Vent, soleil, vagues… Les énergies renouvelables puisent à des sources réputées inépuisables. Or, à y regarder de près, elles sont de fait hautement dépendantes de matières rares, à l’approvisionnement incertain. La recherche publique, bien mal suivie par les industriels, tente de pallier ces dépendances.
*Sébastien Elka est rédacteur en chef adjoint de Progressistes.
Un mât haut de 75 m, d’immenses pales composites… Les éoliennes en construction à Saint-Nazaire seront des colosses de carbone et d’acier. Et non seulement cela ! Au cœur de la nacelle, la génératrice abrite d’énormes aimants permanents. Les aimants ordinaires, ceux qui retiennent la liste des courses sur la porte du frigo, sont banalement en ferrite de strontium ou de baryum. Cela dit, pour les aimants des génératrices – comme des moteurs de véhicules électriques ou hybrides, disques durs ou haut-parleurs –, on n’échappe pas aux terres rares. Puissants, résistants à la chaleur et aux contraintes magnétiques, les aimants néodyme-fer-bore sont riches en néodyme, dysprosium, terbium, voire praséodyme. D’autres options existent, non moins gourmandes en samarium, gadolinium, lanthane.
COÛT DE L’ÉNERGIE ET RISQUES GÉOPOLITIQUES

Il faut savoir que ces terres rares – utiles aux éoliennes, moteurs électriques, éclairages basse consommation, lasers, etc. – se trouvent un peu partout dans le monde, mais sous forme d’oxydes mélangés, chimiquement proches, donc difficiles à séparer. On n’en produit pas en Europe – l’exploitation en serait trop polluante ! – et pratiquement pas aux États-Unis ; si bien qu’aujourd’hui 97 % de leur extraction sont le fait de la Chine… On mesure l’ampleur du risque géopolitique.
D’autres matériaux « critiques »¹ sont au cœur des énergies renouvelables et de toute possibilité de transition énergétique. Il en est ainsi du cobalt, utilisé dans d’autres types d’aimants et différentes sortes de batteries, dont 80 % des réserves connues se partagent entre la République démocratique du Congo, l’Australie et Cuba. C’est aussi le cas des matériaux du photovoltaïque. Car si l’énergie solaire a un potentiel gigantesque, sa transformation en électricité est encore peu efficace et très coûteuse. Pour améliorer les rendements, on teste des cellules solaires à base de cadmium-tellure, nitrure de gallium ou autres alliages de métaux rares. À quoi il faut ajouter dans les panneaux solaires des connecteurs, souvent à base d’argent ou de cuivre, métaux assez abondants mais très demandés.
La production des énergies renouvelables (EnR) est intermittente et déconcentrée, aussi faut-il pouvoir les stocker et les distribuer intelligemment. Le stockage (important aussi pour tirer parti de la consommation réduite de la mobilité électrique) se fera avec des batteries compactes et/ou de l’hydrogène, ce qui implique des réactions chimiques efficaces et maîtrisées, et donc d’excellents catalyseurs – aujourd’hui du platine ou d’autres métaux nobles. Des recherches visent à leur substituer du graphène ou d’autres matériaux nanostructurés, avec des résultats encourageants. Reste à porter ces découvertes du laboratoire à l’usine, et les industriels ne se bousculent pas pour ce faire. Quant à la distribution, elle appelle de l’électronique de puissance, basée sur des semi-conducteurs économes, enrichis par exemple en gallium, et sur des connexions améliorées au tungstène, titane, tantale ou germanium, tous matériaux rares.
LE RENOUVELABLE DURABLE EST UN COMBAT !
On le voit, dans l’état des savoir-faire, il n’y a pas de développement possible des EnR sans consommation d’éléments épuisables. Le renouvelable d’aujourd’hui n’est pas durable ! Pour autant, nous apprenons peu à peu à réduire la quantité nécessaire de ces matériaux – jusqu’à l’infime – et nous devrions savoir bientôt les recycler ou même leur substituer des nanomatériaux à base d’éléments chimiques communs. Derrière tous ces développements, il y a l’exigence d’une connaissance et d’une maîtrise aiguë de la matière – issue pour l’essentiel des sciences nucléaires – qui nécessite du temps et des ressources. Une exigence loin d’être remplie quand les stratégies financières des industriels rencontrent les politiques d’austérité, l’absence de véritable politique industrielle ou d’aussi incohérentes que virulentes prises de positions pro-EnR mais « anti-nano » et « pas dans mon jardin » .
On entend souvent dire qu’une alliance de grands intérêts – EDF, Areva et Total, pour le dire vite – serait responsable de la lenteur à laquelle se déploient les EnR. De fait, ces riches acteurs pourraient bien mieux porter les indispensables transitions énergétiques au lieu de s’arc-bouter sur leur zone à défendre… Mais s’arrêter à cette explication des trop lents progrès des renouvelables est assurément un peu court.
¹ Les éléments considérés comme “critiques” par la Commission Européenne, à la fois important économiquement et risqués en termes d’approvisionnement, sont, en 2013 : les terres rares lourdes et légères, le magnésium, le niobium, l’antimoine, le germanium, l’indium, le cobalt, le gallium, les borates et roches phosphatées, le béryllium, les métaux “nobles” de la famille du platine, les spaths de fluor, le silicium métal, le graphite naturel, la magnésite, le tungstène et le charbon à coke.