Bien au-delà des déchets, Philippe Antoine*

Un concept séduisant s’il inclut justice sociale, démocratie au travail et une autre répartition des richesses pour garantir l’efficacité recherchée.

 

*Philippe Antoine représente Indecosa CGT au Conseil national des déchets et au conseil associatif Éco-Emballages. Il est en charge du dossier économie circulaire/déchets à la CGT.

La définition de l’économie circulaire n’est pas encore stabilisée. Pour l’ADEME**, c’est un système économique qui, à tous les stades du cycle de vie des biens et services, vise à augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et à diminuer drastiquement gaspillage et impacts sur l’environnement, en opposition au modèle de l’économie linéaire du type « extraire, produire, consommer, jeter ».

La planète n’a pas les moyens d’une extension mondiale du mode de consommation états-unien, alors que des progrès énormes restent à faire sur la satisfaction des besoins vitaux essentiels de milliards d’êtres humains. L’idée est de s’inspirer des cycles et écosystèmes naturels pour mieux utiliser les ressources disponibles – matières, eau, énergie – et maintenir celles contenues dans les produits en fin de vie au sein du système économique.

Il s’agit de découpler consommation de ressources et croissance du PIB, mais peut-on parler pour autant de décroissance ? Le concept est développé par les libéraux : ne risquet- on pas de nous enfermer encore dans le tout-marché ? Et comment dépasser les discours superficiels ou limités au recyclage ?

LES COMPOSANTES DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE 

L’économie circulaire veut réduire les gaspillages, mais sans empêcher une augmentation de la production de bien-être. Une économie sobre en ressources, de proximité, collaborative doit permettre à chacun de disposer de bons produits et des services du mieux-être. Faire plus et mieux avec moins. Un véritable changement systémique qui touche aux trois piliers du développement durable – social, économique et écologique – et embrasse la production, la distribution, la consommation et la fin de vie de tous les produits.

GARANTIR DES APPROVISIONNEMENTS DURABLES 

Le mode d’exploitation/extraction des ressources – renouvelables ou non – doit prendre en compte les capacités de chaque territoire, limiter les rebuts d’exploitation et les impacts sur l’environnement de l’exploitation des mines, carrières et forages comme de l’exploitation agricole et forestière.

C’est un enjeu de réglementation et de contrôle, qui peut aussi nous inciter à mieux défendre nos productions en valorisant les appellations d’origine géographique, les appellations protégées, etc.

ENTRER DANS L’ÂGE DE L’ÉCOCONCEPTION 

Des associations de consommateurs demandent d’allonger les garanties des produits à 2, 5, voire 10 ans. Mais l’urgence est de promouvoir l’écoconception des produits, c’est-à-dire de réduire au minimum leurs effets négatifs sur l’environnement au long de leur cycle de vie et d’améliorer les biens en usage. À défaut de critères clairs, le concept ne se précise que trop lentement, dans les entreprises comme au sein des organisations syndicales et politiques. Ce retard reflète un besoin de travail sur le sujet, notamment pour la recherche publique.

Une conception étroite de l’économie circulaire n’opposerait pas forcément écoconception et obsolescence programmée, un produit recyclable à courte durée de vie pouvant même être considéré bénéfique pour l’emploi. Il y a là une contradiction réelle, qui montre bien qu’une écoconception conséquente doit aussi prendre en compte la question du travail.

ORGANISER UNE ÉCOLOGIE INDUSTRIELLE ET TERRITORIALE (EIT) 

Plus largement, l’organisation des entreprises et territoires doit prendre en compte les flux d’échanges et les mutualisations possibles ou nécessaires : ainsi, utiliser la chaleur dégagée par un four industriel pour chauffer les habitations proches, les déchets agricoles ou les rejets de CO2 d’une aciérie comme intrants pour une bioraffinerie voisine, ou mutualiser des flottes de véhicules entre entreprises proches. En clair, utiliser les effluents inutiles des uns comme intrants pour les autres, afin d’optimiser les flux sur un territoire.

Il n’y a pas de critères ni de référentiel commun pour l’EIT. Il importe à la fois de sortir du critère unique de rentabilité « individuelle » et de rechercher les opportunités de proximité. Les travailleurs, directement, et via les CHSCT et autres institutions représentatives, doivent avoir les moyens de s’emparer de ces sujets.

PROMOUVOIR UNE ÉCONOMIE DE LA FONCTIONNALITÉ ET DE BIENS DURABLES 

Privilégier l’usage plutôt que la possession, autrement dit vendre des services liés aux produits plutôt que les produits eux-mêmes. Des exemples nombreux s’affirment avec succès : les Vélib’, les sites internet de partage d’équipements domestiques, les formules de crédit-bail (leasing) d’ordinateurs ou de photocopieuses, à l’infini l’infini, créant le schéma d’une véritable économie de la fonctionnalité. Un des avantages est que l’offreur de service a intérêt à employer des biens durables, à l’opposé du low cost jetable et de l’obsolescence programmée. Audelà de l’enthousiasme pour un tel modèle, la question est de s’assurer que ce nouveau paradigme sert bien à produire plus de partage, de solidarité, d’emplois de proximité.

Autolib’ le service public d’autopartage de voitures électriques en libre service au sein de l’agglomération parisienne. Privilégier l’usage plutôt que la possession, autrement dit vendre des services liés aux produits plutôt que les produits eux-mêmes.
Autolib’ le service public d’autopartage de voitures électriques en libre service au sein de l’agglomération parisienne. Privilégier l’usage plutôt que la possession, autrement dit vendre des services liés aux produits plutôt que les produits eux-mêmes.

PERMETTRE UNE CONSOMMATION RESPONSABLE 

L’acheteur – entreprise, acteur public ou citoyen consommateur – doit pouvoir effectuer ses choix en connaissance des impacts environnementaux et sociaux du produit qu’il achète, et donc disposer des informations justes et nécessaires. Mais la question fondamentale des salaires et du pouvoir d’achat ne doit pas être éludée, pour permettre à tous de faire de véritables choix sans rester enfermés par la nécessité dans la consommation des produits de seconde main, fussent-ils recyclés.

AMÉLIORER LES POSSIBILITÉS DE SECONDE VIE 

Un pan souvent peu visible de l’économie circulaire concerne la réparation et les marchés d’occasion. Si les produits écoconçus sont réparables et à grande durée de vie, il doit exister des moyens efficaces pour réparer, vendre ou donner des produits d’occasion, réemployer des pièces détachées, orienter les produits obsolètes vers d’autres usages. Ces marchés existent et se développent rapidement, mais pas toujours dans des conditions satisfaisantes d’information, de protection de la santé des travailleurs, voire de légalité des activités (exemple : le désamiantage).

RECYCLER LES DÉCHETS OU, À DÉFAUT, LES VALORISER 

La responsabilité des producteurs doit être totale. Les produits, « recyclables par conception », doivent être traités en fin de vie et leurs matières introduites dans un nouveau cycle de production. Ou, à défaut, être valorisés en énergie, utilisés comme combustible ou en méthanisation (une solution écologiquement peu satisfaisante mais profitable, qui plaît beaucoup à une association comme Amorce, regroupement d’élus proches de Veolia…).

Les écotaxes collectées par les nombreux éco-organismes (Cyclamed, Aliapur, Valorplast, Recylum, Éco- Systèmes…) doivent permettre d’organiser des filières de collecte et recyclage efficaces. Or la gouvernance de ces acteurs privés à but non lucratifs est largement discutable. Des fédérations patronales spécialisées, comme Fédérec, y ont de fait le dernier mot. Le conseil d’administration d’Éco-Emballages ne compte que des représentants de groupes comme Danone ou Coca-Cola, tandis que deux autres conseils – l’un associatif et l’autre des collectivités – ne rendent que des avis non décisionnels. Certes, ces organismes obéissent à un cahier des charges et font l’objet d’un agrément de l’État, mais quelle est la place des associations de consommateurs, des travailleurs du secteur, du service public?

LE TRAVAIL AU COEUR DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE 

L’économie circulaire doit changer en profondeur notre système économique. Nous devons produire au plus près de nos besoins, pour réduire au minimum les transports. Cela implique de sortir des dogmes sur le « coût du travail » et la compétitivité, et de prendre en compte la centralité et la qualité du travail.

Le tri des déchets, la réparation ou la récupération de pièces détachées sont des tâches importantes, non réservées à des emplois de seconde zone. Sinon, l’économie circulaire ne serait que le masque d’une nouvelle extension de l’économie du bas coût (low cost), où des travailleurs déconsidérés n’accéderaient qu’à la consommation de produits recyclés, de seconde main, de mauvaise qualité. La CGT est intervenue sur le sujet au Conseil national des déchets : voilà vingt ans que les 240 centres de tri français prétendent aider des exclus ou des personnes handicapées à retrouver une dignité par le travail… pour mieux abuser des emplois d’insertion! Des centres qui ont d’ailleurs un besoin urgent de modernisation.

La question du travail se conjugue aussi avec celle de la croissance. Une économie circulaire vise à l’emploi raisonné des ressources naturelles et doit porter le projet d’une autre croissance: la qualité pour tous, non destructrice mais créatrice d’emploi. La Commission européenne a indiqué que chaque point de pourcentage gagné sur l’efficacité de la consommation de ressources générerait jusqu’à 200000 emplois en Europe. Des fonds européens – Feder, Horizon 2020 et Feader – permettent désormais de financer des actions en faveur de l’économie circulaire… non sans contradictions avec la vision du « toutmarché » qui prédomine à Bruxelles! Les propositions du gouvernement sur l’économie circulaire ne prévoient ni obligations légales ni moyens. Les conseils régionaux auront la compétence, sans les moyens. La dernière conférence environnementale a abordé le sujet, sans atteindre le bon niveau des enjeux d’environnement de réindustrialisation, de centralité ou de démocratie du travail, de recherche. Si nous voulons privilégier les circuits courts « durables » et ancrer les activités sur nos territoires, si nous voulons mettre fin aux aberrations des fonctionnements actuels de l’industrie mondialisée, nous devons progresser sur tous ces enjeux.

** Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie.

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