STOCKAGE DE L’ÉLECTRICITÉ : LE TALON D’ACHILLE DE LA FILIÈRE ÉNERGÉTIQUE, CHRISTIAN NGO*

C’est le graal qui fait rêver les ingénieurs et les scientifiques du monde entier : un procédé pour stocker l’électricité massivement… et peu cher. Cela changerait la donne pour le développement des énergies nouvelles. 

 

*Christian Ngô est expert en énergie et animateur du laboratoire d’idées Edmonium, site d’informations scientifiques et technologiques. (www.edmonium.fr).

L’électricité est de plus en plus utilisée, et à chaque instant la production doit être égale à la consommation. Stocker l’électricité lorsque l’on en produit trop pour l’utiliser plus tard, quand on en aura besoin, est donc une nécessité.

Les kilowattheures produits de manière continue (centrales à gaz, hydrauliques, nucléaires…) ont une souplesse d’usage supérieure à ceux générés de manière intermittente (éolien ou solaire). La flexibilité de certains moyens de production (centrales à gaz) est aussi appréciée pour répondre rapidement aux demandes de pointe. Avoir de l’électricité quand et où on en a besoin impose de fortes contraintes à la production comme à la distribution.

LES MULTIPLES USAGES DU STOCKAGE

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Figure 1. Consommation d’électricité sur 24 heures pour un jour typique. (Source : RTE.)

On stocke l’électricité pour :

– lisser la production, car la demande varie fortement en fonction de l’heure, du jour, de la saison (fig. 1). Pour satisfaire la demande dans l’ensemble de l’année, le producteur surdimensionne les moyens de production, puisque les moyens de stockage sont insuffisants¹ :

– la revendre cher aux heures de pointe alors qu’elle est achetée à bas prix aux heures creuses²;

– parer à l’intermittence d’énergies renouvelables comme l’éolien ou le solaire. Une éolienne ne fournit de l’électricité que lorsqu’il y a un vent suffisant³, et un panneau solaire que si le soleil brille. Un développement massif des énergies renouvelables intermittentes ne pourra se faire sans fortement développer des moyens de stockage et des centrales utilisant des combustibles fossiles, émettrices deCO2;

– assurer l’alimentation des systèmes nomades (téléphones portables, ordinateurs portables, tablettes…) ;
– produire de l’électricité de bonne qualité pour des besoins spécifiques et parer à des défaillances du réseau. Le moyen de stockage peut ultérieurement générer de l’électricité ou répondre en différé à un usage (fig. 2).

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Figure 2. On peut utiliser immédiatement l’électricité ou la stocker pour l’utiliser ultérieurement directement (batteries) ou indirectement (cumulus).

Les technologies de stockage existantes ne permettent d’emmagasiner que peu d’énergie par unité de volume ou de masse comparée à celle contenue intrinsèquement dans un combustible (tableau ci-dessous).

Matériau
ou système           1 kWh =

Essence                 0,07 kg (70 g)
Batterie Pb           30 kg
Batterie Li-Ion     5-8 kg
Eau                         3 600 kg d’eau à une hauteur de 100 m

LES MOYENS DE STOCKAGE

Les principales technologies⁴ sont indiquées dans la figure 3. Le stockage nomade (téléphones portables, ordinateurs portables…) est aujourd’hui dominé par les batteries de type Li-Ion (densité d’énergie de l’ordre de 200 Wh/kg).

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Figure 3. Différents moyens de stockage en fonction de la quantité d’énergie stockée et du temps de décharge.

Les véhicules électriques ou hybrides rechargeables utilisent des batteries de type Li-Ion d’une technologie plus sûre que celle des équipements nomades (densité d’énergie d’environ 100 à 150 Wh/kg). Il faut 15 à 20 kWh pour parcourir 150 à 200 km grâce à l’électricité. Au niveau du réseau, les quantités d’électricité à stocker sont bien plus considérables (des térawattheures). Le moyen de stockage le plus utilisé est fondé sur le pompage-turbinage de l’eau entre deux réservoirs situés à des altitudes différentes. Ce sont les STEP (stations de transfert d’énergie par pompage). Il y a environ 350 STEP dans le monde, et leur puissance totale est proche de 150 GW. Elles permettent de moduler environ 6 % de la puissance électrique moyenne et représentent 15 % de la puissance hydroélectrique mondiale. Grand’Maison, la plus grande STEP française, peut stocker 35 GWh. Les énergies renouvelables intermittentes nécessitent de développer des moyens de stockage importants⁵. La construction de STEP artificielles utilisant l’eau de mer ou l’eau douce est une possibilité⁶.

L’HYDROGÈNE

Lorsque l’électricité produite par une éolienne n’a aucun usage (heures creuses), son prix est nul ou même négatif⁷. Dans ce cas, on pourrait la mettre à profit pour produire de l’hydrogène par électrolyse (il faut 4 à 6 kWh/m3). L’hydrogène peut fournir de l’électricité avec une pile à combustible (rendement 50 %) ou être utilisé pur ou mélangé avec du gaz naturel (hythane) pour fournir de la chaleur par combustion avec un excellent rendement.

Dans la plupart des applications mobiles, le volume est un facteur limitant. L’hydrogène a une faible densité énergétique par unité de volume (2 kWh/L à 700 bars ; 2,3 kWh/L, liquide et un peu plus de 3 kWh/kg avec des hydrures).

LE STOCKAGE DÉCENTRALISÉ

Plutôt que de gros systèmes centralisés, on peut envisager de stocker l’électricité avec un grand nombre de petits moyens décentralisés. Il y a déjà deux systèmes de stockage d’énergie aujourd’hui : le réservoir des véhicules (6-8 TWh) et les cumulus qui équipent 11 millions de foyers (20 TWh/an de chaleur).

Demain, les véhicules hybrides rechargeables et électriques constitueront, par leur nombre, un gigantesque régulateur du réseau électrique en stockant l’électricité aux heures creuses. Il sera même possible d’utiliser leur batterie pour alimenter une partie de la maison en cas de besoin.

CONCLUSION ET PERSPECTIVES

Le stockage est le point faible de la filière énergétique. La priorité politique accordée aux énergies intermittentes (éolien, solaire) pour l’accès au réseau va avoir des conséquences économiques et environnementales pour la France (augmentation des prix et des émissions de CO2). L’équilibre du réseau ne pourra en effet être assuré qu’en combinant des moyens de stockage – aujourd’hui largement insuffisants : il en faudrait 200 fois plus, 360 fois plus en Allemagne –, des centrales utilisant des combustibles fossiles, donc émettrices de CO2, et un réseau intelligent dont une des fonctions sera de demander l’« effacement » de certains clients lorsque la production électrique est insuffisante. On va donc passer d’une situation où l’on a de l’électricité pas chère quand on en a besoin à une situation où l’on aura de l’électricité chère quand on pourra la produire.


¹ La puissance moyenne utilisée en France est d’environ 65 GW et la puissance installée est d’environ 120 GW.

² Une partie de l’électricité éolienne produite au Danemark est achetée à bas prix par la Suède et la Norvège aux heures creuses, stockées sous forme hydraulique, et turbunée aux heures de pointe pour être revendue très chère aux Danois lorsqu’ils en ont besoin.
³ En Allemagne, le rendement de l’éolien mesuré sur une décennie est d’environ 15%.  Les 62 GW d’éolien installés en Allemagne produisent 74 TWh/an mais de manière intermittente. La France produit 405 TWh/an avec 63 GW électriques de nucléaire installés.
⁴ P. Odru (dir.), Le stockage de l’énergie, Dunod, 2010, et Our Energy Future, Resources, Alternatives, and the Environment, C. Ngô et J. Natowitz, Wiley, 2009.
⁵ Avec 50% de nucléaire et le reste en énergies renouvelables, il faudrait pouvoir stocker 14 TWh, soit un stockage environ 200 fois plus important que ce qui existe aujourd’hui (D. Grand, C. Lebrun et R. Vidil, Techniques de l’ingénieur, 2015).
⁶  F. Lempérière, « Stockage de l’énergie par pompage de l’eau de mer », in Techniques de l’ingénieur, et http://www.hydrocoop.org/fr/publications.php .
⁷ En Europe, le prix de l’électricité peut varier, approximativement, de 500 €/MWh à plus de 3 000 €/MWh, selon l’offre et la demande.

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