L’économie circulaire, en ce qu’elle intègre une autre vision du rapport de l’humain au travail, à son environnement et aux autres, cristallise ce que peuvent être nos réponses face à l’effet destructeur du capitalisme sur l’homme et la nature.
*Roland Charlionet est chargé de recherche à l’INSERM, Luc Foulquier est ingénieur-chercheur en écologie. Tous deux sont membres du comité de rédaction de Progressistes.
Texte adapté de l’article « L’économie circulaire est-elle soluble dans le libéralisme ? » paru le 26 juin 2014 dans l’Humanité Dimanche
L’économie circulaire devient un thème d’actualité. Cent cinquante ans après que Marx en eut énoncé sur le fond l’urgente nécessité1 il est temps en effet d’envisager sa mise en application. La prise de conscience des limites de la planète ainsi que des énormes besoins non satisfaits de la population justifient d’opter pour des modes de production préservant la nature. « L’enjeu est de sortir de l’obsolescence programmée des objets et de relier la valeur d’échange et la valeur d’usage. Nous devons produire plus avec moins de matière première et produire différemment avec moins d’atteinte à l’environnement […] Cela suppose d’intégrer, dès leur conception, le principe de recyclabilité des produits et de monter toute une filière de récupération du jetable, et c’est l’économie du réparable et du récupérable qu’il faut anticiper.2 » Il s’agit également d’organiser une écologie industrielle et agricole des lieux de production et des territoires, pour préparer la planification écologique aux différentes échelles géographiques3.
Divers instituts, publics ou privés4, offrent des réflexions intéressantes sur le sujet, mais la plupart passent à côté du principal: le politique. Car les gâchis, pillages et pénuries, le réchauffement climatique et l’exploitation des humains constituent le fonctionnement normal du système capitaliste. Si la nature est en péril, la raison fondamentale en est que le capitalisme marchandise tout, spécule sur tout5. Ne pas le voir conduit, à partir de constats pourtant justes, à gommer les contradictions fondamentales et à enfermer la société dans des impasses.

ÉCONOMIE CIRCULAIRE ET VISÉE RÉVOLUTIONNAIRE
Notre approche de l’économie circulaire6, celle de « l’humain d’abord », consiste à humaniser radicalement le mode de développement. C’est un processus révolutionnaire qui :
– inscrit toute activité humaine dans les cycles naturels, puisque l’homme appartient à la nature ;
– reconnaît le double rôle de l’humain comme producteur et consommateur, lui permettant par le travail de rendre toute activité compatible avec le renouvellement des éco – systèmes ;
– analyse concrètement le métabolisme des rapports homme-nature pour combattre toute contradiction entre eux.
Grâce aux progrès scientifiques et techniques, une fenêtre temporelle est en train de s’ouvrir, étonnamment favorable aux mises en commun, aux partages et aux gestions organisées démocratiquement. L’humanité se trouve dès maintenant devant une bifurcation majeure: elle peut continuer dans la logique de marchandisation des êtres et des choses, et le monde de l’être humain ira en se déshumanisant de plus en plus ou, au contraire, elle peut en profiter pour aller vers des horizons d’émancipation de chacun, des horizons que nous peinons encore à imaginer.
Cette voie peut conduire à approfondir le rapport des humains à la nature. Cela implique d’aller au bout de la logique de l’économie circulaire et des biens communs, c’est-à-dire de mener de front les réflexions sur l’organisation de la production, de la distribution et de l’utilisation des produits7, sur les conditions du partage et de l’exercice individuel du pouvoir de gérer collectivement. Ce afin de permettre à chacun de satisfaire d’abord ses besoins de sécurité – ce qui est un besoin de paix, mais aussi de respect du droit à la santé, à l’alimentation, à l’énergie, au travail, à un cadre de vie de qualité… – de maîtriser sa vie dans une temporalité respectée de la nature – temps des apprentissages, du développement personnel – et d’être en capacité concrète de décider en ayant accès à la formation, à la connaissance, à la culture scientifique et artistique. Tout cela conduit à repenser le concept de travail et la manière dont les femmes et les hommes produisent leur existence dans leur rapport à la nature et entre eux, et ce faisant se produisent eux-mêmes. Travailler est alors agir avec les autres et pour les autres, avec le sentiment fort de l’appartenance à la société humaine et de l’utilité sociale de ce que l’on produit. Avec cet horizon, le travail – au-delà de la vision rabougrie et aliénante qu’en donne le libéralisme – devient cette part essentielle, personnelle et collective de l’activité humaine qui crée de la valeur en respectant l’environnement naturel.
Mais cela ne se construira pas sans lutte. Pour Benoist Berton, de Coca- Cola8, « l’économie circulaire, ça peut et ça doit faire du profit. C’est l’objectif fondateur d’une entreprise ». Nous voilà prévenus…
1. Karl Marx, le Capital, livre III : « Les résidus résultant des échanges physiologiques naturels de l’homme devraient, aussi bien que les déchets de la production industrielle et de la consommation, être réintroduits dans le cycle de production, au sein d’un cycle métabolique complet. »
2. Pierre Laurent : « Industrie et écologie sont solidaires », conférence du 24 novembre 2012 à Lille.
3. Louise Gaxie et Alain Obadia, Nous avons le choix!, Fondation Gabriel Péri, 2013, 525 p.
4. Par exemple l’Institut de l’économie circulaire (IEC) ou la Fondation MacArthur.
5. Pablo Solan, « Économie verte versus droits de la nature », in Économie verte : marchandiser la planète pour la sauver ?, Syllepse, 2013, p. 139-144.
6. Roland Charlionet et Luc Foulquier, l’Être humain et la nature, quelle écologie?, Fondation Gabriel Péri, 2013. Disponible en téléchargement gratuit: http://www.gabrielperi.fr.
7. Pierre Dardot et Christian Laval, Commun: essai sur la révolution au XXIe siècle, La Découverte, 2014.
8. Prise de parole à la conférence de juin 2014 organisée à Marseille par l’Institut de l’économie circulaire.