaires pour se chauffer ; dans notre pays, la précarité énergétique touche 8 millions de personnes. Il va être nécessaire au niveau mondial de produire plus d’énergie pour satisfaire les besoins d’une population de plus en plus nombreuse.
Personne ne remet en cause la nécessité de développer les énergies renouvelables, pour autant il ne s’agit pas là de technologies miracles. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises énergies. Pour l’illustrer, la France dispose d’un portefeuille de production électrique et thermique parmi les moins émetteurs de CO de l’Union européenne, avec un parc nucléaire et hydroélectrique couvrant, ensemble, 90 % de la demande.

UN VÉRITABLE GISEMENT D’EMPLOIS

Toutes les activités sont concernées par la transition, et avec elles les emplois. La CGT ne voit pas d’opposition entre écologie et industrie mais de vraies questions à investir : Quel type d’industrie et quelle structuration des filières ? Quelle territorialisation et quelle organisation de circuits courts ? Quelle responsabilité sociale et environnementale sur les territoires doit s’imposer aux groupes et aux entreprises ?

Certaines écoactivités sont des gisements importants d’emplois nouveaux : rénovation thermique, efficacité énergétique, énergies renouvelables, réseaux intelligents, transports propres, économie circulaire, gestion de l’eau, écologie industrielle, biodiversité et génie écologique. Une étude de l’Agence internationale pour l’énergie renouvelable (IRENA [International Renewable Energy Agency]) publiée en 2014 montre que les énergies renouvelables participent à la création d’emplois et à la croissance de l’économie mondiale. En 2013, dans le monde, environ 6,5 millions de personnes étaient directement ou indirectement employées dans l’industrie des énergies renouvelables avec un gain de 800 000 salariés constaté entre 2012 et 2013.

En France, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie a évalué le poids des filières « vertes » en termes d’emplois : 310 260 en 2012, dont 100 000 emplois directs dans le secteur de l’énergie renouvelable. Mais le rythme de croissance se tasse : l’emploi dans les activités liées au développement des énergies renouvelables baisse de 22 %, notamment du fait que l’éolien et le photovoltaïque sont marqués, pour le premier, par une contestation croissante et, pour le second, par une perte d’attractivité financière. La filière des énergies marines renouvelables (EMR) prend la relève. Le Groupement des industries de constructions et activités navales communique le chiffre de 55 000 à 80 000 emplois en France à l’horizon 2030. L’éolien offshore, par exemple, a fait l’objet d’appels d’offres pour l’édification de parcs en mer, ce qui exige de disposer d’un outil industriel local, pérenne et pourvoyeur d’emplois.

UNE FILIÈRE INDUSTRIELLE QUI RESTE À CONSTRUIRE

Bien que fort de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, le tissu industriel en France accuse dix ans de retard sur l’Allemagne dans le domaine des énergies renouvelables. En conséquence, une bonne part des équipements correspondants – éoliennes, chaufferies, panneaux solaires, etc. – est produite outre-Rhin et importée. Si d’aucuns estiment que les entreprises françaises ne disposent pas d’une marge suffisante pour rattraper ce retard sur les technologies matures, le potentiel de développement de l’emploi, y compris industriel, reste important dans leur mise en œuvre. Les sous-traitants (pièces mécaniques et câbles, entre autres) se comptent déjà par centaines. Les projets requièrent ensuite beaucoup de main-d’œuvre locale pour leur implantation (chaufferie bois, biogaz à la ferme, parc éolien…) et leur maintenance.
La CGT se prononce pour développer des filières industrielles des énergies nouvelles renouvelables. Comme dans d’autres domaines, redonner les moyens à la recherche peut nous permettre de faire sauter des verrous technologiques et de changer de paradigme (stockage massif de l’électricité, autonomie des batteries, etc.). Les technologies du renouvelable offrent, à côté de projets de grande envergure (hydroélectricité, éolien,  offshore), des gammes de solutions énergétiques variées et modulaires, qui répondent précisément aux exigences nouvelles d’efficacité énergétique et d’innocuité qui marquent ce début de XXIe siècle.

n45-technology-382890_1280
n46-long-vehicle-320309_1280 Les éoliennes sont de véritables ouvrages d’art : béton, acier, rotors avec des aimants gigantesques nécessitant des métaux rares. Les pales sont assemblées dans des usines puis transportées par camion jusqu’au site d’exploitation. La dimension industrielle est une réalité.

C’est dans les domaines des énergies renouvelables et de l’efficacité économique qu’il y a incontestablement des filières nouvelles à créer et qu’il faut aller chercher les perspectives d’emploi les plus solides. Ajoutons-y le secteur des réseaux, puisqu’il faut adapter ceux-ci à l’arrivée massive de sources d’électricité intermittentes – venues de milliers de petits producteurs diffus – en insérant des systèmes de stockage et de pilotage à la demande.

L’ENJEU DE LA FORMATION

L’un des facteurs de croissance de l’emploi demeure le développement des compétences techniques. L’IRENA estime que des pénuries de compétences créent déjà des goulets d’étranglement dans le déploiement des énergies renouvelables dans certains pays. Il ne s’agit pas dans ces secteurs de développer des métiers peu qualifiés et précaires mais de véritables métiers nécessitant des formations et des qualifications spécifiques.

L’emploi lié aux énergies renouvelables a été façonné par les changements régionaux, les réalignements industriels, la concurrence du marché, les technologies et les procédés de fabrication. Il apparaît d’ores et déjà nécessaire de sécuriser le potentiel industriel existant, en liaison avec l’anticipation de nouveaux besoins. Il est aussi urgent d’assurer la transition des savoirs et des savoir-faire et d’engager les évolutions des métiers et des modes de production. La structure de l’emploi et le chômage des seniors privent une grande partie des entreprises industrielles de leur savoir-faire. De la même façon, le sort réservé aux jeunes générations – bien souvent précarisées, et qui ne sont pas de manière permanente dans l’entreprise – contribue à cette absence de transmission du savoir, donc des métiers.

Les territoires sont également impactés, notamment au regard des enjeux autour de l’industrie, de l’emploi, des conversions de site et de bassin. Pour la CGT, il s’agit d’améliorer l’expertise et la connaissance des évolutions prévisibles – comme des besoins insatisfaits par filière – et d’engager cette réflexion dans une logique territoriale de proximité. Dans le même ordre d’idées, la GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) doit devenir un outil de gestion prévisionnelle des stratégies d’entreprise en ouvrant une véritable prospection sur les besoins de compétences, et donc les formations à mettre en place en amont. Tout cela implique d’ouvrir un véritable dialogue social en territoire pour obtenir des droits nouveaux pour les salariés et nourrir efficacement les volets formation professionnelle des contrats de plan État-régions.

C’est cette démarche que nous avons conduite en Bretagne autour du parc éolien en mer de la baie de Saint – Brieuc pour faire émerger dans la région une véritable filière industrielle, scientifique et énergétique autour de l’exploitation de ces énergies marines qui permettent de générer des retombés économiques et sociales importantes.

POUR DES POLITIQUES PUBLIQUES À LA HAUTEUR

Les énergies renouvelables dans un environnement libéral et de dérégulation offrent des opportunités spéculatives. Chacun a en mémoire les déboires qu’ont subis nombre de propriétaires séduits par le mirage de l’équipement en panneaux photovoltaïques. C’est ainsi que les aides de l’État, principalement sous forme de crédit d’impôt, ne favorisent de fait que les plus aisés. Qui, parmi les particuliers, peut aujourd’hui entreprendre pour son logement les travaux d’efficacité énergétique, qui sont pourtant un secteur d’avenir pour la création de filières industrielles et d’emplois ?

À une tout autre échelle, la non- consommation d’énergie devient un acte monnayable en espèces sonnantes et trébuchantes ou moyen de titres négociables sur une Bourse dédiée, à la manière des quotas de CO2. Acheter des kilowattheures, vendre une non-consommation comme on achète ou on vend des actions, voilà à quoi se réduit la transition énergétique en l’absence de maîtrise publique, démocratique, des financements, de transparence et de contrôle.

Les aides et financements publics doivent être conditionnés à des critères sociaux et environnementaux ainsi qu’à la responsabilité sociale des entreprises. Pour être véritablement la banque de la transition énergétique, la Banque publique d’investissement (BPI) doit prendre en compte, comme le précise la loi, les enjeux environnementaux, sociaux, d’égalité professionnelle, d’équilibre dans l’aménagement économique des territoires à l’appui de son engagement. Il importe également de mettre en place son comité de responsabilisation sociale et environnementale indépendant comme appui à son conseil d’administration. Ce qui doit pousser la logique de la BPI vers un véritable pôle financier public.

L’énergie est un secteur stratégique : l’appropriation sociale via un pôle public de l’énergie, structure juridique et administrative indépendante, visant à renforcer la mise en cohérence du secteur, est indispensable.

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